Lettre ouverte à Alain Weill, directeur de RMC
Article rédigé par Hubert de Champris, le 02 septembre 2011

RMC, SUD RADIO, RTL : les stations de radio, encouragées par l'interactivité structurelle d'internet, semblent se faire un devoir de donner en quasi permanence la parole à leurs auditeurs, nouvelle forme d'une démocratie participative comme dirait Madame Royale dans laquelle les deux voix se vaudraient : celle qui transmet votre babil, celle qui exprime votre suffrage. N'est-ce pas là au fond, par la grâce des dernières techniques de communication, la concrétisation de la démocratie ? Mais cette prétendue libre expression tous azimuts tant dans sa matière (le contenu abordé) que dans sa forme (ses vecteurs) pourrait bien s'analyser comme contre-productive et scier la branche sur laquelle elle revendique de s'asseoir.

Cette expression  démocrative, ne craint pas, en guise de préalable présenté comme étant explicitement indiscutable, de se restreindre de son propre chef. Deux exemples récents tendent à le vérifier.

Alain Weill, directeur de RMC, finit par reconnaître en substance qu'on est bien obligé de procéder à une sorte de casting des auditeurs avant de les laisser intervenir sur les ondes. En même temps, donnant dans la surenchère, une déjà ancienne station, Sud radio, qui s'efforce de se faire une place au soleil parmi les grandes, embauche Robert Ménard, remercié de RTL, et laisse le 22 août dernier un individu ne brillant pas par son intelligence et sa culture, Eric Mazet, improviser un talk show sur le thème Les Juifs soutiennent-ils Dominique Strauss-Kahn ?, au grand dam d'ailleurs de son acolyte, l'ancien militant communiste Michel Cardoze. Le CSA (Conseil supérieur de l'audiovisuel), instance aux multiples fonctions parmi lesquelles celles de  normalisation de la morale  ou de  moralisation de la normale - comme on voudra - de ces médias, et dont la jurisprudence nous paraît des plus aléatoire c'est-à-dire qu'elle n'en a précisément point (où que celle-ci n'est autre que les idées dominantes de l'époque, ce qu'en termes plus savant Chateaubriand dénommait l'esprit principe) menace de sévir. Bien en amont de l'étude du bien ou du mal-fondé des propos, c'est la recevabilité même de la discussion, de la dispute autour et au sujet de certains thèmes qui est en jeu.

Esquissons quelques pistes de réflexion.

Théorie. On comprend bien que le principe démocratique même est ici en quelque sorte pris à son propre piège. Mais nous devons du même pas relever que ce piège, ce danger, voire cette impasse dans laquelle l'idée démocratique s'engage lorsqu'elle va au bout d'elle-même (et donc lorsqu'elle bute sur ses propres contradictions) ont été relevés dès l'origine. On peut se demander ainsi, si, avant Tocqueville, Platon n'avait pas déjà soulevé le lièvre. De nos jours, de jeunes (comme David Mascré) ou moins jeunes (comme Pierre Manent) penseurs ont ré-insisté sur cette recrudescence pernicieuse non seulement de l'équivalence de la parole de tout un chacun dans les médias mais, pire, du préjugé favorable attaché à la parole informe joint à la suspicion morale avec laquelle on écoute (ou n'écoute pas !) le discours informé.

Pratique. Où s'introduit à proprement parler notre lettre ouverte.

 Alain Weill, vous n'hésitez pas à confier votre progéniture à un enseignement que nous préférons plutôt dire libre que privé. Les mânes du cardinal Dupanloup nous en sont témoins. Que penseriez-vous d'un établissement incertain de la qualité de son enseignement et de ses enseignants, finalement peu sûr de lui, de ce qu'il est censé représenter et transmettre, s'avouant finalement incapable de faire régner la discipline et qui, dès lors, renoncerait à former ses élèves pour n'admettre en son sein que ceux déjà en parfaite adéquation non seulement en intention mais aussi en fait avec le projet d'établissement ? Comment faisaient-ils jadis, les instituteurs de la  laïque , pour professer dans une même salle de classe à des enfants de différents niveaux ? Tout l'art du pédagogue ne consiste-t-il pas à se faire comprendre d'une même voix, d'un même pas auprès d'un auditoire à tous points de vue composite ?

Alors, Alain Weill, remplacez le terme auditoire par auditorat, c'est-à-dire par des gens qui nous sont à la fois sociologiquement connus (par les enquêtes d'opinion) et totalement et psychologiquement inconnus, sauf à dire que le même individu pourra apparaître très, très bête à tel moment pour, dans l'heure d'après, se révéler pertinent dans son impertinence sur tel autre sujet. Adolescent, vous téléphoniez à une célèbre radio périphérique, comme on ne dit plus, pour suggérer à René Haby, ministre de l'Education nationale sous Giscard, de s'inspirer de l'organisation allemande de la scolarité (cours le matin, sport à partir de 13h30). L'Haby ne faisant pas ou, en tous cas, faisant mal le ministre, celui-ci, pris au dépourvu et surtout un peu bêta, avait cru s'en sortir en vous répondant sur l'air suffisant du mon jeune ami, ne parlez pas de ce que vous ne connaissez pas. La personne qui, avant de vous laisser intervenir à l'antenne, vous a casté, comme on ne disait pas encore, aurait pu, de manière discrétionnaire, ne pas vous sélectionner.

Aussi, en radio, il faut accepter la prise de risque, s'y préparer pour y parer. Tout accepter, et du tout venant, tout en ayant préparé ses atouts pour, le cas échéant, prévenir voire éteindre l'incendie naissant. Alors, ne nous payons pas de mot, cet auditeur inconnu, c'est le diable. Ou, pour le moins, est-ce ainsi que nous devons l'envisager de prime abord, quitte à ce que ce visage se révèle autre. Et, pour dîner avec le diable, il faut, comme nous le savons, une longue mais, surtout, solide cuillère. Cette cuillère, c'est la culture (et l'inspiration du moment, subsidiairement ! Mais nous nous souvenons du mot d'Einstein : 99% de transpiration, 1% d'inspiration. Donc, étude d'abord.) Alors, à votre place, m'adresserais-je en gros en ces termes à Georges Nivat, le beau-père de votre animateur vedette :

‘‘Votre gendre Jean-Jacques Bourdin doit justifier son salaire, et les temps sont tels qu'il nous faut à moindre frais parfaire sa culture. Pour l'islam et une part de l'actualité internationale, va pour votre fille Anne Nivat qui, lorsqu'elle ne court pas la Tchétchénie en djélabah, pourra toujours l'entreprendre sur ces points. Vous, relié aux milieux protestants tout en étant spécialiste de l'orthodoxie slave et de Soljénitsyne, arrangez-vous pour lui inculquer en six mois toute la saga de l'Orient et de l'Occident depuis la nuit des temps, en vous armant justement du préjugé occidentalo-sceptique de ce dernier (prévention plus que préjugé au reste, que l'auteur de L'Archipel du goulag et de Juifs et Russes avant la Révolution (t. 1) et pendant la période soviétique (t. 2) (Fayard) s'est évertué à justifier et que tant qu'intellectuels occidentaux lui ont à tort reproché). Il faut que Jean-Jacques se défasse de ses réflexes intellectuels conditionnés ! Il a renoncé à remplacer Zemmour chez Ruquier. Mais, il faut tenir notre rang, et, surtout, celui de centaines de milliers de petits jeunes dont je trouve qu'ils se gavent un peu trop de notre talk show sportif en soirée. (Moi-même, à l'entendre plus de trois minutes, je m'y épuise). Si c'eût été sur nos ondes, non sur celles de nos confrères de Sud Radio que s'était improvisé le débat sur l'éventuel soutien majoritaire des Juifs – encore eût-il fallu définir ce qu'on entend par là !- à DSK, dites-moi, en quel sens aurait-il fallu qu'il arbitra ? Personnellement, le débat serait-il survenu sur RMC, j'aurais aimé entendre Bourdin mettre fin à la palabre en une phrase : réfléchissez : s'il y a bien un peuple qui soit à même de répondre de lui-même, par lui-même à ce genre de questions, c'est bien le peuple juif. Et il a pour cela un garde-fou, une statue du Commandeur qui n'a jamais été tendre avec lui, qui n'a jamais cessé de le rappeler à l'ordre ; ce permanent rappel à la Loi, c'est l'Ancien Testament. C'eût été ma foi – ou mon opinion, vous avez raison, mais ne jouons pas trop sur les mots, les gens ne suivent pas toujours - il me semble, la conclusion la plus efficace, et la plus raisonnable, ne trouvez-vous pas ? Mais encore aurait-il fallu être sûr que notre animateur possédasse le bagage intellectuel pour ce faire !

Allons, Georges, écoutez-moi, avec notre Jean-Jacques, il faut que nous relevions le niveau. Il en va du salut de la démocratie ! 

 

 

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