Article rédigé par La Fondation de service politique, le 10 janvier 2003
Le régime des retraites en France est un régime par répartition, c'est-à-dire un système fondé sur la solidarité entre les générations, les actifs d'aujourd'hui payant par des " cotisations " les pensions des retraités d'aujourd'hui.
Ce système ne peut donc fonctionner correctement que si la proportion entre actifs qui cotisent et retraités qui touchent une pension est stable. Or il s'est produit en France, entre 1945 et 1975, ce qu'on a coutume d'appeler un baby-boom, c'est-à-dire une hausse de la natalité beaucoup plus élevée que par le passé. Durant une bonne partie de la vie active des baby-boomers, soit entre 1965 et 1972, le nombre de cotisants a été beaucoup plus élevé que le nombre de retraités. De plus le chômage étant faible, il n'y avait pas de problème pour payer les retraites : " Carpe diem. " L'actif de l'époque ne ressemblait pas au " bon père de famille épargnant pour ses vieux jours ", mais plutôt à un consommateur cherchant à aligner son niveau de vie sur les plus riches que lui.
Les chose changent en 1973. Tous les indicateurs sont en recul, que ce soient les indicateurs économiques comme la croissance et l'emploi ou les indicateurs démographiques : natalité, fécondité, nuptialité, âge de la mère à la naissance du premier enfant. Aussi, sous la double influence de la baisse de la fécondité et de l'augmentation de l'espérance de vie (trois mois de gagnés par an), la France vieillit : le nombre de jeunes diminue, celui des retraités augmente. D'ici à 2040 il est prévu — si rien n'est fait — qu'il double par rapport au nombre d'actifs.
La traduction financière de ce " vieillissement " est simple et immédiate. En 1970, trois actifs payaient une retraite, aujourd'hui il n'y en a plus que 2,5 ; dans quelques années le rapport sera inversé : il n'y aura plus qu'un actif pour payer les pensions de trois retraités. La charge financière des actifs va devenir difficilement supportable et elle le sera toujours plus car les personnes âgées de soixante ans et plus vont augmenter au rythme de 2,5 % par an à partir de 2005, c'est-à-dire de l'arrivée massive des premières générations du baby-boom à l'âge de la retraite. Les Trente Glorieuses risquent bien de se transformer en Trente Calamiteuses.
En réalité, cette vision des choses est inutilement dramatique. Notons tout d'abord que ce problème de financement des retraites est transitoire : lorsque le gros de la génération du baby-boom sera décédée, vers 2035, on reviendra à un rapport plus équilibré entre actifs et retraités. Le baby-boom, comme la croissance des années d'après-guerre, reste une parenthèse dans le paysage démographique (et économique) français. D'autre part, comme on va le voir, c'est la façon de compter qui est en cause.
En effet toutes les réformes proposées ici ou là dépendent de la justesse des prévisions démographiques. Et c'est là où le bât blesse car, en la matière, les comportements sont soumis à fluctuations non négligeables. L'INSEE a bâti un scénario à l'horizon 2040 sur la base du maintien des tendances passées, à savoir un taux de fécondité de 1,8 enfant (par femme en âge de procréer) et un solde migratoire de 50.000 personnes par an. Disons-le tout net, c'est un scénario aléatoire et malthusien, pessimiste, auquel se sont raccordées malheureusement presque toutes les études sur le sujet.
Scénario aléatoire : choisir l'horizon 2040, c'est supposer connaître la fécondité de gens qui ne sont pas encore nés !
Scénario pessimiste : le pessimisme n'est pas de mise. D'abord parce que les comportements démographiques sont loin d'être immuables. Les études économétriques montrent qu'ils sont sensibles et aux incitations fiscales et au climat économique. Le parallélisme est frappant entre la remontée des indices de fécondité et de nuptialité après la crise de 1993 et la reprise de la croissance et de l'emploi : certains même parlent d'un mini baby-boom dont on peut penser qu'il n'est pas étranger à l'engorgement actuel des maternités. Aujourd'hui le taux de fécondité est remonté à 1,9, rien n'empêche qu'il puisse retrouver les niveaux passés : 2,2, voire 2,3.
Les mesures annoncées par l'État vont dans le sens de l'encouragement de cette évolution : une politique active d'accueil de l'enfant à naître et une politique familiale ambitieuse comportant en particulier des mesures qui permettent aux jeunes couples et aux couples en difficulté de concilier temps de travail et vie de famille.
L'immigration, également, a été nettement sous-estimée par l'INSEE : 50.000, c'est peu. La mondialisation et l'ouverture de l'Union européenne aux pays de l'Est vont avoir un effet positif sur la main d'œuvre disponible. Il faudra juste s'assurer d'accompagner cette immigration par une politique d'intégration imaginative et audacieuse et pas seulement par un politique de répression.
D'autres mesures sont envisageables pour réduire le flux d'inactifs. Elles ont été " annoncées " par le gouvernement comme autant de ballons d'essai et elles vont dans le bon sens :
- favoriser une entrée des jeunes dans la vie active plus tôt ; finies les études qui n'en finissent pas ; au boulot les jeunes, accompagnés bien sûr d'une formation tout au long de leur vie. C'est ce à quoi s'emploie le ministre de l'Éducation nationale en promouvant la formation professionnelle et l'alternance (études et travail).
- supprimer les pré-retraites à 55 ans ; la France, championne dans ce domaine, s'engage sur cette voie et c'est heureux.
- aligner le régime des fonctionnaires sur celui du privé avec cotisations pendant 40 ans. Ce projet de réforme a également été annoncé, c'est une question d'équité.
- dernière mesure, la plus novatrice : laisser la possibilité pour ceux qui le désirent de retarder l'âge de la retraite. Cela paraît normal maintenant qu'on est encore jeune à 60 ans, du moins pour beaucoup de métiers.
Et le scoop, le voici : si l'on ajoute aux " actifs " (entre 20 et 59 ans) les personnes âgées de 60 à 65 ans, alors on constate que le nombre d'inactifs est resté à peu près stable entre 1950 et 2001 (soit un demi-siècle) : 41,5 % de la population totale. Ainsi, reculer l'âge de la retraite de 5 ans permet de résoudre en grande partie le problème du financement des retraites. Se polariser sur le vieillissement de la population, c'est dramatiser la vision des choses. Ce qui compte, ce n'est pas seulement le nombre de retraités, c'est la charge financière que tous les inactifs font supporter aux actifs, c'est-à-dire non seulement les retraités mais aussi les jeunes de moins de 20 ans. Et quand on compte de cette façon, la charge financière telle qu'elle est calculée habituellement par les modèles baisse de moitié.
Pour être juste, il faut préciser que cette liberté de reculer l'âge de la retraite nécessite des réformes du marché du travail pour atteindre le plein emploi. Tant que les entrepreneurs feront pression sur leurs salariés pour partir à 55 ans, la liberté dont on parle devient illusoire. " L'imagination au pouvoir ", réclamait dans la rue la génération de 1968. Maintenant qu'elle va prendre sa retraite, ce n'est que justice qu'elle en fasse preuve, alors que les jeunes générations pourraient lui reprocher son impéritie depuis le premier rapport (Laroque) sur les retraites... en 1975.
L'ensemble des mesures évoquées retrace les grandes lignes d'une réforme largement annoncée par le gouvernement. Foin des fonds de pension qui confient notre avenir au jeu boursier. Faisons plutôt confiance en l'homme et en sa volonté de survivre. Accompagnons-le par des politiques natalistes et familiales imaginatives qui ne résoudront pas tous les problèmes certes, mais qui y contribueront et qui infléchiront la vision strictement financière de l'avenir de nos retraites dans un sens humaniste.
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