Article rédigé par Arrigoni Gianluca, <i>Tempi</i>, le 04 octobre 2002
Le journal Le Monde vient de prendre 30 % des parts du groupe Publications de la Vie Catholique (PVC – Télérama, La Vie, La Procure). Il en devient le premier actionnaire.
Les deux groupes de presse ont justifié leurs rapprochement par la proximité de leurs fondateurs Hubert Beuve-Méry et Georges Hourdin. Dans l'hebdomadaire France catholique, Gérard Leclerc s'en est étonné, estimant que le puritanisme libertaire n'était pas franchement la tasse de thé de l'ancien cadre d'Uriage, et que la " neutralité affichée " des valeurs du groupe PVC ne serait pas sans inquiéter Hourdin. Au delà des Alpes, on pose carrément la question : comment un journal catholique peut-il se lier les mains avec un organe de presse dont l'indépendance politique est une imposture, une imposture dont on se souvient au Rwanda, par exemple.
[Document] " La nouvelle dont on peut se lécher les babines est la suivante : le groupe éditorial le Monde a récemment achevé l'acquisition de 30 % des Publications de la Vie catholique (PVC), éditeur entre autres de Télérama et de la Vie. Dans un communiqué publié le 24 juillet dernier, le Monde a voulu faire savoir que " la famille Hourdin, Michel Houssin, Geneviève Laplagne, François de La Villeguérin et Jacques Bayet (propriétaires de PVC, n.d.a.) cherchaient un acquéreur pour une partie de leurs actions : un nouveau partenaire qui partage à leurs côtés la préoccupation pour l'indépendance du groupe et le respect des valeurs du christianisme " (en italique dans l'original).
Les propriétaires très laïcs du Monde (une coopérative de journalistes) ont volontiers souscrit l'accord : comme on le dit depuis des siècles, Paris vaut bien une messe.
Mais... car il y a au moins un mais. En 1994 toute la presse française, catholique ou non, a dénoncé le génocide de l'ethnie tutsie au Rwanda, perpétrée par un régime ami de la France de Mitterrand. L'unique exception d'importance fut celle du Monde qui s'essaya à de suspects équilibrismes. En 1998, un livre de l'africaniste Jean-Paul Gouteux (Un génocide secret d'État. La France et le Rwanda 1990-1997, Editions Sociales) raconte quelques scènes du génocide et parle d'une véritable stratégie de désinformation due en particulier au Monde ; il définit comme " honorables collaborateurs " – expression actuellement utilisée pour des journalistes qui suivent les directives des services secrets – le directeur du Monde, Jean-Marie Colombani, et les journalistes du quotidien Jacques Isnard et Jean Hélène.
C'est de là que part la querelle. On met sous accusation le chapitre intitulé " Le rôle des Services secrets ", sous-titré " Des journalistes dans l'ombre des Messieurs Afrique ". Dans ce chapitre, Gouteux met en évidence comment les articles du Monde ont décrit la situation au Rwanda comme s'il s'agissait d'une confrontation à base ethnique entre deux adversaires qui se combattent, les Hutus et les Tutsis, quand en réalité le régime de la famille Habyarimana, autoritaire et raciste, était solidement dans les mains des Hutus et mit en œuvre une véritable stratégie de génocide qui coûta la vie à au moins 800 000 personnes.
Deux années plus tard, le Monde perdit son procès. Dans le jugement du 10 mai 1999 prononcé par le Tribunal de Grande Instance de Paris et favorable à Jean-Paul Gouteux, on tient compte du " témoignage " de Claude Silberzahn, ex-directeur de la Direction Générale de la Sécurité Extérieure (DGSE, les services secrets français) qui en 1995, dans le livre Au cœur du secret, écrit avec Jean Guisnel, à la p.100, à propos de deux interviews publiées par le Monde, écrivait : " Le moment de leur publication a fait depuis longtemps l'objet d'un "complot" avec les amis que j'ai depuis longtemps dans ce journal – et en particulier Jacques Isnard qui les a réalisées et Jean-Marie Colombani qui les a accueillies. Le choix du Monde a été dicté par ma volonté de toucher les capitales étrangères, le milieu des décideurs parisiens. " Si Jean-Marie Colombani et Jacques Isnard surent se rendre utiles aux " services ", dit le tribunal dans son jugement, on ne peut mettre en doute la bonne foi de Jean-Paul Gouteux quand il les définit comme " honorables correspondants ", terme, comme le confirme le tribunal, " habituellement utilisé au sujet de journalistes en relation avec les services secrets ". Le jugement a été confirmé le 31 mars 2001 par la Cour d'appel de Paris.
Respect des valeurs du christianisme ? Mais faites-moi le plaisir, aurait dit Toto (Toto, le " Fernandel " italien, ndt). "
© Traduction Eric Iborra pour Décryptage.