Article rédigé par Philippe de Saint-Germain, le 02 mai 2002
L'ancrage politique des catholiques à droite se confirme, même si le camp conservateur modéré les déçoit de plus en plus. C'est la leçon qu'on peut tirer du premier tour de l'élection présidentielle, à l'appui de deux sondages, l'un réalisé par la Sofres pour La Croix sur les intentions de vote, le second par l'institut CSA pour La Vie à la sortie des urnes, cette dernière formule étant réputée très fiable.
Par définition, le vote catholique concerne les électeurs qui, d'une manière ou d'une autre, non seulement se reconnaissent catholiques, mais le prouvent par un comportement au for externe suffisamment crédible pour être retenu. Jusqu'à présent, on n'a rien trouvé de mieux pour en juger que la participation à l'obligation dominicale. Parler de vote " catholique " à propos des Français qui se reconnaissent comme tels en vertu de leurs propres critères n'a donc guère de sens, même si c'est ainsi que médias et sociologues en parlent (cf. les dernières éditions de La Croix, La Vie, Histoire du christianisme magazine). La meilleure preuve en est que le catholique non pratiquant vote globalement comme tout le monde.
Deuxième remarque, qui découle de la précédente : le vote des catholiques est marginal en terme de poids politique. Légèrement moins nombreux qu'en 1995, ils représentent 10 % du corps électoral, soit près de 4 millions d'électeurs. Considérés comme se rendant à la messe au moins une fois par mois, on peut estimer que seule la moitié d'entre eux est vraiment fidèle à l'obligation de la messe dominicale (enquête CSA pour La Croix du 24 décembre 2001).
L'analyse du scrutin montre que ce vote est relativement " pluriel ", ce qui n'est pas une surprise pour des croyants attachés par dessus tout à la liberté de conscience. Le choix des catholiques est guidé par des considérations réfléchies et très personnelles, notamment à l'égard des orientations suggérées par l'épiscopat. Celles-ci ne sont manifestement guère prises en considération, comme le remarque l'évêque de Lille Mgr Defois (La Vie, 25 avril). Le sensum fidei des baptisés laïcs semble répondre ici d'une part à une exigence morale qui définit bien sa propre hiérarchie des risques et des priorités, et d'autre part à des considérations plus politiques sur l'efficacité de son vote.
Il faut voir dans ce découplage deux préoccupations distinctes : le citoyen catholique assume en conscience sa responsabilité politique ; les autorités religieuses, notamment à travers les organes compétents de la conférence épiscopale, ont un souci pastoral largement orienté vers la reconquête du laïc non-pratiquant (Mgr Defois, La Croix, 25 décembre 2001), et vers la défense du message et des intérêts de l'Église selon une ligne traditionnellement consensuelle. Il en ressort que l'appréhension des priorités n'est pas toujours la même.
Comment donc ont voté les catholiques pratiquants ? Premier constat : de moins en moins à gauche. Même en lui attribuant les suffrages accordés à J.-P. Chevènement, ils ne sont que 19 % à avoir soutenu la gauche plurielle (30 % en 1995). À noter : l'abandon en cours de route de J.-P. Chevènement, crédité de 7 % des intentions de vote début avril, mais qui ne réunit plus que 2 % à la sortie des urnes. Le vote d'extrême gauche est lui aussi en baisse : de 6 à 4 %.
À droite, le total des voix est stable, mais aux dépens des modérés. Héritier distant de la Démocratie chrétienne, François Bayrou peut se féliciter d'avoir attiré 12 % des voix catholiques, acquises d'emblée. Chez ses concurrents, deux mouvements contradictoires semblent s'être opérés à l'examen de la différence entre intentions de vote et choix définitifs : 1/ un effet radicalisation au profit de Jean-Marie Le Pen qui passe de 7 % à 19 %, dont Jacques Chirac est celui qui a le plus souffert ; 2/ un effet vote utile qui frappe surtout Christine Boutin, qui passe de 9 % à 5 %. Le vote en faveur du député des Yvelines était très attendu, tant son programme et sa personnalité paraissaient en connivence avec l'électorat catholique conservateur, même si elle a cherché à s'en distinguer au début de sa campagne. Elle n'a pas fait le plein, loin s'en faut, mais comme Philippe de Villiers avant elle en 1995.
Ce point mérite d'être souligné pour saisir les motivations de l'électorat catholique. Si le président du MPF avait réussi à conquérir des suffrages puisés sensiblement au-delà de sa famille d'origine (pour atteindre 4,8 % des voix), il n'avait pas davantage capté l'électorat chrétien, alors même qu'il était jugé par les catholiques le candidat le plus représentatif de leur famille religieuse (Sofres-La Croix, mars 1995). C'est ici sans doute qu'interviennent des considérations tactiques et psychologiques sur l'efficacité de son vote (vote utile), la pertinence des stratégies, et la personnalité des candidats, tant il est vrai que les personnes comptent autant que les programmes.
Il reste que pour les catholiques, la mystérieuse alchimie du choix politique, entre choix moral et choix stratégique, fait référence à des critères d'appréciation qui ne doivent rien au hasard. Pour eux, il existe bel et bien une hiérarchie des priorités, et celle-ci repose sur une vision de l'homme qui structure la vie en société. C'est celle-ci qui permet de déterminer ses choix, car tous les projets politiques ne se valent pas. En outre, la vraie politique exige que les problèmes ne soient pas traités en surface. Sans une totale liberté d'esprit pour appréhender les questions de fond, on se condamne à patauger dans le marais des idées reçues.
Ceci explique les réticences de l'électorat catholique pour les discours consensualistes, généreux en bons principes, mais qui font systématiquement l'impasse sur les causes morales du délitement social. Or le propre du politique est de rendre possible dans les faits et non dans les mots ce qui est justement et généreusement nécessaire. Confronté chaque jour aux réalités du monde, le laïc catholique sait qu'une société qui fait de l'avortement un droit n'est pas disposée à accueillir l'étranger comme il se doit. Il sait qu'une communauté qui renonce à sa souveraineté culturelle n'est pas en mesure d'honorer ses engagements internationaux. Il sait que la raison politique est libre et se méfie des slogans. Il ne redoute pas le prix de la vérité.
L'honneur des catholiques est de rappeler ces évidences, à temps et à contretemps, c'est leur contribution essentielle au bien commun. Leur mission, de donner à ce message une traduction politique qui se cherche encore.
Élection présidentielle
Le vote des catholiques pratiquants (en %)
1er tour 2002 : (1) Intentions de vote (Sofres-La Croix) ; (2) Sortie des urnes (CSA-La Vie)
1er tour 1995 : (3) Sortie des urnes (BVA-Le Monde)
J. Chirac : (1) 37 (2) 31 (3) 26
J.-M. Le Pen : 7 19 8
L. Jospin : 11 9 15
F. Bayrou : 12 13 (37 pour E. Balladur)
A. Laguiller : 2 2 4
J.-P. Chevènement : - 7 2
N. Mamère : 3 2 (2 pour D. Voynet)
O. Besancenot : - 0 2
J. Saint-Josse : - 1 4
A. Madelin : - 6 5
R. Hue : 2 1 3
B. Mégret : - 0 1
C. Taubira : - 1 1
C. Lepage : - 2 3
C. Boutin : 9 5 (5 pour Ph. de Villiers)
D. Gluckstein : - 0 0
Ss-total gauche plurielle : 17 13
Ss-total gauche extrême : 2 4
Total gauche : 19 17 30
Ss-total droite parlementaire : 68 57
Ss-total droite extrême : 7 20
Total droite : 75 77 76
Nota : Chevènement
+ St-Josse non classés 8 6
Les catholiques au sein du corps électoral
(1) 1995 (Louis Harris-Golias)
(2) 2002(Sofres-La Croix)
Pratiquants réguliers : 12 10
Pratiquants occasionnels : 63 59 (a)
Total catholiques : 75 69
Autres religions : 5 9
Sans religion : 20 22
(a) Dont 10 % ne se rendent jamais à la messe.