Le fragile "encadrement" législatif du DPI menacé
Article rédigé par Pierre-Olivier Arduin*, le 06 novembre 2008

Alors que le Sénat vient de rendre public un rapport sur le diagnostic pré-implantatoire (DPI) à la veille de la révision de la loi française de bioéthique, des chercheurs anglais affirment avoir mis au point une nouvelle technique de dépistage génétique.

Le diagnostic pré-implantatoire (DPI) est une technique qui permet de dépister des anomalies chromosomiques ou génétiques sur des embryons humains in vitro dans le but de n'implanter dans l'utérus des futures mères que celui ou ceux qui en sont indemnes. C'est un procédé qui a prospéré dans le sillage de l'assistance médicale à la procréation (AMP) dont la raison d'être est l'ingénierie fabricatrice d'embryons humains.
Si le diagnostic prénatal (DPN) est une forme de dépistage in utero ou in vivo, le DPI intervient de manière très précoce in vitro. Pour l'enfant à naître, il n'y a pas de différence éthique quant à son devenir. En cas de maladie avérée, il est passible dans le premier cas d'interruption médicale de grossesse (IMG) dont on apprend d'ailleurs qu'elle est en progression de plus de 10 % entre 2005 et 2006. Dans le contexte du DPI, c'est une destruction à plus ou moins brève échéance qui l'attend. En effet, le décret du 6 février 2006 stipule que les embryons rejetés par DPI peuvent être livrés aux équipes scientifiques qui en font la demande auprès de l'Agence de biomédecine (article R. 2151-4 du CSP).
Eugénisme à mots couverts
Un document de travail publié en octobre par le Sénat veut faire le point sur le DPI avant la révision de la loi de bioéthique en passant au crible les dispositions législatives de neuf pays européens {footnote}Les documents de travail du Sénat, Le Diagnostic préimplantatoire, Série législation comparée, n. LC 188, octobre 2008.{/footnote}. On y apprend ainsi que cette pratique ne va nullement de soi puisque des États, et non des moindres, à l'instar de l'Allemagne, l'Autriche, l'Italie ou la Suisse – soit presque la moitié des nations étudiées – la prohibent strictement sur leur territoire. En ce qui concerne la France, les sénateurs rappellent que la nature du DPI – il entraîne une sélection des embryons – justifie que cette pratique soit encadrée de façon très stricte . L'eugénisme sous-jacent est ici visé à mots couverts ; mais pour les sages, la situation demeure bien sous contrôle puisque la loi de bioéthique du 29 juillet 1994 l'autorise à titre exceptionnel lorsqu'un couple du fait de sa situation familiale a une forte probabilité de donner naissance à un enfant atteint d'une maladie génétique d'une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic (article L. 213164 du CSP).
Autre argument avancé pour se donner bonne conscience : le DPI est un acte biotechnique proposé avec parcimonie. Seuls trois centres sont agréés en France et le dernier rapport de l'Agence de biomédecine mentionne 288 demandes parentales acceptées en 2006. Jusqu'ici étaient concernées des maladies rares comme la mucoviscidose, l'hémophilie, différentes formes de myopathies ou la maladie de Huntington. Le législateur s'est d'ailleurs toujours refusé à dresser une liste de ces affections pour éviter de stigmatiser les malades qui en sont atteints : le DPI est en effet sensé aboutir à terme à une disparition complète de la pathologie en éliminant à la source tous les sujets porteurs du gène défectueux.
Or le caractère soi-disant exceptionnel de cette pratique est en train d'être totalement remis en cause par les scientifiques. Et pourrait être rapidement balayé d'un revers de main. Déjà, on a constaté en début d'année la naissance d'une polémique sur l'extension du DPI à la recherche de prédispositions génétiques à certaines affections cancéreuses, comme les tumeurs du sein ou de l'ovaire. L'Agence de biomédecine en a approuvé le principe au mois de mars sans que le politique n'ait eu son mot à dire. Le Sénat demande à ce titre que la question de l'extension du champ d'application du DPI soit débattu lors de la prochaine révision de la loi de bioéthique. Mais même cette question semble dépassée au regard des travaux de recherche britanniques qui ont fait l'effet d'une bombe dans la communauté scientifique.
Nouveau cap
C'est Jean-Yves Nau, dans l'édition du Monde datée du 26 octobre{footnote}Jean-Yves Nau, L'enfant parfait, quête génétique , Le Monde, 26 octobre 2008.{/footnote}, qui nous apprend que la quête génétique de l'enfant parfait via le DPI est en train de franchir un nouveau cap. Le professeur londonien Alan Handsyde – celui-là même qui a développé le DPI outre-Manche dans les années 80 – a révélé la mise au point avec son équipe une nouvelle technique de séquençage à très haut débit des génomes humains baptisée kariomapping. Il assure que cette étude génétique ultraperformante sur une seule cellule prélevée dans un embryon de huit cellules conçu par fécondation in vitro lui permet d'identifier toutes les caractéristiques associées à une prédisposition au diabète, à des maladies cardiovasculaires ou neurodégénératives.
S'il concède qu'il demeure encore des obstacles techniques à surmonter, tout porte à croire que ce DPI amplifié pourrait être couplé à chaque cycle d'AMP. On aboutirait ainsi à une mainmise génétique coercitive sans précédent sur l'être humain par la médiation des techniques de procréation artificielle. Comment les responsables publics résisteront aux pressions tout à la fois des scientifiques et des opinions publiques majoritairement favorables à la sélection des enfants naître ? Le verrou réglementaire initial – caractère exceptionnel, maladies gravissimes, certitude de la pathologie,... – qui avait permis de rendre plus acceptable le principe même du DPI, n'est-il pas voué à sauter ?
Le professeur Jacques Testard, père du premier bébé éprouvette français, ne nous avait-il pas mis en garde à la fin des années quatre-vingt-dix, avertissant que le contrôle systématique et rigoureux de tous les embryons conçus par AMP était l'objectif ultime de la recherche sur le diagnostic préimplantatoire – laquelle ferait voler en éclats tous les dispositifs juridiques sensés en circonscrire les dérives ? S'il ne se produit pas un sursaut des consciences, tout laisse penser que le DPI universel sera à moyen terme l'instrument technique qui rendra effectifs nos rêves fous de pureté génique.
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