Les personnages de la Passion : à qui la faute ?
Article rédigé par Abbé Pierre Guéroult*, le 15 mars 2008

Dimanche, fête des Rameaux : nous vous proposons l'homélie de notre ami curé de campagne, l'un de ces pasteurs qui ont fait la France depuis plus de mille ans.

Chers amis,

vous venez d'entendre le récit de la Passion de Jésus le Fils de Dieu, qui avait eu la drôle d'idée de venir se mettre dans la peau des hommes, mal lui en a pris.

Il l'a fait par amour pour nous, un innocent de plus bafoué et martyrisé. En venant se faire homme, il voulait enrayer la loi de la jungle, qui est trop souvent la loi des hommes. Il s'était mis en tête de substituer l'amour à la violence, tâche surhumaine.

La passion selon Matthieu, récit que vous venez d'entendre, a fait défiler devant vos yeux tout un cortège de lâcheté et de méchanceté.

À tout seigneur tout honneur : le récit commence par la trahison de Judas, pour de l'argent.

Ensuite nous voyons Pierre, le meilleur ami de Jésus qui, lui aussi, après vantardise, s'apprête à la trahir "Non, je ne connais pas cet homme" dit-il. Le coq chanta. Le coq, animal fétiche des Français. Peu après, au jardin de Gethsémani, ce sont les disciples qui dorment, quand l'étau se resserre sur leur ami Jésus. Arrive une foule, armée de gourdins et d'épées, envoyée par les chefs des prêtres, et tout le gratin de Jérusalem. Judas en tête, qui ose l'embrasser. Matthieu note que tous l'abandonnèrent à ce moment. Les rats quittent le navire quand il penche.

Le défilé repoussant continue : c'est l'épisode des faux témoins. Ensuite la soldatesque, qui le passe à tabac : les coups, les gifles et les crachats, bref : la routine. Après cela, Judas se met la corde au cou et le démon se frotte les mains, les affaires marchent bien.

Pour continuer le défilé sinistre, voilà maintenant un autre personnage, le fameux Barabbas, une sorte de révolutionnaire, activiste, et zélote. Pilate comptait sur lui pour servir de repoussoir, afin de faire libérer Jésus. Mauvais calcul : la foule sans tête opte massivement pour le terroriste, plus c'est gros plus ça marche.

Est-ce ainsi que les hommes vivent ?

Chers amis, le défilé des horreurs n'est pas terminé. Il y a Pilate qui s'en lave les mains : responsable mais pas coupable. Ensuite les soudards se débrident : flagellation, couronne d'épines, crachats. L'odeur du sang, ça excite. Les moqueries, le roseau qui fouette, drôle de sceptre pour un roi. A ce moment, Jésus venu sur la terre, je me demande ce qu'il pensait des hommes ses créatures. Peut-être s'est-il demandé s'il n'avait pas fait des erreurs dans la programmation ?

Les bandits crucifiés à droite et à gauche l'injuriaient à qui mieux mieux. Les dignitaires au pied de la croix, ironisaient : Descend, donc... Quel tableau. Aragon a écrit, Léo Ferré l'a chanté : Est-ce ainsi que les hommes vivent ? En cherchant bien, on arriverait à trouver quelques éléments positifs, mais si peu. Quelques femmes dont sa mère, Jean, un des deux bandits, ainsi qu'un officier romain, c'est tout.

Chers amis, vous pourriez me dire que je suis pessimiste. Je proteste : Non ! Je n'ai inventé aucun fait, ils sont tous rapportés par l'évangéliste Matthieu. Les évangélistes sont des témoins oculaires.

Je vais continuer : il y a un autre épouvantail que Matthieu a oublié, le roi Hérode. C'est Luc qui le mentionne. Pilate, avec Jésus sur les bras dont il ne savait que faire, eut tout à coup l'idée de refiler le condamné à Hérode, tétrarque de Galilée. Après tout le condamné était galiléen. La rencontre de Jésus et d'Hérode n'est rapportée dans aucun des trois récits de la passion de nos liturgies. Allons voir le texte dans Luc.

Hérode, vous vous souvenez que ce petit roitelet local, c'est lui qui avait fait décapiter Jean-Baptiste, parce que le prophète lui reprochait d'avoir piqué la femme de son frère. Vous vous rappelez aussi la danse du ventre de Salomé, juste sous son nez, et le roi qui jure de lui donner tout ce qu'elle voudra : vraiment du beau monde. Par ailleurs Hérode n'était pas content d'être confiné dans un recoin du vaste empire romain, avec le titre de tétrarque, qu'on pourrait traduire par : un quart de roi. Aussi quand il apprit que Pilate lui recédait le condamné, il en fut flatté. Hérode était justement à Jérusalem ces jours-ci. Il était curieux de voir Jésus, à force d'en entendre parler. Il espérait lui voir faire quelques miracles, qu'est-ce qu'un roi sans divertissement ?

Il lui posa de nombreuses questions. Mais Jésus ne lui répondit rien. Quand Caïphe, le grand prêtre, a interrogé Jésus, celui-ci lui a répondu, clairement.

Quand Pilate l'interroge, il répond, non moins clairement.

Mais Hérode n'arrivera pas à tirer de Jésus un mot, pas un seul mot.

Jésus a beaucoup parlé dans sa vie, parlé à tout le monde, parlé avec n'importe qui.

Il a parlé aux pauvres, il a parlé aux riches. Il s'est adressé aux Juifs et aux païens, ainsi qu'aux Samaritains. Aux hommes comme aux femmes.

Il a parlé à sa mère, qui était sans péché. Mais il a parlé aussi aux femmes rompues.

Il a parlé aux ignorants, sans délaisser les savants. Il a causé avec les pécheurs du lac comme avec les soldats.

Il a parlé à Jean-Baptiste de même qu'aux pharisiens. Les pharisiens, il ne les aimait pas beaucoup, mais cependant il leur a adressé la parole.

Il a parlé à Judas. Même au dernier moment, il l'a appelé : "Mon ami".

Il a parlé au Diable. Sur la croix il a parlé à un bandit. À Hérode seul il n'a rien à dire. A ceux que l'on appelle les gens du monde , il n'a rien à dire. Devant la frivolité il est désarmé. Si Jésus ne dit rien à Hérode, pas un mot, c'est qu'Hérode ne pouvait rien entendre. Dans certains cas, le péché n'est-il pas devenu une sorte d'autisme ?

À qui la faute ?

Luc écrit que Hérode espérait bien voir Jésus faire quelque miracle sous son nez Mais quelle idée ce prince mondain se faisait-il du miracle ? La mondanité dégrade le coeur, elle avilit l'intelligence. Entre Jésus et Hérode, rien, absolument rien ne s'est passé. Jésus ne pouvait être, pour Hérode, qu'une occasion exceptionnelle de s'amuser. Jésus se tait.

Déjà devant Pilate, il n'avait pas beaucoup parlé. Pour Hérode, un miracle, c'était une action mirobolante, capable de le distraire un instant. Jésus, s'il avait consenti à devenir le pantin d'Hérode, en aurait-il été gracié pour autant ? Il savait que non.

Le Galiléen était venu pour porter le malheur des hommes, et non pas pour devenir histrion ou bouffon Dans toute sa vie terrestre, voilà l'unique fois où l'on sent Jésus absent. Cet homme si intensément présent à son temps, présent à son peuple, présent à la conscience de chacun de ses interlocuteurs, présent à toute l'histoire du monde, et de l'éternité, ici, devant Hérode, il est absent.

À qui la faute ? Il faut être deux pour qu'il y ait absence. Imaginons le regard de Jésus sur ce roi de pacotille, le traversant de part en part, et ne voyant du personnage que le dossier du trône sur lequel il était assis. Les courtisans autour du roitelet se mirent à murmurer, ils parlaient d'insolence inouïe. Quelqu'un sauva Jésus d'un accès de colère imminent, en suggérant qu'il était peut-être fou. Alors tout fut vite terminé. Par dérision, on revêtit Jésus d'une défroque éclatante, écarlate, on le renvoya à Pilate, et on passa à d'autres divertissements.

Chers amis, ce que je vous dis là est grave, je le sais. Mais il me semble qu'il fallait le dire. Le défilé de ceux qu'on appelle encore des hommes, n'est pas reluisant. Avec Hérode, il se termine mal. Je crois qu'il faut voir les choses comme elles sont, sans lunette euphorisante. Oui, regardons la vie en face, même si le spectacle n'est pas toujours reluisant, laissons de côté les optimismes faciles et béats.

***

Le positif dans l'affaire, c'est nous qui l'apporterons. Quoi ? Ceci : Parlons à Jésus, il nous répondra, nous ne sommes pas butés comme Hérode. Ecoutons-le. Parler, écouter, cela s'appelle prier.

On dit que la religion est très affaiblie actuellement. Oui et non. Il suffit que nous parlions à Jésus, il nous répondra, et alors la religion ne sera pas affaiblie du tout. Aujourd'hui nous sommes venus lui parler. Il nous écoute, il nous répond. Promettons-lui de lui parler souvent, il nous écoutera souvent, toujours.

Par delà toutes les misères et les vilenies, dans le matin de Pâques, il est ressuscité. Si nous lui donnons notre accord, je veux dire : notre foi, il nous entraînera dans son sillage, vers la lumière. Laissant de côté le défilé des fantômes, marchons avec lui. Amen.

*L'Abbé Pierre Guéroult est curé de Beuzeville-le-Grenier (76).

abpg@wanadoo.fr

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