Les risques du désarmement nucléaire
Article rédigé par Roland Hureaux, le 04 décembre 2009

Quand le président Obama, futur prix Nobel de la paix, a proposé, d'abord à Prague le 6 avril, puis à New York le 23 septembre 2009, que le monde s'oriente vers un désarmement nucléaire général, il a pris la précaution de rappeler qu'il était favorable à ce que le États-Unis ratifient le traité d'interdiction totale des essais nucléaires, ce que la France et la plupart des autres pays ont déjà fait, mais pas eux.

Il serait sans doute de mauvais goût de rappeler que sa position ne préjuge pas de celle du Congrès.
Il est vrai que les États-Unis, disposant de très loin de la première armée classique du monde, ont un intérêt évident à ce qu'aucun autre pays ne dispose de l'arme de dissuasion.
Quand plusieurs personnalités allemandes lancent un appel analogue, cela n'a non plus rien d'étonnant venant d'une puissance non nucléaire. L'Allemagne verrait abolir, par une telle décision, la grande discrimination qui résulte de sa défaite de 1945.
Diminutio capitis
On est en revanche plus étonné que deux ex-Premiers ministres français proposent la même chose dans un appel récent publié par un grand quotidien du soir [1]. Tous deux y expriment le vœu que la France affirme résolument son engagement pour le succès de ce processus de désarmement et sa résolution d'en tirer les conséquences le moment venu quant à ses propres capacités... Ses amis socialistes savent Rocard prêt à se précipiter sur toutes les lubies. Mais on pensait Juppé plus prudent.
À supposer qu'un tel processus aboutisse un jour (mais qui peut croire que la Russie, la Chine ou l'Inde y souscrivent jamais ?), un pays comme la France subirait une diminutio capitis plus importante que d'autres, plus que tous ses partenaires européens en particulier. Elle bénéficie aujourd'hui, face aux États-Unis et à la Russie du pouvoir égalisateur de l'atome , alors qu'elle est, parmi les grands pays nucléaires, celui dont l'armée classique est la plus réduite. Tel ne serait plus le cas dans un monde dénucléarisé.
À supposer, ce qui est évidemment le plus probable, que le processus n'aboutisse pas, le risque est cependant, qu'à force de déclarations de ce genre, l'opinion française s'habitue à l'idée de renoncer à notre arsenal nucléaire et que, par quelque mouvement d'idéalisme inconsidéré, comme on en trouve tant dans notre histoire, un gouvernement décide un jour que la France doit montrer l'exemple du désarmement même sans être sûre qu'on la suivra. Les États-Unis auront ainsi joué le rôle de ces spéculateurs à la baisse (bears) qui créent un mouvement de fuite de telle ou telle valeur mais la rachètent à temps pour laisser les petits porteurs – la France en l'occurrence – seuls déplumés.
Il ne faut pas seulement considérer les intérêts de la France mais aussi ceux de l'ensemble de la planète. Une des raisons pour lesquelles l'idée d'une renonciation générale à l'arme atomique est lancée est la crainte d'une prolifération générale.
Une prolifération limitée
Même si l'évolution récente d'un conflit comme celui de l'Inde et du Pakistan semble l'étayer , nul n'est tenu d'adhérer à la thèse chère au général Gallois, du pouvoir non seulement égalisateur mais aussi pacificateur de l'atome, ce qui veut dire que la dissuasion aidant, les pays qui se dotent de l'arme nucléaire sont contraints de devenir raisonnables à partir du moment où leurs ennemis en disposent également. On peut considérer en effet que cette idée ne vaut que pour les grands pays, pas pour quelque petit État tyrannique (mais aurons nous jamais pire que la Corée du Nord qui vient de se doter de la bombe ?) ou pour des groupes terroristes qui auraient réussi à mettre la main sur une arme nucléaire.
Reste ce fait pas assez souligné que la diffusion de l'arme atomique n'a pas le caractère galopant qu'on lui prête généralement. De grands pays ayant disposé de cette arme l'ont abandonnée : l'Afrique du Sud, l'Ukraine, le Kazakhstan. Les pays d'Amérique latine y ont renoncé collectivement : si on met cette région du monde en parallèle avec l'Asie du Sud, on a là la preuve que c'est le conflit qui est premier et non la course aux armements : pas de conflit, pas de prolifération.
Or en dehors de l'Iran, qui cherche aujourd'hui sérieusement à se doter de l'arme nucléaire ?
Le monde arabe verrait certes d'un mauvais œil d'être privé d'une arme dont deux pays musulmans non arabes seraient dotés, mais lequel d'entre eux se trouve aujourd'hui de près ou de loin à même d'accéder au savoir faire atomique ? Ne parlons pas de l'Afrique noire. L'Indonésie et le Vietnam ne semblent pas y aspirer. Restent le Japon, la Turquie et les grands pays non nucléaires d'Europe occidentale : même si on peut penser qu'il ne durera pas éternellement, aucun changement du statu quo n'est en ce qui les concerne à l'ordre du jour. Entre les pays qui pourraient se doter de l'arme nucléaire mais y ont renoncé et ceux qui voudraient s'en doter mais ne le peuvent pas, les risques de prolifération paraissent aujourd'hui limités.
Enfin il n'est pas dans les habitudes de notre vieille humanité de se dessaisir volontairement d'une technique qu'elle maîtrise, même létale. Cela n'aurait en tous les cas aucun précédent. Le faut-il d'ailleurs ? L'hypothèse qu'une météorite se dirigeant vers la Terre, du genre de celle qui fut, dit-on, fatale aux dinosaures, ne puisse être déviée que par la coalition, dûment ciblée, des puissances nucléaires n'est après tout pas à exclure !
[1] Le Monde, 15 octobre 2009
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