Article rédigé par Nicolas Bonnal, le 10 septembre 2004
L'exotisme est affaire de poncifs. Qui dit Argentine dit Borges, tango, Buenos Aires, dictature militaire, Maradona et inflation. Des milliers de Bouvard viennent y apprendre l'espagnol depuis l'effondrement du peso local, et d'autres milliers de Pécuchet viennent goûter l'apprentissage du tango sous la houlette de maîtres sévères.
Buenos Aires est une belle ville inspirée parfois du Paris de la Belle époque. Elle évoque aussi New York, le charme des quartiers londoniens chics, voire même un soupçon de Suisse italienne – ou d'Italie germanique. Palermo, Belgrano, San Telmo, et bien sûr le Recoleta et son somptueux cimetière bourré d'Américains sont les lieux forts cette ville nostalgique et royale, républicaine et pauvre. C'est une des capitales les moins chères du monde. Il y a cinquante ans on disait riche comme un argentin. Aujourd'hui les chabolas, les villes bidons s'étendent à la lisière de la grande cité où l'on se sent tout de suite chez soi, tant cette mégapole est synthèse.
Mais c'est une ville-prison dont on a tôt envie de s'échapper. On sent la tristesse de la pampa et de ses vaches toutes proches (le churrasco local fait oublier Borges...), on sent l'immensité de ce monde situé aux confins du Monde, et l'on se demande jusqu'où l'on pourra s'échapper si on la force de s'échapper – car Buenos Aires est une ville-aimant, une ville qui retient et prive le pionnier de toute son énergie. C'est comme si New York avait retenu toute l'Amérique.
Tout près il y a la cité lacustre de Tigre, Venise résidentielle perdue dans le delta du rio de la Plata, et la ville de la Plata, merveille architectonique du siècle dotée de la plus grande cathédrale néo-gothique du monde. Elle fut livrée avec un ascenseur pour monter aux tours... La Plata est une ville abstraite réussie avec ses diagonales magiques, sa population blanche et jeune (l'Argentine est le seul pays au monde dont la population blanche soit jeune), ses parcs, ses zoos et son magnifique musée d'histoire naturelle où l'on rend hommage aux savants français du début du XIXe siècle quand la France était encore la lumière du monde...
Étrangement l'Argentine donne une sensation d'espace supérieure à celle du Brésil répétitive et anthropisé. À mille kilomètres de Buenos Aires, le monde change à chaque fois. Au nord il n'y a pas les corons mais les colossales cataractes d'Iguassu illustrées par le génie jésuite et guarani. L'excursion est magnifique et vaut dix fois plus la peine du côté argentin que du côté brésilien. Il y a aussi un tourisme de classe moyenne en Argentine, ce qui rend les prix plus attractifs. L'amabilité proverbiale des Argentins, la cuisine et la qualité des services des agences de voyages fait le reste.
À l'ouest, il y a les Andes. Mais il y a Salta au nord, sa culture indienne, son folklore malambo, sa gastronomie et sa qualité de vie. En dépit de son prestige dans les guides, Salta ne nous a guère impressionnés. Il y a juste cette quebrada de san Lorenzo et son château italien qui fut le lieu de tournage du légendaire Tarass Boulba en 1963... L'évêque de Salta se fend d'une interview fameuse où il explique que l'Argentine peu peuplée doit avoir des enfants au risque de se retrouver avec une population remplacée par les musulmans comme en France ou en Allemagne ! Il m'apparaît de plus en plus que l'Amérique du sud tiendra lieu de refuge un jour, et que ses jours sont loin d'être passés. Ici on a fait écho au texte où le pape a marqué son opposition au mariage interreligieux avec les musulmans.
... Et le royaume secret de Patagonie
Au centre il y a Mendoza, son ciel et ses filles magnifiques (les locaux s'en vantent), ses vins et son parc Charles Thays. On se croirait dans une France irréelle, à la Amélie Poulain, dans ces parcs français du bout du monde. Le vrai but de Mendoza reste le passage au Chili magnifique tout proche, ou l'escalade, pour les plus sereins, du cerroI> Aconcagua, plus haut sommet du continent américain.
Mais la vraie aventure argentine commence plus au sud, à partir de Bahia Blanca. Des routes rectilignes vides de tout véhicule, des paysages désolés, des villes francaises comme Pigue, galloises comme Gaiman, et des baleines même à la péninsule Valdez, tout près de Puero Madryn. Baleines voyageuses, baleines de Jonas qui viennent se faire la cour ici en attendant de repartir autour de l'Antarctique hanter les souvenirs d'Arthur Gordon Pym. Des villes laides et insignifiantes mais peuplées de gens charmants se succèdent et l'on entre dans le royaume secret des voyageurs, la Patagonie.
La Patagonie des poètes est devenue celle des spéculateurs nord-américains ou européens, mais cette profanation financière n'enlève rien au charme exténué de ce paysage à la Eliot, rêve de bout du monde et de commencement. La vraie porte de la Patagonie est Bariloche, la légendaire station de montagne bordée par les eaux azur du lac Nahuelk Huapi. Bariloche est la Suisse et l'Autriche préservée (j'y connais une famille de restaurateurs autrichiens installés depuis moins de dix ans) et quelque chose de plus. Une magie indéfinie se dégage de la splendeur bleutée des eaux, de la grandeur ouatée des sommets, de la profondeur rêvée des forêts. Elle se reflète dans l'habitat, les vitraux de la cathédrale qui représentent Pie XII, la splendeur des chalets et des maisons de Bambi (le bois d'arrayanes inspira Walt Disney).
C'est un lieu ou l'on est plus qu'ailleurs. On ne l'explique pas.
Mais la Patagonie c'est aussi au Chili (à suivre...)
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