Article rédigé par Jacques Bichot*, le 19 mars 2010
Poursuite de notre une revue des situations dans lesquelles les pouvoirs publics ont eu les yeux plus gros que le ventre , revue commencée le 5 mars dernier. Cette semaine, après le drame de la Faute-sur-Mer et la justice, l'affaire de la grippe porcine.
L'affaire de la grippe porcine
Loin de moi l'idée de reprocher au ministre de la Santé d'avoir agi. L'épidémie de grippe A s'est finalement révélée être bénigne, mais au moment où il fallait prendre des décisions on était, comme souvent, en situation d'incertitude : il était normal d'appliquer le principe de précaution. En revanche, Mme Bachelot est clairement coupable d'avoir fortement surestimé la capacité de l'administration et du système de santé à mettre en œuvre le plan conçu par ses services parisiens : elle a eu les yeux immensément plus gros que le ventre.
Il s'agissait en effet d'administrer 94 millions de vaccins et de distribuer des milliards de masques. Or, pour vacciner, il ne suffit pas d'avoir des ampoules contenant le produit adéquat ; il faut aussi mobiliser le personnel capable de décider pour chaque personne si le vaccin doit lui être administré ou non et, si oui, de le faire. Sans parler des locaux et de l'information précise du public dans chaque localité ou quartier.
Les quelques 100 000 généralistes qui exercent en France auraient peut-être suffi à la tâche, avec l'aide d'infirmières, mais ils furent mis sur la touche, du moins dans un premier temps. Des centres de vaccination furent installés à la hâte ; ils auraient été totalement débordés s'ils avaient inspiré confiance. Le ministère n'a pas mesuré l'ampleur de la tâche à accomplir, et n'a pas organisé l'opération vaccination en conséquence. Il a été victime de l'illusion selon laquelle son rôle est de décider, point ligne, l'exécution étant censée suivre automatiquement. Or ce qui est délicat dans la vaccination de masse, ce n'est pas la décision, c'est sa mise en oeuvre !
Il en va de même pour la distribution des masques, qui pourrissent [3] actuellement dans des entrepôts. Le ministère ne semble pas avoir sérieusement réfléchi à ce qu'il faudrait faire pour munir chaque Français d'une petite provision de masques anti-virus. L'intendance n'a pas suivi ; elle n'a peut-être même pas été prévue. La décision ministérielle est restée purement théorique, sans emprise sur la réalité des choses. Une bulle ministérielle coupée du monde de Dupont et Durand ; un organe de commande qui n'a personne pour exécuter ses ordres : il est à craindre que l'avenue de Ségur nous ait donné dans cette affaire une excellente démonstration de ce qu'est l'impuissance gouvernementale à la française.
*Jacques Bichot est économiste, professeur émérite à l'université Lyon 3, vice-président de l'association des économistes catholiques
Articles précédents :
Les yeux plus gros que le ventre (I) : La Faute-sur-Mer
Les yeux plus gros que le ventre (II) : la justice
La semaine prochaine :
Les yeux plus gros que le ventre (IV) : la protection sociale et la réforme des retraites
[3] L'expression n'est peut-être pas littéralement exacte, mais du moins se périment-ils, car ils sont imprégnés d'un produit dont la durée de vie est limitée à quelques mois.
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