Le CCNE en tribunal des embryons (I)
Article rédigé par Pierre-Olivier Arduin*, le 07 décembre 2010

Dans son dernier avis relatif à la recherche sur l'embryon (avis n. 112), le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) dessine un statut infra-humain de l'embryon in vitro. Le risque, délibéré ou non, est d'en faire un simple matériau pour la recherche.

 

À l'origine de vingt avis publiés en un peu plus d'un quart de siècle, cette instance a développé à partir de la révolution biotechnique que fut l'émergence [de l'embryon] in vitro en 1983 (p. 15), un véritable magistère laïque sur la question de l'embryon où l'élaboration des règles et leur mise en œuvre impliquent des compromis que le principe éthique du moindre mal peut rendre tolérables (p. 11 et p. 49).

Cette logique du moindre mal, dont le CCNE estime qu'elle constitue la structure portante de l'ensemble de sa réflexion depuis son premier avis (avis n. 1 du 22 mai 1984) déjà consacré à cette problématique, aboutit dans le dernier texte qu'il vient de rendre public à la formulation de recommandations éthiques extrêmement précises. Bien que le dernier avis se défende de vouloir trancher en laissant la question ouverte , ce que onze de ses membres lui reprochent (voir dans cette édition, l'explication de Xavier Lacroix), le résultat est on ne peut plus net. Il s'agit :

  • d'autoriser les recherches sur les embryons humains in vitro et les cellules qui en sont issues en supprimant l'interdit légal actuellement en vigueur,
  • d'autoriser à titre dérogatoire la création d'embryons à visée de recherche pour améliorer les techniques d'assistance médicale à la procréation.

De fait, le CCNE a donc décidé d'en finir une bonne fois pour toutes avec ce qui restait de dispositions protectrices à l'égard de l'embryon humain in vitro dans notre système juridique et législatif. Pour défendre sa position, le Comité avance quatre arguments principaux dont les axes de développement traversent l'ensemble des 59 pages de ce volumineux document :

  • décréter notre incapacité rationnelle à octroyer un statut éthique protecteur à l'embryon,
  • substituer au concept de dignité celui de projet parental,
  • présenter la destruction des embryons surnuméraires congelés issus des FIV comme une transgression plus grave que la recherche sur l'embryon elle-même pour retirer à cette dernière tout caractère problématique,
  • ignorer délibérément les avancées scientifiques en matière de cellules souches adultes et reprogrammées afin de s'affranchir de l'obligation légale de mener des recherches sur l'embryon uniquement en l'absence d'alternative d'efficacité comparable en l'état des connaissances scientifiques .

Examinons les deux premiers points.
1/ Exclure l'embryon humain de tout discours rationnel
Si le CCNE rappelle qu'il s'est toujours refusé à donner une définition normative de l'embryon humain (p. 32), il n'hésite pourtant pas à le qualifier, le considérant comme une personne humaine potentielle , un entre-deux qui n'est pas de l'ordre du démontrable (p. 11).
Pour le CCNE, il est vain de tenter d'identifier la nature de l'embryon car celui-ci est une énigme (p. 10, 11, 14, 32, 49). Autant dire une question d'opinion que les sages dédaignent de trancher, évitant d'être tributaires non seulement de considérations philosophiques mais encore scientifiques. Au lieu de faire l'effort de rechercher objectivement ce qu'est en soi l'embryon, le CCNE fait reposer son raisonnement sur le postulat suivant, lequel n'est à aucun moment questionné : il est impossible de fonder rationnellement la valeur de l'embryon humain et le respect qui lui est dû.
S'érigeant en tribunal par défaut, le CCNE choisit in fine de débouter l'embryon en le congédiant de l'humanité. Lui est dénié sans autre forme de procès le statut d'être humain et lui est refusée la protection du principe de dignité. Ce concept de dignité qui devrait être au cœur de toute réflexion éthique sur un sujet aussi fondamental a d'ailleurs quasiment disparu du vocabulaire du CCNE. Un signe qui ne trompe pas.
Pourtant, une parole réfléchie et cohérente sur l'embryon permet de discerner une présence personnelle digne de respect. Les plus récentes acquisitions de la biologie montrent sans le moindre doute que l'embryon est le point de l'espace et du temps où un nouvel être humain débute son propre cycle vital, construisant sa propre forme, moment après moment, de manière autonome et sans aucune discontinuité.
L'Instruction Dignitas personae a récemment rappelé que la réflexion développée par l'Église sur ce point avait démontré la continuité du développement de l'être humain sur la base de solides connaissances scientifiques :

Dès que l'ovule est fécondé se trouve inaugurée une vie qui n'est ni celle du père, ni celle de la mère, mais d'un nouvel être humain qui se développe par lui-même. Il ne sera jamais rendu humain s'il ne l'est pas dès lors. A cette évidence de toujours la science génétique moderne apporte de précieuses confirmations. Elle a montré que, dès le premier instant, se trouve fixé le programme de ce que sera ce vivant : un homme, cet homme individuel avec ses notes caractéristiques bien déterminées [...]. La réalité de l'être humain, tout au long de son existence, avant et après sa naissance, ne permet d'affirmer ni un changement de nature, ni une gradation de la valeur morale [...]. L'embryon humain a donc, dès le commencement, la dignité propre de la personne .

Celui qui n'était encore que le cardinal Joseph Ratzinger avait ramassé cette argumentation dès 1987 dans un texte décisif : Les conclusions scientifiques sur l'embryon humain fournissent une indication précieuse pour discerner rationnellement une présence personnelle dès cette première apparition de la vie humaine [1].
Le CCNE n'a pas jugé nécessaire d'examiner les aspects biologiques du développement embryonnaire précoce qui lui aurait permis de tirer des conclusions éthiques accessibles au simple bon sens : par le fait qu'il existe, chaque être humain dans sa phase embryonnaire doit être pleinement respecté. Au lieu de cela, l'avis 112 présente un galimatias amphigourique révélateur d'un tumulte de la pensée a noté la Fondation Jérôme-Lejeune dans son communiqué.
Le contraste entre le caractère tortueux de la réflexion et la clarté des propos de Benoît XVI lors de la veillée mondiale de prière pour le respect de la vie naissante est saisissant :

En ce qui concerne l'embryon dans le sein maternel, la science elle-même met en évidence son autonomie capable d'interagir avec sa mère, la coordination des processus biologiques, la continuité du développement, la complexité croissante de l'organisme. Il ne s'agit pas d'une accumulation de matériel biologique, mais d'un nouvel être vivant, dynamique et merveilleusement ordonné, d'un nouvel individu de l'espèce humaine. Il en a été ainsi pour Jésus dans le sein de Marie ; il en a été ainsi pour chacun de nous dans le sein de notre mère. Nous pouvons affirmer, avec l'antique auteur chrétien Tertullien : "Il est déjà un homme, celui qui le sera." Il n'y a aucune raison de ne pas le considérer comme une personne dès sa conception .

Parce que la logique scientifique considère la vie humaine comme un processus continu depuis la fécondation, le raisonnement éthique et juridique peut légitimement revendiquer une protection de ce processus au nom du principe cardinal de dignité. La protection de la vie de l'embryon in vitro constitue dès lors un impératif légal qui s'impose à nos responsables politiques, qui plus est en parfaite cohérence avec l'article 16 du code civil qui garantit le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie . Sinon pourquoi le législateur aurait-il inscrit dans les lois de bioéthique le principe d'interdiction de la recherche sur l'embryon et en raison de quoi l'actuel projet de loi du gouvernement souhaite-t-il le maintenir ?
2/ La dimension idéologique du projet parental
Le second argument sur lequel s'appuie le CCNE pour disposer sans entrave de l'embryon humain comme une simple matière vivante est la notion de projet parental. Pour ses membres, la dimension symbolique de ce nouveau concept s'est désormais substituée au lien corporel qui unissait jadis l'embryon avec sa mère. Ce n'est plus le développement biologique qui détermine à lui seul son devenir mais le lien humain dans lequel est inscrit l'embryon. L'inscription dans la lignée humaine ne se résume pas seulement à une donnée biologique, elle procède d'une inscription dans une relation humaine (p. 6).
Le CCNE en déduit qu'il ne peut être porté atteinte à l'intégrité de l'embryon aussi longtemps que perdure le projet parental qui a été à son origine. Lorsque le désir des parents s'éteint, l'embryon quitte notre humanité pour basculer dans le monde des choses appropriables. Cette théorie subversive avait été magistralement développée par le professeur René Frydman lors d'une conférence donnée à l'École normale supérieure :

Le destin de l'embryon dépend du regard que lui portent celui ou celle qui sont à son origine. Inscrit dans un projet d'enfant, il doit être protégé ; à l'inverse, s'il ne dépend plus d'un tel projet, la promesse qu'il contient ne peut aboutir et force est de le considérer comme un amas de cellules, un grumeau de cellules [2].

Cette option anthropologique dévastatrice est celle qui a été également retenue par le rapport final des états généraux de la bioéthique. Du pain béni pour le CCNE qui le cite à son appui. Les jurys citoyens ont en effet considéré que l'embryon tirait son statut de l'existence ou non d'un tel projet. Ils ont affirmé ne pas avoir mis en évidence de principe éthique permettant d'interdire la recherche sur un embryon qui se trouverait voué à la destruction en l'absence de projet parental [3] . Aussi le principe de dignité ne saurait être invoqué pour protéger toute forme de vie potentiellement humaine [...] dès lors que les conditions ne sont plus réunies pour que cette potentialité se développe .
Le rapport des états généraux conclut que c'est la relation à l'autre qui déterminerait le devenir humain de l'embryon, c'est-à-dire son inscription dans un projet parental . Sans projet parental, sans relation, cette vie n'est qu' une matière vivante dont le devenir effectif serait rendu impossible .
Pour les citoyens représentatifs de notre société , le projet parental est revêtu d'une telle puissance qu'il a la capacité de décider de la dignité ou non, de l'humanité ou non, d'un être. Ils distinguent donc les embryons qui sont le fruit d'un projet parental, destinés à naître, qui seraient protégés par la loi civile jusqu'à ce qu'ils basculent dans la catégorie des embryons voués à la destruction ou à la recherche lorsque le projet parental disparaît.
Pour Xavier Lacroix, l'un des membres du CCNE qui a émis avec dix autres membres des réserves sur l'avis rendu, l'erreur anthropologique est ici majeure : alors que l'embryon est initialement couvert par le projet parental, son destin varie au gré de l'intention des parents. Or, s'il est évident que la vie de l'embryon, comme celle de l'enfant, dépend des soins de ses parents, son être n'en est absolument pas tributaire. Ni la volonté, ni l'intention des parents ne peuvent annihiler l'essence même d'un être humain, fut-il à l'état embryonnaire.
Pour le CCNE, la pirouette intellectuelle ne laisse aucun doute. Il s'agit de désigner arbitrairement deux catégories d'embryons humains, ceux qui seraient objets ou non d'un projet parental, de manière à créer des catégories éthiques et juridiques artificielles correspondantes. Dès lors, celle des embryons humains sans projet parental n'auraient plus aucun droit à la vie et les chercheurs pourraient légitimement revendiquer d'en disposer sans contraintes.
Mgr d'Ornellas a longuement interrogé l'incohérence du concept de projet parental, anticipant d'ailleurs l'importance que cette notion allait prendre à l'avenir [4]. L'embryon humain ne change pas de nature en fonction du regard porté sur lui. Ce sont les parents qui changent en ayant d'abord un projet parental, puis en l'abandonnant. L'embryon n'est que la victime de ce changement. Il est soumis à la subjectivité des adultes, laquelle entre en contradiction avec le principe de dignité en vertu duquel il devrait être théoriquement protégé. Une fois l'embryon présent, ce n'est pas le projet parental qui soutient son existence. La relation entre lui et ses parents n'est pas première par rapport à ce qu'il est en lui-même : cette relation exige au contraire solidarité et protection.
Le projet parental n'est-il pas, malgré les apparences, le reflet d'une société individualiste manquant de maturité ? demande le président du groupe de travail des évêques de France sur la bioéthique.

Une société adulte n'atteste-elle pas sa juste maturité quand elle se sent responsable de la génération qui vient, et quand elle s'oblige à ajuster ses propres désirs au bien des enfants qui ont le droit d'exister pour eux-mêmes ? [...]. Chaque être humain existe pour lui-même. Quelle que soit l'attitude des adultes à son égard, l'embryon humain existe indépendamment du regard d'autrui ou du projet de ses parents, comme un être personnel et unique. Donné à l'humanité, il est une source irremplaçable d'enrichissement pour elle. Dès ses premiers jours, il atteste qu'il existe par lui-même. C'est lui qui s'implantera sur l'utérus de la mère et non elle qui le prendra malgré lui. La mère le reçoit, sans le rejeter comme elle ferait pour un corps étranger, et lui devient solidaire en lui fournissant ce dont il a besoin pour vivre. Ainsi, ce n'est pas la mère qui fait l'enfant mais l'enfant qui se fait dans le sein de la mère. Il est un don pour elle, ainsi que pour l'humanité. Le croyant sait que chaque être humain entre dans le dessein de Dieu, quelle que soit la manière dont il est venu à l'existence. Ce nouvel être humain a vocation à être aimé (p. 52).

Sur ce sujet, dans cette édition :
Xavier Lacroix : Nous nous affrontons aux limites d'une éthique de la discussion
La semaine prochaine : La destruction des embryons surnuméraires et l'ignorance des recherches sur les cellules souche adultes.

[1] Congrégation pour la doctrine de la foi, Instruction Donum vitae sur le respect de la vie naissante et la dignité de la procréation, 22 février 1987.
[2] Monique Canto-Sperber (dir.), Éthiques d'aujourd'hui, rencontres de Normale Sup., Puf, Paris, 2004, p. 76.
[3] Toutes les citations sont issues de Alain Graf, Rapport final des Etats généraux de la bioéthique, 1er juillet 2009.
[4] Mgr Pierre d'Ornellas, Bioéthique. Questions pour un discernement, Lethielleux/DDB, 2009, p. 44-52.

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