Article rédigé par Jacques Bichot*, le 08 juillet 2011
Un sondage européen récent (Les Echos du 6 juillet2011) permet de comparer les appréciations des citoyens de 5 pays européens à l'égard de l'action des pouvoirs publics dans le domaine des services publics. Les Français sont nettement plus sévères que les Allemands, Britanniques, Espagnols et Italiens. Pour l'enseignement, par exemple, les Allemands sont 44 % à en avoir une bonne opinion, la moyenne européenne est à 39 %, et le taux de bonnes opinions descend en France à 24 %. Pour la justice, les 48 % de bonnes opinions des Allemands contrastent avec les 26 % des Français, la moyenne européenne étant entre les deux, à 35 %.
Une classe politique au plus bas dans les sondages
Certes, les Français sont particulièrement ronchons ; il faut donc tenir compte de l'influence que ce trait de caractère a sur le résultat d'un tel sondage. Mais il n'y a pas de fumée sans feu : si nos services publics fonctionnaient vraiment bien, les taux d'insatisfaction seraient moins élevés. De même les appréciations sur la classe politique, responsable de la bonne marche des services rendus aux Français par l'Etat, les collectivités territoriales et la sécurité sociale, seraient-elles moins sévères. Sachant que selon un sondage limité à la France les réponses oui, tout à fait à la question estimez-vous que X a la stature présidentielle [1] culminent à 23 %, on voit bien que nos compatriotes manquent cruellement de confiance dans la capacité des hommes politiques à diriger le pays.
Ajoutons que le gagnant de cette compétition est François Hollande, un candidat potentiel à l'élection présidentielle qui n'a jamais exercé de responsabilités ministérielles. Le Président en exercice vient en seconde position avec 21 %. Ainsi les Français estiment-ils qu'ils sont gouvernés par un homme qui n'a pas les qualités requises, sans voir pour autant aucun meilleur choix parmi ceux qui risquent de briguer leurs suffrages, à l'exception d'une seule personne, à laquelle son inexpérience semble valoir un petit bénéfice du doute.
On pourrait dire qu'une hirondelle – un sondage - ne fait pas le printemps, mais il s'agit hélas d'un nuage fort dense de ces sympathiques volatiles devenus en l'espèce des oiseaux de malheur. En effet, aux sondages mensuels sur la bonne opinion que les Français ont ou n'ont pas de toute une série d'hommes politiques, sondages dont le résultat est calamiteux, s'ajoutent diverses études d'opinion, comme celle-ci, relative aux valeurs, menée par Harris Interractive et l' Institut Montaigne[2] : priés de dire si telle catégorie d'acteurs véhicule des valeurs plutôt positives ou plutôt négatives pour la société , les Français placent au ban de leur confiance les responsables politiques , crédités de seulement 15 % de réponses plutôt positives . Pourcentage qui offre un contraste saisissant avec les 54 % d'opinions positives obtenus par les entreprises, et le score des associations : 70 %.
Sur le terrain, des lacunes navrantes
La désaffection pour le personnel politique tient probablement, pour une large part, aux insuffisances de nos services publics, d'autant moins acceptables que ces services coûtent fort cher aux contribuables, et ne se contentent pas de l'argent de nos impôts, ce qui oblige l'Etat à emprunter massivement, d'une manière qui devient franchement inquiétante.
Une étude que j'avais effectuée en 2007 s'intitulait Enseignement et recherche : on peut faire mieux pour moins cher [3]. L'actualisation que je viens de réaliser, pour la partie enseignement, montre que nous sommes hélas encore en droit de porter le même diagnostic[4]. Mais il s'agit d'études basées sur des statistiques, qu'il s'agisse des tests Pisa organisés par l'OCDE, pour les résultats, ou des données budgétaires. Qu'en est-il sur le terrain ?
S'agissant de l'Education nationale, la dernière cuvée du bac a défrayé la chronique : divulgation de sujets de bac, et lacunes dans le contrôle des fraudes facilitées par l'usage des Smartphones. On pourrait ajouter, parmi bien d'autres choses, l'obligation dans laquelle se trouvent pratiquement les étudiants en 1ère année de médecine de fréquenter une prépa privée s'ils veulent avoir des chances sérieuses de réussir le concours de passage en 2de année : selon une récente étude[5] 80 % de ces étudiants passent par une de ces prépas , qui coûtent de 2 000 € à 8 000 €.
Dans le domaine des transports, un article du New-York Times, repris par Le Figaro du 1er juillet, explique que l'Europe est ouvertement hostile aux automobiles , et que l'objectif est de rendre l'automobile si pénible qu'on la laisse au garage . Certes, ce n'est pas une spécificité française, mais chacun peut constater que les dirigeants de notre pays, et de nos villes, se sont engagés dans ce combat avec une grande vigueur. Beaucoup de places de stationnement en surface sont supprimées, parfois pour créer des espaces verts, mais souvent sans autre raison que de compliquer la vie aux utilisateurs de véhicules à 4 roues : bien des municipalités rendent inutilisables des mètres carrés qui pourraient servir à stationner sans aucune gêne pour qui que ce soit, préférant le gaspillage de l'espace public à son utilisation rationnelle. Le but est parfois tout bonnement d'obliger les automobilistes à utiliser un parking exploité par une société de mèche avec la mairie.
A cela s'ajoute la pénurie de taxis résultant du malthusianisme politico-administratif. Comme le faisait récemment remarquer Emmanuel Combe[6], on recense un taxi pour 72 habitants à Dublin contre 1 pour 360 à Paris , et l'apparition des moto-taxis, des schuttles et de faux taxis, comme le prix délirant des plaques (environ 200 000 € à Paris !) témoigne de l'existence d'une demande non satisfaite . Et pourquoi la demande n'est-elle pas satisfaite ? Parce que les échelons politiques et administratifs ont établi un numerus clausus, maintes fois dénoncé (notamment par le rapport Attali de 2008), mais maintenu par les pouvoirs publics[7]. Les conditions de déplacement en ville ne sont pas tout à fait la cinquième roue du carrosse pour les pouvoirs publics – les insupportables grèves des transports publics ont été limitées – mais il s'en faut de beaucoup que les intérêts légitimes des habitants arrivent à égalité, comme facteur de décision, avec les a priori idéologiques des édiles et des hommes politiques nationaux imbus de politiquement correct .
Faire la queue à la préfecture
Le mépris à l'égard du public se manifeste de façon particulièrement visible dans les services des certificats d'immatriculation, jadis cartes grises . Ma femme et moi en avons fait récemment l'expérience : les papiers d'une automobile nous appartenant ayant été volés dans cette voiture cambriolée par effraction (bris de vitre) un soir où l'un de nos enfants l'utilisait, il fallut, après la déclaration de vol à la gendarmerie, une bonne heure pour déterminer les pièces à fournir, le site officiel étant passablement mal fait ; ensuite, ma femme attendit 2h30 au service des cartes grises avant que son numéro soit appelé – et si par malheur il avait manqué une seule pièce au dossier, tout eut été à recommencer. Enfin, elle eut l'occasion de constater que, là aussi, la fraude est aisée et nullement réprimée : des petits voyous, connaissant le système, se précipitaient lorsque le titulaire d'un numéro ne se présentait pas et, aucun contrôle du numéro n'étant effectué par le fonctionnaire, court-circuitaient des dizaines de citoyens disciplinés.
Cette mésaventure me permit également d'apprendre, de la bouche navrée du maréchal des logis chef qui nous reçut, mon fils et moi, fort aimablement, que la consigne était de n'entreprendre aucune recherche du coupable d'une infraction dès lors que le préjudice ne devait, à première vue, pas dépasser 1 500 €. L'impunité des petits malfrats est donc garantie. Et le même sous-officier nous confia, encore plus navré, que sa brigade venait d'arrêter à nouveau, un an après sa condamnation à trois ans de prison, un multirécidiviste confirmé.
Le ras-le-bol des bons conducteurs s'exprime de plus en plus : beaucoup ont un profond sentiment d'injustice quand ils se font infliger des amendes et retirer des points de permis pour avoir roulé à 140 Km/h sur une autoroute déserte, tandis qu'ils voient quantité de motards foncer en toute impunité à 150 Km/h entre deux files de voitures les jours de forte affluence. Les citoyens dignes de ce nom ont de plus en plus conscience d'être les victimes d'une réglementation et de forces de l'ordre plus efficaces pour piéger les honnêtes gens que pour les défendre, eux et la société en général, contre les personnages dont le comportement est réellement incivique et nocif.
L'inefficacité des services engendre le mépris pour ceux qui en sont responsables
Chacun pourra à loisir continuer la litanie de ce qui ne va pas dans nos services publics. Ces quelques exemples sont là pour illustrer le lien qui existe, à notre avis, entre la montée du mépris des Français vis-à-vis de leurs hommes politiques et le peu de souci qu'ont ceux-ci de faire fonctionner correctement les administrations dont ils ont la charge.
A l'occasion du dernier remaniement ministériel, on a pu remarquer que Jean Leonetti, nommé aux Affaires européennes, est le cinquième à occuper ce poste en quatre ans et demi [8]. Il fallut moins de temps encore pour que survienne la cinquième nomination du quinquennat au poste oh combien important de ministre du travail. Comment dans de telles conditions les dossiers seraient-ils traités avec l'efficacité requise ? C'est comme cela que l'on fait des réformes des retraites bâclées et que l'on prend un retard extrêmement dommageable pour traduire en droit français des directives européennes relatives à l'immigration ou à la garde à vue, provoquant de fortes perturbations dans la marche des services.
Pour que la population retrouve confiance et estime envers ceux qui la gouvernent ou aspirent à le faire, il faut tout simplement que ceux-ci retrouvent le sens du travail bien fait.
[1] Sondage Ipsos, Le Figaro du 6 juillet 2011.
[2] Voir Les Echos du 23 juin 2011.
[3] Les monographies de Contribuables associés, n° 10, septembre 2007.
[4] Cette étude sera reprise à la rentrée, sous une forme journalistique, par Le Cri, Revue de Contribuables associés.
[5] Le très rentable business des prépas médecine , Les Echos du 23 juin 2011.
[6] Professeur d'économie à Paris I. Son point de vue intitulé Les taxis, syndrome de la réglementation défaillante est paru dans Les Echos du 17 juin 2011.
[7] Selon leur habitude, ceux-ci ont cédé face à la pression du lobby concerné : il a suffi que les taxis parisiens provoquent un embouteillage monstre en février 2008 pour que le Premier Ministre enterre la proposition du rapport Attali relatif à cette profession. Et les taxis parisiens ont récemment administré une piqûre de rappel en organisant une journée d'action : cf. Trois ans après le rapport Attali, le marché des taxis reste verrouillé à Paris , Les Echos, 25 mai 2011.
[8]Le Figaro, 30 juin 2011.
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