Article rédigé par Jean-Frédéric Poisson*, le 08 avril 2011
Annoncé à grands frais, le projet socialiste pour la présidentielle de 2011 devait casser la baraque . Il serait rassembleur, inventif, adapté à la situation de la France, moderne, efficace, social, juste, équitable, etc. En un mot, il engagerait très exactement tout ce que le président de la République, la majorité présidentielle et les formations associées ne font pas. Il serait à la politique gouvernementale ce que la cuisine étoilée est à la tambouille.
Tu parles, Charles ! En fait de cuisine de restaurant étoilé, on sert une restauration de vieille cabane de plage à l'huile de friture 2002, le soleil en moins. C'est sans doute la volonté socialiste de se concilier les Verts qui a conduit la rue de Solférino à se spécialiser dans le recyclage !
Les 110 propositions de Mitterrand sont devenues les 30 d'Aubry : la crise est passée par là aussi, mais elle n'est passée que là ! Profusion d'emplois publics, assistance généralisée, plafonnement des rémunérations, intrusion déraisonnée de l'État partout, comme d'habitude absence totale de financement... et donc recours dissimulé mais généralisé à la pression fiscale... Voilà pour résumer dans les grandes lignes le projet socialiste, qui ressemble comme un frère-camarade à celui de la gauche plurielle (vous vous souvenez, la gauche plurielle ?) de Lionel Jospin. D'ailleurs, pas plus que les intentions, les auteurs, à part l'absence de J.-P. Chevènement, n'ont pas changé non plus (Aubry, Fabius, Strauss-Kahn).
Dragage
Même les décisions les plus symboliques (et en passant les plus contraires aux traditions socialistes...) ne sont que des tentatives à peine camouflées de dragage des autres formations gauchères. Deux exemples. 1/ La sortie du tout nucléaire en vingt ans est une plaisanterie, et de fait n'engage à rien... puisque nous ne sommes déjà pas aujourd'hui dans le tout nucléaire ! Une seule raison : ne pas fâcher les Verts, en adoptant un de leurs thèmes phares, et en leur concédant un point de méthode essentiel : le refus de prendre en considération les données scientifiques dès lors qu'elles ne servent pas leurs thèses. On peine à qualifier une telle attitude de la part d'un parti de gouvernement. 2/ Plafonner les rémunérations des dirigeants des entreprises dont l'Etat détient une part de capital : faire plaisir aux gauches communiste, trotskyste et mélenchonienne , mais concerne en fait une demi-douzaine de personnes en France, et même pas tous les dirigeants des entreprises qui répondent à ce critère (la SNCF et La Poste, par exemple, dont dirigeants ne seraient pas touchés par une telle disposition). Ça règle quoi ?
Mais surtout, ce projet socialiste est un authentique message de désespérance adressé au peuple français. Il ne s'agit pas de nier que le pays traverse une période difficile, douloureuse, sous tous rapports. Mais les socialistes ont au moins une modernité de retard. Ils croient toujours que l'Etat est neutre et nécessairement compétent pour toutes choses. Ils confondent la protection demandée par les Français et l'assistance qui les méprise. Ils n'ont pas compris que la meilleure manière de renouer avec la prospérité est de contenir l'Etat dans ses responsabilités régaliennes. Ils sont muets sur le financement de la protection sociale et la réduction des déficits publics. Ils sont encore convaincus que les 4% et quelque de croissance annuelle qu'ils ont connus avec Lionel Jospin étaient dus à leur propre politique. Ils oublient que le rétablissement de la retraite à 60 ans mettra par terre définitivement notre retraite par répartition. Ils ne disent rien du monde du travail ni du dialogue social. Ils continuent d'ignorer l'importance de la stabilité du milieu familial pour le pays. Ils n'entendent pas que la jeunesse de notre pays réclame avant tout un avenir, un travail et des motifs d'espérer, et pas l'attribution compassée et désespérante de 200 euros par personne pour partir en vacances. Ils comptent sur une croissance à 2,5% par an pour financer tout ce bazar... quand le FMI lui-même ne table pas sur plus de 1,8%, et le Président (socialiste !) de la commission des finances de l'Assemblée nationale sur 1,5%...
Crise de la pensée
A la fin du compte, ce projet est le signe d'une double crise interne du Parti socialiste, qui ne laisse pas d'inquiéter. La première est une crise de la pensée politique : une telle pauvreté d'imagination et d'innovation politiques lancées à si grands frais renforce l'impression que cette grande formation politique n'a rien appris en quinze ans, et que ses responsables politiques ont certainement passé les trois dernières années de leur vie sur Sirius... La crise que nous continuons de traverser n'est pas seulement une crise du libéralisme : elle est également une remise en cause évidente des politiques fondées sur la redistribution d'une richesse que l'on n'a pas. Le modèle de l'Etat-providence n'est pas moins choqué par le temps que le modèle du capitalisme financier. La gauche française ne cesse de vilipender le premier en omettant de seulement interroger le second : c'est bien le signe d'une incompréhension manifeste de notre période.
La seconde est une crise d'unité et de solidité. Certainement, l'heure est aux formations politiques bigarrées, et qui peinent à satisfaire, en ces temps de crise où tout vacille, les différentes sensibilités inscrites en leur sein... Mais nous sommes ici très au-delà des dissensions visibles dans toutes les organisations. Un certain nombre des dispositions incluses dans ce projet sont clairement en dehors des traditions du socialisme français, et n'ont de sens que celui de concessions sans contrepartie aux partenaires politiques potentiels des socialistes. Sans doute est-il d'usage de rechercher des compromis pour parvenir à gouverner, mais cet exercice est habituellement réservé aux stratégies d'entre-deux-tours. Et nous sommes ici très avant le démarrage de la primaire interne ! À lire ces textes d'avril 2011, on frémit à envisager ce que pourraient être les accords de mai 2012 avec les autres formations ici draguées. On est même allé (le journaliste Serge July sur RTL) jusqu'à comparer ce projet avec un Lego (ce beau jeu pour enfants n'a pas mérité ça !!), susceptible de permettre toutes les constructions ! Et donc nous en verrons de toutes les couleurs, c'est entendu, mais à quelques dizaines de milliards d'euros (on ne sait pas vraiment combien, en fait), ça fait tout de même cher la boîte !
Purement politicien
Ceci étant dit, le projet du PS doit permettre d'aller au-delà de la critique. Il est le signe d'une situation politique vraiment et profondément troublée : ceci n'ajoute rien à la crédibilité de la copie, mais donne l'occasion de compléter le regard porté sur l'état de notre système politique.
Ce projet est tout d'abord très utile. En renouant avec ses lunes les plus vieilles, il clive. Il rétablit l'opposition droite-gauche au moment où tout le monde avait l'impression que, au moins sur les sujets socio-économiques, la différence s'estompait. Tout ceci se fait certainement à la grande satisfaction de l'aile gauchère du parti, mais qu'en feront les modérés Hollande et Strauss-Kahn ? Du reste, la cacophonie interne n'a pas tardé. Au moment où les dirigeants socialistes expliquent que ce projet engagera le candidat du parti, François Hollande fait entendre qu'il souhaitera y faire son marché tranquillement... et DSK prend le soin de faire préciser par ses lieutenants établis en France que le projet a été préparé avec eux, sans doute pour mieux s'en écarter le moment venu. Primaires , quand tu nous tiens...
Deuxièmement, il marque une réelle confusion entre ce que doit être un projet présidentiel et les exigences d'une plate-forme législative. Cette confusion porte également sur les institutions et l'esprit de l'élection présidentielle, de la part d'un parti politique qui n'a adopté la Cinquième république qu'à contrecœur, et parce que le président Mitterrand en avait parfaitement saisi les subtilités. Ce phénomène de catalogue censé satisfaire tous les clients d'une politique qui ne doit s'exercer que par correspondance est l'antithèse d'une vision pour le pays, et pour son inscription dans l'Europe et dans la mondialisation.
Troisièmement, ce projet PS sans souffle, sans idée nouvelle, socialiste à la grand-papa, est un projet auto-satisfait. Comme si les socialistes s'étaient dit 1/que l'heure n'est pas aux programmes sérieux mais à l'union de la gauche (une union, comme autrefois, dont tout le pays paiera les frais de noce et la dot des Verts), et 2/qu'il suffit de dire le contraire de ce que fait le Président de la République pour gagner la présidentielle et-on-verra-bien-après .
Malheureusement, l'état du pays et la cote actuelle du président de la République peuvent éventuellement permettre de le penser. Mais on ne transforme pas si facilement une tenue de camouflage et du noir de charbon sous les yeux en du maquillage de star et de la haute couture : ce projet est en définitive purement politicien, et son premier objectif consiste évidemment à ne compromettre aucune alliance ni engager aucun candidat. Les premiers absents en sont le bien commun du pays et l'espérance pour les personnes, qui s'effacent derrière l'intérêt court-terme très identifié du PS.
Si la volonté de gagner est sans doute à l'heure actuelle plus nette à gauche qu'à droite, elle n'excuse pas toutes les insuffisances. On ne met pas un pays à genoux par seul souci de révérence à l'anti-sarkozysme.
*Jean-Frédéric Poisson est ancien député des Yvelines, secrétaire national de l'U.M.P.
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