Article rédigé par Roland Hureaux, le 30 octobre 2009
Il est à la mode de dénoncer le programme du Conseil national de la Résistance, origine du prétendu modèle social français , tenu pour une des grandes tares de notre pays depuis soixante ans.
Denis Kessler, un des chefs de file de ce courant, comptait beaucoup sur Nicolas Sarkozy pour mettre à mort cet héritage. Il a dû déchanter, même si l'allégeance du Président à ce programme est surtout verbale. Dans la même veine, Yves de Kerdrel, éditorialiste au Figaro, n'y pas avec des pincettes pour dénoncer [1] dans l'actuel déficit de la Sécurité sociale les effets de la sinistre alliance gaullo-marxiste de 1945. Sinistre, rien que ça !
De Gaulle, responsable du déficit de la Sécurité sociale en 2009 !
Est-il nécessaire de dire à quel point nous sommes là en pleine mythologie ?
Évacuons d'emblée la question politique : la supposée alliance entre De Gaulle et les communistes, si alliance il y eut, ne fut pas plus contre-nature que celle de Roosevelt et Staline ! Dans une guerre totale, on choisit ses ennemis (certains préférèrent que ce fut l'Union soviétique plutôt que l'Allemagne nazie, on sait où cela les mena), on ne choisit pas ses alliés.
De toutes façons, il n'y avait pas que De Gaulle et les communistes dans la Résistance : les démocrates-chrétiens, les socialistes, des libéraux furent partie prenante au même pacte. Dès septembre 1945, De Gaulle dissout les milices, principalement communistes. En 1947, le RPF fut la bête noire du Parti communiste. Mais il faut rappeler surtout que la plupart des mesures sociales ou la politique économique des gouvernements de la Libération, à commencer par l'instauration de la Sécurité sociale, reçurent l'appui unanime de tout l'arc politique : MRP, radicaux, SFIO, PC. Cette politique ne faisait d'ailleurs que poursuivre et amplifier ce qui avant été commencé avant la guerre et poursuivi, quoique avec des moyens limités, par le gouvernement de Vichy.
Et si ceux qui ruminent des rancœurs d'un autre âge jetaient un regard hors de l'Hexagone, ils verraient que tous les gouvernements occidentaux, à l'exception des États-Unis, se dotèrent au milieu du XXe siècle de régimes de protection sociale étendus. Welfare State n'est tout de même pas une expression française ! Soziale Marktwirtschaft (économie sociale de marché) non plus. Ce n'est d'ailleurs pas la France qui alla alors le plus loin en la matière : la Suède, le Royaume-Uni, furent plus radicaux. Aujourd'hui l'assurance maladie obligatoire existe dans tout l'Occident et là où elle n'existe pas encore, aux États-Unis, il est question de l'y instaurer. Les régimes de retraite par répartition sont présents sur tout le continent européen; la capitalisation ne joue qu'un rôle d'appoint.
Cette Sécurité sociale de la Libération ne pesait qu'environ 8 % du PIB, pour 24 % aujourd'hui. Elle n'accablait pas encore l'économie. Les retraites étaient, qui s'en souvient ? dramatiquement faibles jusqu'aux années soixante-dix ; si l'assurance maladie coûte particulièrement cher en France, c'est que notre pays n'a pas fait en 1945 le choix radical du Royaume-Uni au temps de Beveridge d'une nationalisation intégrale du système de santé. La France laissa subsister une médecine et une pharmacie libérales qui rendent difficile le contrôle de l'offre ; le choix de la mixité public-privé, quoique coûteux, nous garantit une médecine de qualité.
Seule vraie singularité française : les prestations familiales, non point dans leur principe car la plupart des pays s'en dotèrent au même moment, mais parce qu'elles furent particulièrement généreuses chez nous. Érodée de tous côtés, la politique familiale à la française nous permet cependant d'être en tête en Europe quant au taux de natalité ; depuis 2000, pour la première fois depuis 1870, il y a plus de naissances en France qu'en Allemagne, ce qui devrait avoir pour effet d'amortir à terme, plus chez nous qu'ailleurs, le poids des retraites.
Le modèle social français est une création récente
Il est vrai que le système social français, qu'on s'en réjouisse ou qu'on le déplore, est aujourd'hui particulièrement lourd. Mais les mesure les plus dépensières (pas seulement pour la Sécurité sociale mais aussi pour l'État et les collectivités locales), celles qui donnent lieu aux abus les plus criants, ne doivent rien à la mythique collusion gaullo-communiste de la Libération : elles datent presque toutes des années récentes.
C'est Valéry Giscard d'Estaing, qui en sus d'une revalorisation massive des retraites destinée à récompenser son électorat âgé, créa l'allocation adulte handicapé (1975) et un régime généreux d'indemnisation du chômage, c'est la gauche qui instaura en 1982 la retraite à 60 ans, en 1989 le RMI, en 2000 la couverture maladie universelle, en 2001 l'allocation dépendance ; la droite en a rajouté une couche en adjoignant le RSA (revenu social d'activité) au RMI, alors même que des hommes de gauche comme Michel Godet avaient prévenu que la nouvelle allocation ne servirait à rien.
Nicolas Sarkozy a renoncé, pour des motifs de communication politique, à la TVA sociale, seul moyen de sortir les régimes sociaux d'un mode de financement pervers et, parmi ses promesses électorales, figure celle d'un quatrième régime de Sécurité sociale, le régime dépendance ! Giscard, Mitterrand, Sarkozy : pas précisément des gaullistes de la première heure — et encore moins des marxistes !
Cessons de fantasmer : le pseudo modèle français n'existe pas et n'a jamais existé ; il y a à la rigueur un modèle européen de protection sociale dont les fondements furent posés au milieu du XXe siècle avec le soutien de toutes les forces politiques, des fascistes (en France, des vichystes) aux communistes, en passant par la démocratie chrétienne et la social-démocratie.
S'il y a eu aggravation de son poids financier chez nous, il date des toutes dernières années.
De Gaulle et Jean Moulin n'y sont pour rien. Laissons les reposer en paix.
[1] Le Figaro, 21 juillet 2009.
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