Article rédigé par François Martin, le 22 novembre 2011
L’Afrique, c’est bien connu, est une terre de paradoxes. Mais le paradoxe n’est pas toujours là où on le cherche. Il n’est pas tant dans l’Afrique elle-même que, souvent, dans la tête de ceux qui la regardent.
En effet, comment se fait-il, alors que l’on sait que la démographie d’aujourd’hui fait les actifs et les consommateurs de demain, que la démographie africaine, remarquable, est perçue comme un fardeau et non pas comme une chance ? Comment se fait-il que l’Afrique est toujours considérée comme un continent de pauvres, alors que la pauvreté ne cesse d’y baisser ? Comment se fait-il que ce continent soit le champion de l’exode rural et de l’immigration, alors que les structures sociales et économiques y sont essentiellement agricoles, et que les terres y sont remarquables ? Comment se fait-il que ce soit le continent à qui l’on prête le moins, alors que c’est celui qui a le moins de dettes ? Comment se fait-il enfin que l’Afrique véhicule encore souvent une image de « continent à problèmes », de « menace », alors que c’est au contraire le plus grand réservoir de consommateurs et de matières premières, la meilleure opportunité existant au monde aujourd’hui ?
D’où vient ce paradoxe ? La mondialisation chamboule tout, mais nous ne changeons pas facilement nos paradigmes. Nous voyons encore trop souvent ces pays avec nos lunettes postcoloniales. Ceci est certainement une bonne partie de la réponse…
Par rapport à cela, quel peut être l’impact sur l’Afrique des grands chamboulements actuels, et en particulier des deux plus récents, les révolutions arabes et la crise des dettes souveraines ?
La fin d'un autocratisme
Les révolutions arabes peuvent certainement avoir une répercussion importante, car il existe de nombreuses similitudes entre les situations de certains pays africains et ceux de l’Afrique du Nord et du Moyen Orient. En effet, la croissance moyenne du PIB des pays africains est très bonne [1]. Il s’est constitué dans nombre de ces pays, en une vingtaine d’années, une élite intellectuelle et des affaires, et parfois une vraie classe moyenne, qui veulent plus de possibilités d’initiative, et remettent en cause des pouvoirs dictatoriaux qui, jusqu’à présent, il faut bien oser le dire, faisaient plus ou moins consensus, à l’intérieur (car assurant un ordre auquel les populations sont attachées, et liés aux plus riches par des forts « liens d’intérêt »), comme à l’extérieur (car garantissant la stabilité pour les investisseurs et les employeurs occidentaux). Aujourd’hui, ce modèle risque de ne plus fonctionner. L’exemple du Maghreb nous montre que révolution ne veut pas dire obligatoirement réussite ni prospérité, loin de là. Mais si demain la démocratie tunisienne fonctionne, tout comme elle fonctionne déjà aujourd’hui, et très correctement, dans certains pays d’Afrique noire (Mali, Ghana, Bénin, Nigeria – malgré la violence [2] –, pour n’en citer que certains), les autres pays se diront « Pourquoi pas nous ? ». Il sera alors difficile aux gouvernants de conserver le statu quo, sauf à « livrer », en contrepartie du manque de liberté, suffisamment de croissance [3]. En tout cas, une certaine forme d’autocratisme a sans doute vécu.
Un nouvel atelier du monde
Pour ce qui est de la crise des dettes souveraines, elle marque aussi, à la suite de celle de 2008, un certain changement du comportement des investisseurs, confirmant et accélérant un mouvement que les spécialistes voyaient déjà. Ainsi, 2008 a montré les risques qu’il y avait à s’éloigner de « l’économie réelle », et a marqué le retour à une certaine forme de bon sens : l’investissement pour créer de la valeur ajoutée. Celle que nous vivons ajoute à cela le fait que ce qui constituait autrefois la panacée de la sécurité, les dettes souveraines occidentales, ne sont en réalité pas si dénuées de risques. Tout ceci remet en valeur le vrai métier de l’investisseur : mettre son argent (avec des risques à courir bien sûr) là où la possibilité de création de la richesse est la plus grande. Et pour ce faire, quoi de mieux que l’Afrique ? Ainsi, on constate aujourd’hui un engouement croissant pour ce continent, non seulement de la part des chinois (qui ne sont pas si incontournables qu’on veut bien le dire), mais aussi de nombreux autres (moyen-orientaux, indiens, brésiliens, marocains, tunisiens, sud-africains, etc…), provenant principalement des pays du sud. Tout se passe donc comme s’il y avait aujourd’hui une double inversion des mouvements, avec un désintérêt plus marqué pour le Nord, et une part plus grande des IDE [4] à la fois en provenance du Sud et à destination du Sud. Dans ce mouvement des capitaux Sud/Sud qui s’amplifie, l’Afrique, disposant à la fois des matières premières et de la main d’œuvre, a tout à gagner pour devenir demain, comme la Chine aujourd’hui, l’atelier de production du monde.
Bien sûr, les défis sont nombreux : gouvernance, corruption, agriculture, infrastructure, formation professionnelle, tout est à mettre en chantier. Mais le moindre des paradoxes ne serait-il pas que cette crise mondiale soit la chance de l’Afrique [5] ?
[1] 5 à 6%/an. Pour l’année 2007, par exemple, 5,8% pour une moyenne mondiale de 3,7% la même année. Cf articles précédents « L’Afrique noire, entre menaces et opportunités » et « Partenariat Europe-Afrique : La nature des choses »
[2] Cf articles précédents « Le Nigeria, ou la vie dans la violence » et « Nigeria, entre pétrole et insécurité »
[3] Napoléon disait, nous l’avons déjà cité, « Il est facile de faire porter des chaînes aux peuples, il suffit qu’elles soient en or ». Cynique, mais pas faux. La Chine s’en souvient chaque jour qui passe, Ben Ali l’avait oublié. Certains gouvernements africains, pour survivre, vont devoir l’apprendre par cœur…
[4] Investissements Directs Etrangers
[5] A l’initiative de l’auteur de cet article, une conférence est organisée par l’Association HEC sur ce thème le 7 Décembre, avec la présence de Lionel Zinsou, le banquier béninois bien connu, Président de PAI Partners. Cf événement HEC.
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