Article rédigé par Roland Hureaux, le 18 mai 2005
Le seul problème de l'Europe dont il ne soit jamais question à Bruxelles est aussi le plus grave. C'est la démographie européenne. Depuis 1975, tous les pays d'Europe sont passés les uns après les autres au-dessous du seuil permettant la reconduction des générations à l'identique : un taux de fécondité de 2,1, soit 21 enfants pour 10 femmes.
La moyenne européenne se situe au-dessous de 1,4, soit un tiers en moins de ce qu'il faudrait pour assurer la simple reproduction de la population. Ce qui signifie que la population d'origine européenne est appelée à diminuer d'un tiers tous les 30 ans environ : 100 aujourd'hui, 66 en 2030, 44 en 2060, 29 en 2090, 19 en 2120 etc. Certains pays sont moins frappés que d'autres, comme le France ou l'Irlande( fécondité : environ 1,9) mais s'ils s'approchent plus que les autres du seuil de renouvellement, ils ne l'atteignent pas non plus.
S'il est un problème commun aux pays de l'Europe à 15 ou à 25 et d'une extrême gravité, c'est bien celui-là. Or c'est un des rares dont les institutions de l'Europe de Bruxelles ne s'occupent pas, voire sur lequel elle a un rôle franchement négatif.
Que l'Europe ne s'occupe pas de politique familiale est compréhensible si aucun texte ne précise que cela entre dans son champ de compétence. Cela n'en est pas moins curieux si l'on considère que l'Europe a vocation à devenir un État : la politique familiale est – comme la Sécurité sociale - le signe par excellence, de la solidarité au sein d'une communauté humaine ; elle est ensuite le moyen de préparer l'avenir de cette communauté dans le cadre d'un destin partagé. En considérant que la politique familiale est du ressort exclusif des États , l'Europe de Bruxelles considère, de fait, à l'encontre de tout son discours officiel, que le seul vrai lieu de solidarité sociale et historique demeure l'Etat national.
Mais il y a pire : les institutions de l'Union, singulièrement le Parlement européen, sont imprégnés des idéologies les plus hostiles à la famille et à toute idée de politique familiale. Un Conseil des ministres consacré à la famille eut lieu en 1989. Il n'aboutit qu'à des résolutions fort timides, dont la rédaction chaque année d'un rapport démographique. La tonalité de ce texte et d'autres analogues, qui n'ont aucun caractère directif, est de préconiser aux États des mesures d'adaptation à un vieillissement tenu pour inéluctable , notamment une extension du travail des femmes et une immigration accrue en vue de combler les trous dus à la dénatalité. L'intergroupes famille du parlement européen a aujourd'hui disparu. Le rapport Hermange de 1999, plus favorable, demeurait cependant circonspect. Un des rares pays qui avaient tenté de se ressaisir en matière démographique, la Suède, dut couper son budget familial et rentrer dans le rang pour se mettre aux normes européennes.
Les résolutions du Parlement européen concernent les enfants , tels qu'on les trouve sur les banques de données, traitent plus souvent la lutte contre le travail des enfants au Pakistan ou en Amérique latine que la nécessité que l'Europe ait plus d'enfants. Le " politiquement correct " ultraféministe ou la défense des homosexuels ont davantage les moyens de s'exprimer que le souci démographique. La Constitution européenne, très soucieuse de bannir toute discrimination fondée sur l'" orientation sexuelle " ne dit presque rien de la famille.
Si l'Europe doit se ressaisir en matière démographique, ce n'est ni de Bruxelles ni de Strasbourg qu'elle doit attendre l'impulsion.
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