Article rédigé par Catherine Rouvier-Mexis, le 29 novembre 2002
Ils ont participé à la fête, au Bourget. Ils ont applaudi Rachid Khaci quand il a dit son rejet des "idéaux de 68" ; ils ont crié "Nicolas" quand Sarkozy est arrivé caché par les cameramen.
.. Ils se sont levés pour accueillir Millon venu malgré les oukases... Ils sont à l'UMP parce qu'ils ont voulu la victoire d'un grand parti de droite mais ils souffrent déjà car ils le rêvaient autrement... Ils auraient voulu un chef qui ne fut pas porté au pouvoir grâce au ralliement de la gauche ?
Qu'ils pensent seulement à La Fontaine "car c'est double plaisir de tromper le trompeur". La gauche hurlait au loup depuis vingt ans et sommait la droite républicaine de faire front avec elle dès qu'un présumé " fasciste, nazi, négationniste, révisionniste, pétainiste ou lepéniste " menaçait. Elle ne pouvait pas dès lors se dérober quand "la bête immonde" en personne est apparue aux côtés de Jacques Chirac le soir mythique du 21 avril. Elle était obligée de se rallier et d'assurer ainsi la victoire la plus écrasante qu'un président de la République française ait jamais connue à son irréductible ennemi d'hier.
Ne boudons pas notre plaisir.
Certains d'entre nous se battent depuis non pas vingt et un ans mais trente-quatre ans contre l'hydre soixante-huitarde, son cortège de fausses analyses des vrais problèmes qu'elle n'a fait qu'aggraver et de fausses bonnes idées se muant en vraies catastrophes, son "déconstructionnisme", son matérialisme cynique dissimulé sous un "droit-de-l'hommisme" bêlant.
Beaucoup d'entre nous ont sacrifié leur carrière, leur tranquillité et celle leur famille, leur argent, leur temps, ou leur réputation par simple refus d'abjurer leurs idées comme l'exigeaient l'air du temps et les maîtres censeurs.
À ceux-là il leur aura été épargné de connaître le triste sort des intellectuels russes dissidents qui, exilés de leur patrie, ne connurent pas sa libération d'une idéologie destructrice. Il leur semble que la France leur soit comme rendue par la grâce d'une nouvelle grande peur des bien-pensants qui ont enfin tendu l'oreille vers les cris d'un peuple de droite frustré et furieux de tant d'occasions ratées, d'échecs et d'abdications de la droite parlementaire devant la dévastatrice "culture de gauche" et ses médias aux ordres.
Que ceux qui ont du mal à passer d'une "culture d'opposition" à une "culture de participation" pensent que chaque jour ou presque nous apporte une bonne nouvelle. Chaque jour ou presque quelque chose qui nous choquait est dénoncé par un ministre ou le Premier ministre. Ainsi ces jours-ci le chantage au blocage des routes — qu'il faut soigneusement distinguer du droit de grève — a été clairement contrecarré par le ministre de l'Intérieur.
Il faut parier sur la réussite de ce gouvernement. La déception inhérente à toute aventure, à tout amour, et à la vie même, sera peut être au rendez-vous, mais ce n'est pas à nous de l'anticiper, ou même de la souhaiter par inconscient désir de retour à la confortable position de l'irréductible opposant. Le désenchantement, le soupçon, le scepticisme ne seront que trop agités par une gauche qui a commencé dès le 21 octobre à produire des sondages de sa composition montrant qu'" il ne s'est rien passé depuis six mois "... Il ne faut à aucun prix faire ce jeu qui ne vise qu'au retour au pouvoir d'une clique malade d'avoir perdu.
Ils regrettent la haine qui oppose les deux principaux chefs de la droite, concurrents à la présidentielle ?
Une bonne nouvelle pour adoucir leur peine : Jacques Chirac semble ces derniers temps prendre ses distances avec l'intelligentsia de gauche. Ainsi, d'après Élisabeth Lévy (Les Maîtres censeurs, Lattès, juin 2002), Emmanuel Todd se plaindrait d'avoir été "instrumentalisé par Jacques Chirac". Les voilà donc fâchés, et c'est tant mieux, car les analyses de Todd sont sans doute de celles qui ont trompé le président sur la réalité du phénomène Le Pen.
Du reste Todd n'a rien appris. Toujours content de lui et péremptoire, ce maître censeur-type analysait en effet ainsi dans Libération du lundi 21 octobre "les racines du séisme" : "L'isolement des milieux populaires conduit souvent à des phénomènes d'autisme qui permettent d'expliquer par exemple la montée du FN." Plus haut il expliquait que "dans les couches dites inférieures, 10 à 20 % sont restées calées au niveau de l'enseignement primaire". Le rapprochement s'impose : ce sont ces 18 % d'autistes analphabètes qui ont voté le Pen. Et s'ils sont "victimes d'un dérive à droite", c'est parce que la droite est "servie par son anti-intellectualisme" (tandis que la gauche est, bien sûr, "associée à une certaine forme de réussite éducative").
Certes il a fallu la grande peur du 21 avril pour que soudain le candidat à la Présidence ouvre les yeux sur la vérité, la vraie, soigneusement cachée par les présumés intellectuels parce que de gauche : il existe une droite plus à droite comme il existe une gauche plus à gauche. Ceux qui ont rallié cette droite plus à droite n'exprimaient non pas leur analphabétisme de classe inférieure ou leur maladie mentale, mais leur souffrance politique, due au mépris affiché des élites de gauche pour leur patriotisme, à l'ignorance et aux moqueries des médias vis-à-vis de leurs croyances ou de leurs "valeurs" morales, et à l'exaltation permanente, en parallèle, par ces dernières, des comportements asociaux, illégaux ou amoraux.
Jacques Chirac a-t-il vraiment compris ? Va-t-il imposer à Alain Juppé élu dimanche à la tête de l'UMP un grand parti "républicain" à l'américaine ou un parti "populaire" de type espagnol, clairement à droite ?
C'est l'impression qu'ont eu dimanche ceux qui écoutèrent les ministres portugais et espagnols auxquels la recette n'a pas mal réussi. Aznar l'a martelé, au Bourget : un seul programme, une seule équipe, un seul parti, c'est la condition du succès. Mais on aurait aimé entendre un Italien. Car, contrairement à l'Espagne, la France partage avec l'Italie le privilège d'avoir une droite "plus à droite". Or l'UMP ne l'absorbera pas dans les 15 % totalisés dimanche par le candidat souverainiste Nicolas Dupont-Aignan, ou les 3,5 % du candidat libéral très à droite Rachid Khaci.
L'absence de représentation de l'électorat FN ne saurait durer éternellement, car elle est politiquement injuste et juridiquement contraire à la démocratie. C'est pourquoi on aurait aimé entendre un Italien nous dire comment Gianfranco Fini a réussi à sortir du ghetto son MSI, en le transformant en Alliance nationale aujourd'hui alliée à Silvio Berlusconi dans la Maison des libertés.
Ils auraient voulu que se mettent en place dès la naissance de l'UMP les "mouvements " reflétant les différentes familles de la droite ?
Certes il est difficilement ressenti, dans un premier temps au moins, par les militants et élus non issus du RPR, minoritaires à l'UMP, que Jean-Pierre Raffarin ait interdit les "courants" et que les conditions de création d'un "mouvement" soient difficiles à réunir.
Mais c'est aussi une sagesse que de vouloir d'abord unir les membres de ce nouveau parti sur ce qui les rassemble et de ne pas vouloir trop vite favoriser les clans et les chefs belliqueux qu'ils ne manqueront pas de se donner.
Reste qu'on peut se demander : les unir sur quoi ?
Nous étions quelques-uns à penser que la nécessité de trouver un ciment au melting-pot idéologique qu'est l'UMP ferait sans doute renaître un gaullisme résiduel et sentimental.
Nombre d'entre nous ont aimé d'instinct, enfants, ce vieil éléphant aux yeux parfois pétillants, parfois tristes — qui s'adressait à nous sur les écrans encore noirs et blancs avec cette voix tremblante et forte qu'on ne pouvait oublier, et cette silhouette improbable et gigantesque qui semblait réduire à des dimensions de lilliputiens les politiciens ordinaires — ont lu avec bonheur, plus tard, l'auteur visionnaire du Fil de l'épée ou du joyau ciselé qu'est le Discours de Bayeux, ont aimé " l'idée de la France " qu'avait de Gaulle, ses coups de gueule, ses effets de surprise, sa probité aussi, et ce courage de quitter quand il ne se sentait plus désiré.
Ceux-là pensaient que la grande ombre planerait un tant soit peu sur le berceau de l'UMP. Il n'en a rien été. Le grand absent ne fut jamais cité ; il est bien mort et enterré.
La question de ce qui va unir ces députés et militants disparates de cet Objet Politique Non Identifié reste donc entière. Et la nécessité de ressusciter en son sein les familles de pensée d'autant plus forte.
Pour ceux qui se sentent mal dans ce grand tout indifférencié, le remède est dans l'action. Au sein de l'UMP, se faire connaître de manière à être élu dans les fédérations. Hors de l'UMP, créer, animer des cercles, clubs, associations capables le jour venu de se fédérer et d'agir.
Au Bourget un seul lien puissant semblait unir les juppéistes enthousiastes aux "malgré-eux" : le bonheur d'avoir gagné. Cela seul, cela s'est vu, peut fonder une union autour des héros ovationnés et adulés. Mais il serait prudent de prévoir quelques biscuits pour une route qu'on souhaite longue, quelque breuvage un peu fort pour continuer à marcher quand la griserie de la victoire sera retombée.
Et c'est aux "grognards", comme toujours, que cela incombera.
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