Article rédigé par Fr. Emmanuel Perrier op*, le 29 mars 2005
Ce matin-là, la terre a tremblé. Ce fut visiblement sans gravité. Rien à voir avec les dramatiques secousses qui ont endeuillé la planète entière il y a quelques mois. Mais il n'empêche que la Terre a tremblé.
Au point du jour, Marie de Magdala et l'autre Marie se rendaient au tombeau. Elles étaient sorties de la ville encore endormie, avaient emprunté en silence le sentier du Golgotha. Ça crissait sous les sandales, l'air était frais, les oiseaux piaillaient déjà. Et c'est en arrivant au jardin que la Terre s'était mise à trembler.
Pourquoi la Terre a-t-elle tremblé ? Saint Jean Chrysostome explique que les saintes femmes s'étaient levé un peu tôt, après deux jours remplis d'épreuves, et qu'il fallait bien ça pour les réveiller. Le séisme comme réveil matin, voilà un miracle bien étrange et qui ne fait pas trembler que les saintes femmes.
Je lisais dernièrement un exégète, un spécialiste de la Bible, eh bien le tremblement de Terre de la Résurrection a sur lui le même effet excitant : " La Résurrection ne suffisait-elle pas ? commente-t-il. Quel besoin l'évangéliste avait-il d'ajouter, en plus, le miracle du tremblement de Terre ? " Et de développer sur des pages et des pages.
Un tremblement qui fait encore trembler
En voilà un autre de miracle ! Qu'il y ait eu un tremblement de Terre au matin de Pâques, c'est déjà impressionnant, mais qu'à deux mille ans de distance le tremblement fasse encore trembler, voilà qui est extraordinaire.
Tout ceci pour dire que nous ne sommes pas à l'abri.
Et, effectivement, l'Église a prévu une vigile pascale. Car il y a bien plus qu'un tremblement de Terre à la vigile pascale, de même que le tremblement de Terre du matin de Pâques ne fut qu'une bien faible manifestation de ce qui se passa à la Résurrection du Christ.
Car ce qu'il y a de particulier dans un séisme, c'est qu'on ne ressent que les effets, l'essentiel se passe sous terre, hors de notre vue. Mais les effets, terribles, sont suffisants pour nous faire comprendre que des forces titanesques ont été libérées sous nos pieds. Un tremblement de Terre, c'est une immense et fantastique libération invisible qui traverse la terre entière. Et Pâques est beaucoup plus qu'un tremblement de Terre.
Pâques est beaucoup plus qu'un tremblement de Terre. Cela veut dire qu'à la vigile pascale nous célébrons quelque chose de beaucoup plus puissant, de beaucoup plus profond, de beaucoup plus miraculeux qu'un tremblement de Terre. Toute la liturgie ne cesse de nous le répéter depuis le début de cette nuit : " Qu'exulte de joie la multitude des anges... " a chanté le diacre, et le ciel et la Terre, et la mer, toute la création, qu'elle exulte aussi. Car la Résurrection est une œuvre aussi grandiose que la Création, aussi grandiose et aussi cachée : elle s'est accomplie dans le secret du tombeau, en un instant, hors de notre vue, et ce que les évangiles nous en rapportent, c'est seulement ce que nos pauvres intelligences peuvent en comprendre, tout comme les sept jours de la Genèse essaient de nous faire comprendre le surgissement instantané, vu de Dieu seul, qu'est la Création.
Mais la Résurrection n'est pas seulement aussi grandiose que la Création, elle concerne toute la création, toute la création y participe. La lecture de l'Exode nous l'a fait comprendre : Dieu n'avait pas besoin de fendre la Mer Rouge pour sauver son peuple. Et pourtant, Il a voulu que la Mer retourne en arrière, Il a voulu que la mer ne soit pas indifférente, qu'elle soit complice du salut des Hébreux. De même, la Terre n'a pas été indifférente à la Résurrection du Christ.
C'est mon choix ?
Ah ! ça dérange nos oreilles modernes ces miracles, ce grondement des flots, ce fracas des rochers, cet hommage de la création à la Résurrection. On voudrait bien vivre la Résurrection entre nous, au chaud, comme les disciples terrés au Cénacle : " La Résurrection, oui, c'est important pour moi, mais il ne faudrait pas que ça dérange les voisins. La Résurrection c'est mon choix, c'est ma petite foi à moi, comme pour d'autres la réincarnation, les extra-terrestres ou le Père Noël. Bah oui, mon pauvre frère, chacun se soigne avec la tisane qui lui fait du bien. Alors, vous comprenez, le tremblement de Terre de Pâques, ça sent le prosélytisme, c'est comme si le toit de l'église tombait dans ma tasse à tisane. Vous savez mon frère, moi ce que j'aime dans la Résurrection, c'est que ça repose sur le témoignage des femmes, comme ça, hein, vous voyez ce que je veux dire... enfin, on reste libre, quoi ! On peut répondre comme les apôtres : c'est du radotage ! "
Et pourtant, la terre a tremblé ce matin-là.
Si donc la Terre, et la mer, et le ciel ne sont pas indifférents au Salut, c'est qu'il y a une complicité secrète entre la création et la Résurrection. Rappelons-nous la prophétie d'Ezéchiel sur les ossements dans la vallée désertique. Il y a la Parole et il y a le Souffle :
La Parole : " Prophétise, dit le Seigneur à Ezéchiel, prophétise et tu diras : ossements desséchés, écoutez la Parole du Seigneur. Ainsi parle le Seigneur à ces ossements... " Et les os se rassemblent, les nerfs, la chair et la peau poussent, les corps se reforment. Voilà la puissance de la Parole de Dieu, Dieu dit et cela est, et cela est bon.
Mais les corps n'ont pas encore la vie. Alors vient le Souffle : " Prophétise au Souffle ! Tu diras au Souffle : souffle sur ces morts et qu'ils vivent ! " Et alors les morts reprennent vie et se mettent debout sur leurs pieds.
La Parole et le Souffle. Comme dans la Genèse, où Dieu crée par sa Parole la terre et le ciel, les mers et ce qu'elles renferment, les animaux petits et grands, et enfin l'homme. Mais pour que l'homme vive, pour que l'homme soit un vivant, il faut encore que Dieu souffle sur l'homme.
La Parole et le Souffle. Le Verbe et l'Esprit.
La Résurrection est encore le temps de la Parole et du Souffle. La Parole, le Verbe fait chair, Jésus avait dit lui-même : " J'ai le pouvoir de donner ma vie et le pouvoir de la reprendre ". La Résurrection est aussi le temps du Souffle, comme l'affirme saint Paul : " L'Esprit qui a ressuscité Jésus d'entre les morts rendra la vie à nos corps mortels. "
Voilà donc pourquoi la Terre a tremblé le matin de Pâques : parce que la résurrection est une recréation, un renouvellement de la création dans la puissance du Christ et dans la force de l'Esprit.
Re-Création
La Résurrection est une recréation.
Elle n'est pas une réanimation comme on en pratique dans les services de soins intensifs de nos hôpitaux. Car la réanimation ne rend pas la vie, elle l'empêche de partir. Petit miracle quotidien de nos médecins, petit miracle à la portée de nos forces humaines.
La Résurrection du Christ n'est pas non plus un simple retour à la vie d'un cadavre comme celui de Lazare, qui a retrouvé la même vie qu'il avait perdue. Car si Lazare est sorti du tombeau, il est bel et bien mort une seconde fois. La résurrection de Lazare est peut-être un grand miracle, qui dépasse nos forces, mais elle n'est pas encore la vraie Résurrection, celle que nous célébrons aujourd'hui. Car nous ne croyons pas au retour des morts-vivants, nous ne croyons pas à la réincarnation, à cette punition effroyable et proprement inhumaine qui consiste à mourir de nombreuses fois. Il ne peut y avoir de vraie vie tant qu'il y a de la mort. Dès qu'il y a de la mort, il n'y a plus de vraie vie. La réincarnation, ce n'est pas le triomphe de la vie, c'est l'échec de la vie à s'affranchir de la mort, un échec infini parce que sans cesse recommencé.
La Résurrection du Christ n'est ni une réanimation, ni un retour à la même vie, ni une réincarnation, la Résurrection c'est la vie pour de bon, c'est enfin la vie, la vraie vie qui n'a plus besoin de mourir, la vraie vie qui ne peut plus mourir. Le Christ ressuscité des morts ne meurt plus, en lui la Mort est morte.
Voilà de quoi réveiller toute la Création, voilà ce qui fait trembler la Terre, ce qui fait exulter les anges, et ce qui réveille les saintes femmes. Voilà ce qui doit nous réveiller nous aussi, car, enfin, il y a du neuf dans notre monde.
L'utopie ou la vie ?
Tant que la mort domine, tout ce que nous faisons, tous nos efforts, c'est de la survie, c'est de la rustine sur un monde déglingué. C'est de l'utopie. L'utopie, c'est l'espérance à la portée du désespéré. L'utopie, c'est de l'opium pour condamné à mort. Et combien de fois ne voit-on pas des chrétiens fumer de ce médicament-là ? " Jésus nous a montré un bel idéal, inaccessible bien entendu, mais bon, ça permet à chacun d'essayer d'être meilleur... " Mais c'est l'Évangile des frustrés ça ! Ou encore : " Ah ! si le monde était comme ci, si le monde était comme ça... " Mais avec des " Ah si... ! " on remet Jésus au tombeau, on referme l'Evangile au samedi saint, on remballe nos aubes de baptême.
Avons-nous bien entendu ? Christ est ressuscité des morts ! La Mort est morte ! La vie nouvelle, la vraie vie a déjà commencé. Elle n'est pas un idéal inaccessible, elle est déjà là, en nous, par le baptême qui nous a configurés au Christ ressuscité, qui nous a greffés sur son Corps qui est l'Eglise.
Et nous n'avons pas à rêver un monde futur, à caresser une utopie. Car le monde nouveau a déjà commencé, dans le Christ qui a vaincu le péché et la mort.
Par le baptême, la vie nouvelle s'écoule déjà en nous comme un torrent dans le désert. La charité du Christ, la vie de la grâce, aucun péché ne peut l'arrêter, aucune mort ne peut la briser, si nous la laissons agir en nous.
Et si nous la laissons agir à travers nous. Car de même que toute la création a participé à la Résurrection, de même sommes-nous appelés à participer au Salut du monde.
Œuvre immense, qui dépasse nos propres forces mais qui ne dépasse pas la puissance du Christ ressuscité et la force de l'Esprit-Saint que le Christ nous a donné. Œuvre immense qui s'accomplit chaque jour par nos tout petits actes de charité, de foi, d'espérance, de justice, de patience, d'humilité, de courage, nos tout petits actes gorgés de la puissance du Christ ressuscité et de la force de l'Esprit-Saint.
Que le tremblement de Pâques nous réveille, qu'il nous ouvre les oreilles au témoignage des saintes femmes.
– Seigneur, notre Père, qu'en nous, qu'à travers nous, ton règne arrive. Alors la joie de Pâques sera complète.
Amen. Alleluia.
* Dominicain de la province de Toulouse. Homélie du dimanche de Pâques 2005.
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