Le combat pour l'homme : leçon politique
Article rédigé par François de Lacoste Lareymondie*, le 29 avril 2009

Les deux premières années du mandat présidentiel de Nicolas Sarkozy comportent pour nous une leçon : il est toujours possible d'agir et d'obtenir des résultats sur les questions les plus sensibles, pourvu que l'on ait barre sur ceux qui exercent le pouvoir, et à condition de se battre vraiment.

La portée efficace d'un vote en conscience
On se souvient du débat qui s'était noué lors de la campagne présidentielle sur ce que nous avions alors appelé le vote en conscience . Refusant de nous enfermer dans des postures d'abstention que certains prônaient en raison de l'imperfection du choix qui s'offrait à nous, nous avions développé cette idée que, quelle que soit la gravité de la situation, la responsabilité du chrétien demeure toujours celle de lutter contre le mal par le bien en progressant avec prudence .

Nous en tirions la conclusion que dans cette appréciation prudentielle du meilleur possible , les options concrètes de chacun peuvent différer légitimement sans remettre en cause leur communion d'inspiration et leur droiture morale : elles sont d'ordre politique, avec toute l'imperfection qui s'y attache et l'aléa d'efficacité dont on ne pourra juger qu'au terme de la route .

Le moment est venu de procéder à une première, et provisoire, confrontation à cet aléa d'efficacité, avec quelques exemples correspondant à la défense des valeurs fondamentales sur lesquelles précisément le débat s'était cristallisé.

Des points marqués
Le premier exemple, sans doute celui qui a fait le plus de bruit mais aussi le plus ambigu, concerne l'extension du travail dominical. Il est d'autant plus significatif que la levée de boucliers a été générale en provenance d'horizons très divers. Alors que le président de la République en avait fait un symbole de son libéralisme, il a dû reculer. En effet, le débat a révélé les arrière-plans peu avouables des intérêts sous-jacents, et la vanité des soi-disant garanties promises aux salariés. Ses promoteurs n'ont évidemment pas désarmé et viennent de relancer le projet avec le secret espoir que le nouveau règlement des assemblées parlementaires maintenant entré en vigueur permettra de réduire les possibilités d'obstruction. Projet atténué sans doute, qui tient en partie compte des objections. Est-ce suffisant ? Qui peut prédire son issue dans le contexte actuel, différent de celui de l'automne ?

Le deuxième, le plus net dans son succès, concerne l'homoparentalité que les lobbies gay avaient cherché à insinuer dans notre droit civil sous couvert du statut du beau-parent . Grâce à une réaction très rapide, notamment auprès des ministères concernés et avec des parlementaires, en s'appuyant sur le démontage immédiat du tour de passe-passe législatif, le projet de loi a été ajourné . Enterré ? Peut-être pas encore ; c'est pourquoi il ne faut pas désarmer. Mais le coup porté, bien ajusté, a fait mouche.

Le troisième concerne l'intervention des lobbies gay à l'école. Sous couvert de lutte contre l'homophobie, le ministère de l'Éducation nationale avait agréé des organismes militant ouvertement pour la promotion de l'homosexualité, afin de leur confier une mission de prévention dans les établissements scolaires. Nous avons mis à jour la manœuvre, dénoncé le détournement auprès des autorités, lancé une campagne de pétition. Pour l'heure, même si des chefs d'établissements peu regardants ouvrent ponctuellement la porte de leur lycée à des associations gay, la campagne nationale destinée à promouvoir leur intervention systématique semble avoir été suspendue, le cabinet s'interrogeant sur la suite et son comment. Jusqu'au changement (annoncé) de ministre ? À suivre...

Le quatrième concerne la promesse faite par Nicolas Sarkozy pendant sa campagne, d'offrir aux couples homosexuels un contrat d'union civile tellement décalqué du mariage que la confusion aurait été totale. Nous avons agi différemment, en prenant les devants pour occuper le terrain, de façon non plus défensive, mais préventive : nous l'avons fait en démontrant la confusion entre CUC et mariage, en élaborant la proposition de dissocier le mariage religieux du mariage civil si l'État devait dénaturer celui-ci, et en intervenant en amont auprès des parlementaires et des évêques. Est-ce parce que le sujet n'a pas paru prioritaire, ou est-ce parce que le contre-feu a été efficace ? Impossible à dire ; mais pour le moment le projet de CUC n'a pas vu le jour.

Les facteurs de réussite
Plusieurs points communs caractérisent ces exemples et expliquent, à des degrés divers, pourquoi le pire que nous prédisaient les cassandres n'est pas toujours sûr.

Le contenu symbolique et politique des questions en jeu est fort, de ceux qui ne laissent personne indifférent : c'est pourquoi ils recèlent une forte capacité mobilisatrice. Signe de la gravité de la situation ? Sans doute. Mais aussi facteur d'espoir car les ressorts profonds de l'homme ne sont peut-être pas aussi détendus qu'on le prétend pour justifier le défaitisme.

Aucun de ces combats n'aurait pu aboutir s'ils n'avaient été alimentés par un argumentaire solide, rationnel, structuré, où les principes anthropologiques fondamentaux ont trouvé leur place : le moralisme, la bienséance et les bons sentiments ne servent à rien ; au contraire ils favorisent nos adversaires qui ont beau jeu de culpabiliser les conformistes et les craintifs.

La convergence de forces issues d'horizons variés, fussent-elles animées d'intentions divergentes, s'est toujours avérée efficace : savoir nouer des alliances, même de circonstance, est un gage de succès alors que l'isolement n'induit que l'échec. Tant pis si l'on ne peut ensuite tirer toute la couverture à soi ; c'est la loi normale de la politique que de rassembler des différences autour d'un objectif précis et partagé.

Le combat a besoin d'acteurs politiques qui s'engagent dans les enceintes de leur pouvoir, avec leur compétence et les ressources que les institutions mettent à leur disposition. Les parlementaires de l'actuelle majorité s'avèrent finalement plus disposés à agir qu'on ne le prétend souvent : encore fallait-il qu'ils fussent du bon côté du manche, c'est-à-dire dans la majorité plutôt que réduits à la protestation par un statut d'opposant. Le rééquilibrage institutionnel opéré par Nicolas Sarkozy a contribué à leur redonner une influence qui s'est avérée précieuse.

La nécessaire parole publique
Et les autorités morales ? Point épineux, mais dont on constate à chaque fois le caractère crucial. Paradoxe d'une société dont l'amoralisme, pour ne pas dire l'immoralité érigée au rang de vertu, a besoin de leur aval et craint leur réprobation. Je ne parle évidemment pas des autorités morales autoproclamées ou médiatiques ; mais de celles qui le sont, parfois malgré elles, en vertu de leur fonction ou de leur statut. Que serait-il advenu si des évêques, en particulier, ne s'étaient pas exprimés sur le travail dominical, l'homoparentalité ou, naguère, sur les manipulations embryonnaires ?

L'échec de l'objection de conscience opposée par le Grand Duc de Luxembourg au projet de loi autorisant l'euthanasie en fournit la contre-épreuve malheureuse. Certes la mobilisation est intervenue tardivement alors que l'affaire était déjà mal engagée ; certes le gouvernement démocrate-chrétien avait basculé du côté du renoncement ; mais on disposait encore de marges de manœuvre et l'acte courageux du souverain avait suffisamment frappé l'opinion pour ouvrir une brèche. Le silence gardé par les autorités morales luxembourgeoises, notamment religieuses, et leur passivité n'ont pas été pour rien dans l'aboutissement de la loi mortifère. Il ne m'appartient pas de juger leurs raisons ; je constate seulement le fait.

Rien n'est jamais perdu ; rien n'est jamais définitivement gagné non plus. Au-delà du truisme propre à ce bas monde, nous savons qu'il en faut davantage pour faire lâcher prise à ceux qui s'attaquent aux valeurs non négociables. C'est donc un combat qui ne cessera jamais, et ne devra jamais cesser, en dépit de la fatigue, du découragement, de l'usure... Notre vie est une course d'endurance.

C'est pourquoi on ne doit pas, non plus, demeurer en permanence sur la défensive : on finit toujours par perdre. Si la défense est indispensable pour résister à l'attaque, la victoire impose de reprendre l'initiative et de porter le combat chez l'adversaire ; c'est vrai dans tous les domaines. Il n'y a qu'un moyen d'y parvenir : ne jamais se taire quand les valeurs fondamentales sont en balance. Qu'il s'agisse de la protection de la vie des plus faibles, de l'amour et du mariage, de la dignité de la personne, de l'éducation des enfants, etc., tant que le couvercle ne se referme pas sur les mauvaises consciences et les renoncements, tant que la question continue de faire l'objet d'une parole publique et demeure un thème politique imposé même à contretemps, les mécanismes du refoulement ne fonctionnent pas, les méfaits se voient, et la société finit par bouger.

Ce n'est pas une question de nombre ; davantage le fruit d'un aguerrissement ; principalement la conviction que le combat pour l'homme finira par être gagné. Le créateur n'a-t-il pas racheté sa créature ? Il ne nous a pas pour autant déchargés de notre responsabilité au sein de la cité : continuons !

 

 

*François de Lacoste Lareymondie est vice-président de la Fondation de Service politique.

 

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