Article rédigé par François Martin*, le 06 mai 2011
Au mois d'avril, le nouveau Parlement a été élu, et l'ancien Président Goodluck Jonathan reconduit dans ses fonctions, dans un climat de désorganisation et de violence (plusieurs attentats à la bombe contre des centres électoraux). Cela ne veut pas forcément dire que les choses vont vraiment mal, dans ce pays dont le fonctionnement défie souvent la logique occidentale.
Un journaliste inspiré avait écrit un jour que, comme l'Egypte mosaïque, le Nigeria avait trois plaies : le pétrole, le fédéralisme et la démocratie...
Et de fait, pour les occidentaux, qui croient souvent que le monde leur ressemble, ou du moins qu'il devrait le faire, ce pays est une véritable énigme :
Le Nigeria c'est plus de 150 Millions d'habitants, une capitale économique, Lagos où, sur un petit espace, plus de 10 millions de personnes cohabitent, et où la richesse la plus ostentatoire côtoie la misère la plus désespérée dans une promiscuité incroyable. C'est aussi une production pétrolière assurant 80% des ressources du pays, concentrée dans une seule région, au sud-est du pays (Port-Harcourt et Warri essentiellement), un système fédéral de 36 Etats, pour lesquels la Constitution prévoit que le poids politique est proportionnel à la population (ce qui ne favorise pas, on s'en doute, la régulation des naissances), une élection présidentielle au suffrage universel, de très fortes différences, ethniques, religieuses et culturelles, entre un Nord musulman et un Sud animiste et chrétien et, par-dessus tout, une pègre et un racket omniprésents, une corruption généralisée, un affairisme incroyable et une presse totalement libre, tous les ingrédients existent pour que le pays explose....
Or, force est de constater que ce n'est pas le cas.
Sur le plan politique, depuis la guerre du Biafra, qui a consacré la défaite des Ibos en Janvier 70, les choses ne se sont même pas si mal passées, si l'on veut bien voir les choses par rapport aux enjeux, et non pas par rapport à la perfection démocratique que l'on espèrerait.
Qu'on en juge :
Après le coup d'Etat mené par le Général Murtala Muhamed, puis son assassinat en 75, son second, Obasanjo (un chrétien) rétablit la démocratie, et permet la victoire, en 78, de ShehuShagari (un haussa du Nord). Un nouveau coup d'Etat redonne le pouvoir aux militaires en 83 (Sani Abacha) puis, après sa mort en 98, son successeur rétablit la constitution de 79. Obasanjo revient ainsi au pouvoir, qu'il conserve en 2003. Lui succèdent Yar'Adua(du Nord) en 2007, puis Gooluck Jonathan (du Sud) en 2010, qui vient de se succéder à lui-même le 19 Avril. On constate donc, depuis le début, une volonté démocratique qui ne faiblit pas, malgré la péripétie du pouvoir militaire et quelques coups d'Etat. Depuis, 13 ans, l'alternance se poursuit, avec, à chaque fois, un partage du pouvoir entre Nord et Sud (Président du Nord et Vice-Président du Sud, et une alternance au sommet de l'Etat).
Du point de vue économique depuis plus de 10 ans on constate une belle croissance (6% par an), un enrichissement régulier, avec l'arrivée progressive d'une classe moyenne, un développement de l'agriculture (35% du PIB), et un regain des exportations agricoles et des produits manufacturés. le pays est doté de grande richesse naturelle : il est le premier producteur de pétrole d'Afrique,a le 3ème PIB après l'Afrique du Sud et l'Egypte, et dispose de réserves importantes de gaz, de charbon et de métaux. La corruption et la désorganisation endémiques n'ont pas empêché le pays de valoriser ce potentiel, même s'il le fait mal,
Sur le plan social et de la sécurité, les choses se sont beaucoup améliorées depuis 2000. Les Nigérians, qui vivaient le soir terrés chez eux, envahissent maintenant cafés et restaurants, qui poussent comme des champignons.
Dans le domaine culturel, le pays excelle dans la musique, le cinéma ou le sport. D'une façon générale, les nigérians sont tout sauf des apathiques écrasés par un mauvais destin. Bien au contraire, du haut en bas de la hiérarchie sociale, ils sont débordants d'envie de vivre, d'inventivité, et de dynamisme. Ils ont une faim incroyable de réussite et de reconnaissance, et montrent une rage de vaincre sans limites pour tout ce qu'ils entreprennent, que ce soit licite ou illicite d'ailleurs. Ils sont aussi très nationalistes, très fiers de leur pays.
Comment expliquer ce paradoxe ? Comment expliquer qu'alors que tous les ingrédients sont réunis pour que ça ne marche pas , au contraire, malgré des obstacles immenses, on a le sentiment que ça marche ? Deux éléments peuvent, à notre avis, l'expliquer.
Sur le plan politique d'abord, on peut dire, d'une certaine façon, que les énormes dangers du pays agissent un peu comme la dissuasion nucléaire. En effet, 150 Millions de personnes se partagent une mine d'or, le pétrole. La vie ne compte pas beaucoup au Nigeria, mais après la tragédie biafraise, chacun est conscient qu'il a trop à perdre à la désunion. C'est la base du consensus national. Ainsi, si la corruption, la pression, le chantage, le tirage de corde permanent pour obtenir plus, sont les bases de la politique, chacun sait parfaitement jusqu'où il faut ne pas aller trop loin, parce que si la corde casse, tout le monde est perdant. Au Nigeria, rien de ce qui se passe politiquement n'est gratuit, tout est instrumentalisé dans ce but : émeutes, pogroms, charia, ou encore, par exemple, l'insécurité dans la zone pétrolière. Mais c'est aussi pour cette raison que les institutions fonctionnent.
L'autre raison, c'est la personnalité des nigérians. Avec tous leurs défauts, leur côté ostentatoire et nouveau riche que d'aucuns leur reprochent souvent, leur brutalité dans les affaires aussi (tout est violent au Nigeria, même la morale, même le bien...), il faut reconnaître qu'ils forcent l'admiration, parce qu'ils sont fiers, incroyablement fiers, et incroyablement tenaces. Ils veulent réussir, à toute force : leurs affaires, leur pays, leur démocratie, et tout le reste. Ils y sont contraints, bien sûr, parce que le mot aide n'existe pas au Nigeria et dans un tel contexte, un nigérian défaitiste est un nigérian mort. Mais il y a plus : au-delà de leurs différences, et de leurs problèmes sans fin, et de leurs problèmes sans fonds ils veulent devenir une grande nation. Leur idéal est bien plus grand que leurs difficultés, et leur courage est à l'avenant.
Le Nigeria brûlant, une leçon pour l'occident tiède? Qui pourrait le croire ? Et pourtant...
***