Les Français doivent s'aimer eux-mêmes
Article rédigé par Roland Hureaux*, le 16 décembre 2005

Semer la haine de soi, c'est semer la haine tout court. Les contempteurs professionnels de l'exception française ne savent pas qu'il en est une qui nous distingue fâcheusement : le mépris invraisemblable d'une partie de la classe dirigeante pour le peuple français.

Dans quel autre pays peut-on assister à des dîners très comme il faut où les convives, qui se veulent bien élevés, font assaut de rage et de mépris pour leur pays et pour leur peuple ? Sûrement pas les États-Unis ou le Royaume-Uni où, quoi qu'on pense, le libéralisme se conjugue toujours avec le patriotisme.

Curieusement, le mépris pour les Français est également partagé entre l'extrême droite et l'extrême gauche.

Un excellent livre, qu'on ne saurait trop recommander, vient de rappeler opportunément comment les Français, contrairement à une légende tenace ressassée aujourd'hui par les Anglo-Saxons, se sont battus en mai-juin 1940 "comme des lions"(1), cumulant des actes de bravoure aussi admirables que méconnus (photo). Moins mal dotés en matériel et beaucoup plus courageux qu'on ne l'a dit, ils furent entièrement victimes des erreurs du commandement. On mesure mieux dès lors l'imposture du régime de Vichy : ceux là même qui avaient si mal commandés les Français prirent alors le pouvoir et les mirent en accusation, imputant le désastre non à leurs erreurs propres mais aux vices et à la décadence d'un peuple invité à la repentance.

Il n'est pas innocent que le seul prix Nobel de littérature attribué à un Français au cours des dernières années l'ait été à Claude Simon, dont la Route des Flandres relate cette retraite désordonnée : les étrangers n'ont que trop bien retenu la légende noire colportée par Vichy.

Un autre livre vient de régler son compte à la mise en accusation de la France par les étrangers et l'auto-accusation par certains de nos compatriotes dans le génocide du Rwanda (1994). Pierre Péan (2) établit clairement que notre pays n'a rien à se reprocher dans cette affaire, au contraire. L'auteur, quoique homme de gauche, est cloué au pilori par un grand journal du soir : une page entière contre lui, sans contradiction, ce qui montre à quel point justifier la France même quand elle a raison peut être un discours gênant pour certains.

Car aujourd'hui la mise en accusation de la France et des Français ne vient pas seulement d'une droite aigrie, elle vient plutôt de l'autre bord. Ainsi, pour une certaine gauche, notre histoire coloniale n'aurait été qu'une longue suite de crimes. Accusation inacceptable que les députés viennent fort opportunément de rejeter. S'engager sur cette voie eut été ouvrir la boîte de Pandore de la haine.

Par delà la France, l'affaire intéresse toute l'Europe. La colonisation outre mer fut pour l'Europe un pan si essentiel de son histoire que l'on ne saurait lui jeter de manière unilatérale l'opprobre, sans lui demander de renier ce qu'elle a été, sans demander à ses jeunes générations de haïr leurs propres origines. La colonisation fut plus qu'un fait historique, elle exprima une constante anthropologique : jamais aucune civilisation plus avancée et plus puissante que ses voisines n'a renoncé à déborder sur elles, pour le meilleur et pour le pire. À quand la demande en réparations aux Italiens pour le génocide des Gaulois qui suivit la bataille d'Alésia ?

Est-il nécessaire de dire que cette Europe dont on diabolise le passé est d'abord une Europe chrétienne ? Le pape Benoît XVI, en appelant récemment les Européens à "s'aimer eux-mêmes" allait sans doute au cœur du problème d'un continent aussi recru d'histoire que - la démographie le montre - fatigué de vivre. Les Croisades sont régulièrement mises en accusation par le monde musulman avec la complaisance des médias européens : elles ne furent pourtant qu'une reprise temporaire et localisée d'un tout petit bout d'un immense Empire arabe conquis entièrement par les armes au préjudice de la chrétienté et d'autres civilisations. N'oublions certes pas qu'un demi-million de juifs et de musulmans furent expulsés d'Espagne en 1492, mais faut-il pour autant passer sous silence, comme le font la plupart des manuels scolaires, qu'un million de chrétiens et de juifs le furent d'Algérie en 1962 ?

"Il faut aimer son prochain comme soi-même." Avec sagesse le précepte sacré ne dit pas "plus que soi-même", parce que c'est impossible. C'est pourquoi ceux qui se haïssent eux-mêmes — les élites qui méprisent leur peuple, les jeunes à qui l'on fait détester leur passé — ne sauraient être de bons amants. La xénophobie procède toujours de la haine de soi. Seuls les grands patriotes sont bien accueillis à l'étranger : qu'ils aiment leur propre patrie garantit qu'ils pourront aimer celle des autres. Les peuple du tiers-monde où la haine de soi et le vertige de l'auto-accusation ne sont pas encore entrés dans les mœurs ont toujours préféré les Français qui, comme le général de Gaulle, aiment la France.

L'amour est contagieux. La haine l'est aussi, selon le mécanisme de la mimésis mis en relief par René Girard, reçu sous la Coupole ce 15 décembre. Se haïr, c'est inviter les autres à vous haïr, ce qui n'est pas non plus forcément bon pour eux. La traite des Noirs fut assurément un épisode peu glorieux de l'histoire de l'Occident mais ni plus ni moins que les autres traites. En faire une sorte de péché originel, irrémissible, lui, à la différence de celui de la théologie, reviendrait, en même temps qu'à condamner les Français à la haine de soi., à cristalliser les Antilles dans une identité du ressentiment sans issue, dégradante pour l'admirable civilisation qu'ont su y construire leurs habitants.

Sachons enfin, si l'on peut encore, comme individu vivre dans la culpabilité un héritage reçu, qu'il soit national, culturel ou religieux, on ne peut plus le transmettre. Ni à ses enfants, ni aux nouveaux entrants issus de l'immigration. Par la puissance du mimétisme, la seule manière d'intégrer les autres est de s'aimer soi-même.

*Roland Hureaux est essayiste. Dernier ouvrage paru : Jésus et Marie-Madeleine, Perrin, 2005

Notes

(1) Dominique Lormier, Comme des lions, Calmann-Lévy, 2005

(2) Pierre Péan, Noires fureurs, Blancs mensonges - Rwanda 1990-1994, Mille et Une Nuits, 2005

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