La société de pédiatrie fait l'apologie du DPI
Article rédigé par Pierre-Olivier Arduin*, le 25 février 2011

La commission d'éthique de la Société française de pédiatrie sont agacés par ceux qui  ont parlé d'instrumentalisation du corps humain, et plus gravement encore de bébé-médicament . Ses membres publient une tribune (Le Monde, 15 février) qui encense le diagnostic préimplantatoire des embryons humains et la conception des  enfants du double espoir .  Le DPI porte l'empreinte de l'humanisme médical , telle est la conclusion des auteurs du texte.

 

L'objectif est clair : jeter le discrédit sur tous ceux qui ont osé perturber la grande fête médiatique suscitée par la naissance du premier bébé-médicament français. Leur crime : avoir rappelé que la conception de cet enfant est le résultat technique d'un double tri sélectif en laboratoire afin d'être à la fois indemne de la maladie qui touche ses aînés et compatible avec l'un d'eux pour espérer le guérir, le but de la procédure étant de se servir du sang de cordon recueilli à la naissance.

Plusieurs personnalités ont en effet dénoncé l'instrumentalisation de l'être humain qui accompagne la technique du double DPI. En charge des questions de bioéthique au sein de l'Église de France, Mgr d'Ornellas a ainsi demandé au cours d'une conférence de presse d'abroger cette pratique pour  rendre à notre tradition juridique sa cohérence autour du respect de la dignité humaine qui postule qu'aucun être humain ne peut servir de moyen [...] et que chaque enfant a le droit inaliénable de naître pour lui-même .

L'enfant instrumentalisé ?

Or les signataires de la lettre contestent cette interprétation en faisant valoir que l'impératif catégorique énoncé par le philosophe Emmanuel Kant n'a jamais consisté à demander qu'une personne soit uniquement traitée comme une fin et jamais comme un moyen. Pour eux, la formulation est beaucoup plus subtile :  Agis de telle sorte que tu traites l'humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre toujours en même temps comme une fin et jamais simplement comme moyen . Ce qui signifie dans l'esprit de la commission d'éthique qu'on peut utiliser un être humain comme moyen à la condition qu'il ne soit pas simplement réduit qu'à cela ! Avec pareil raisonnement, on peut à peu près tout légitimer.

Pourtant, la réalité est bien celle-ci : dans le cas du  bébé-médicament , la procréation humaine, via la mise en œuvre d'une fécondation in vitro, est détournée au profit du projet de création d'un être humain dont l'une des missions est d'être un médicament. Qu'on le veuille ou non et même si personne ne doute de l'amour dont l'entoureront ses parents, il n'a d'autre choix que d'endosser le statut de réservoir de cellules pour son aîné malade, soumis qu'il est depuis le début à un projet prédéterminé par autrui. La technoscience a alors toute latitude à exploiter les produits de son corps à la fabrication duquel elle a contribué.

L'utilitarisme est poussé ici à l'extrême, réduisant une personne humaine à un objet jugé à l'aune de son utilité thérapeutique. Peu importe qu'il ne soit pas que cela, il l'est au moins en partie. On notera d'ailleurs que le consentement libre et éclairé de la personne qui est théoriquement la clé de voûte du don de cellules, tissus et organes dans le cas d'un donneur vivant est ici purement et simplement bafoué, l'enfant n'ayant pu par définition exprimer le moindre avis.

L'éthiquement correct

Peu importe les faits, la commission récuse l'emploi du terme de bébé-médicament, jugé méprisant, et exige de lui substituer celui, généreux et compatissant, d'  enfant du double espoir . On le sait depuis Orwell, le contrôle du pouvoir politique et moral sur l'homme passe par celui de la pensée, donc du langage qui la porte. L'éthiquement correct a recours à une mise sous tutelle du langage, forgeant une novlangue sensée nous dire le bien et le juste pour mieux camoufler la transgression. Quand on change le sens des mots, on change la vérité.

La manipulation des consciences est d'autant plus coupable que les auteurs n'évoquent à aucun moment l'existence de méthodes alternatives, laissant soigneusement dans l'ombre l'utilisation des unités de sang de cordon puisées dans les banques françaises et internationales dont la mise en réseau couvre la quasi-totalité des besoins [1]. Il faut évidemment poursuivre les efforts comme l'a demandé Mgr d'Ornellas le 9 février dernier,  afin que les greffons soient en assez grand nombre pour que nous soyons capables de porter remède aux enfants malades : c'est par cette voie que la souffrance des parents sera apaisée .

Un enfant à risque psychique

Nous avions déjà dit (LP.com, 9 février) que les interrogations ne manquaient pas non plus quant aux répercussions sur la santé psychique des enfants concernés. En cas d'échec, quel sera le poids de culpabilité que devra porter l'enfant venu au monde dans le but de  sauver  son frère ou sa sœur malade ? Dans l'éventualité d'un succès – et c'est bien sûr ce que nous espérons tous à présent qu'il est né –, quel sera celui de la dette morale éprouvée par celui qui a été  sauvé  ? S'il y a une rechute de l'enfant  receveur , l'enfant  donneur  subira-t-il des pressions pour qu'on lui prélève sa moelle osseuse comme thérapie de rattrapage ? Des interrogations qui ont fait l'objet d'un très beau film signé du réalisateur américain Nick Cassavetes où Anna, bébé-médicament conçu pour soigner sa sœur Kate, engage un avocat pour intenter un procès à ses parents [2].

La commission d'éthique de la Société de pédiatrie n'y voit pas là matière à inquiétude :  Il est légitime de se demander comment s'établiront les liens fraternels et la construction des personnalités des enfants "sauvés" et des enfants "sauveurs". Mais nous pensons que l'enfant sera un jour en mesure de comprendre qu'à la place de ses parents il aurait agi de la même façon. 

Mais qu'en savent-ils ? Et pourquoi l'Agence de la biomédecine aurait-elle préconisé un arsenal impressionnant de mesures de suivi des enfants si l'utilisation de cette technique ne portait pas à conséquences ? En effet, dans une délibération en date du 9 juin 2006, le conseil d'orientation de l'ABM demande que soit réalisé un  suivi attentif des personnes qui ont recours à un tel diagnostic, et notamment des enfants conçus après ce DPI, ainsi que de la fratrie concernée [...] Ce suivi psychopédagogique par des pédiatres et des équipes psychopédagogiques averties pourra concerner non seulement l'enfant né du DPI mais également tous les autres membres de la famille, notamment de la fratrie. Ce suivi ne saurait s'interrompre au terme de l'âge pédiatrique et devra se poursuivre au-delà [3]. Pas moins !

Le refus de l'interruption médicale de grossesse par les familles

Les auteurs de la tribune soulignent en outre que le diagnostic prénatal a constitué dans un premier temps  un progrès médical  permettant de  rassurer les familles lorsque l'enfant est indemne de la maladie et de proposer une interruption de la grossesse s'il en atteint . On remarquera avec quelle désinvolture est présentée la séquence DPN/avortement classée dans la catégorie des  progrès médicaux . Là où le bât blesse, reconnait la commission, c'est que  l'arrêt de la grossesse pose des problèmes à beaucoup de familles, pour des raisons éthiques, culturelles et religieuses . En effet, la béta-thalassémie qui est la maladie affectant la fratrie de l'enfant né en France, se rencontre fréquemment sur le pourtour méditerranéen, touchant des familles souvent fortement attachées au respect de la vie de l'enfant à naître. Faut-il alors comprendre que le DPI est proposé à ces couples pour passer outre leur légitime répulsion à recourir à un avortement ?

Les auteurs citent le cas d'une famille ayant eu un enfant atteint de drépanocytose – une maladie sanguine voisine de la béta-thalassémie – qui a donné naissance à quatre enfants puînés sans recourir au DPN par opposition à l'interruption médicale à la grossesse. Or, aucun de ces 4 enfants, dont l'un fut aussi atteint de la drépanocytose, n'a eu d'identité tissulaire avec l'aîné, déplore la commission. Seul le DPI permet de nous affranchir de situations aussi dramatiques, concluent les auteurs, occultant complètement l'envers du décor de la technique.

Concernant l'exemple de cette famille, on rappellera d'abord aux auteurs du texte la réponse que Mgr d'Ornellas avait déjà anticipée :

 Laisser faire le  hasard  n'est pas un non-choix, c'est le choix de refuser une sélection volontaire entraînant de graves inégalités de traitement entre les êtres humains, en l'occurrence entre les parents, les enfants déjà nés et les enfants à naître [...]. Les peurs et les angoisses suscitées par la perspective de transmettre une maladie héréditaire appellent certainement un réel accompagnement des individus qui en sont affectés ; elles ne justifient pas que l'on subordonne l'acceptation de l'enfant à naître à l'assurance qu'il naîtra sans handicap ; [la société] n'a pas le droit, en étendant à nouveau le DPI, de fonder sur la détresse des personnes une atteinte accrue à la dignité de l'être humain par l'accentuation de la tendance eugéniste [4].

Le DPI, une forme d'avortement précoce

Mais surtout, on dénoncera le stratagème qui consiste à opposer le  mauvais  DPN au  gentil  DPI. Dès 1994, Jacques Testard avait pointé du doigt la tentation qui existe  d'activer le DPI pour fuir le DPN, d'élire la sélection précoce et indolore contre la suppression tardive et déchirante [5]. Pourtant, ajoutait le biologiste,  la blessure qui ne se voit pas, qui ne fait pas souffrir, peut être plus redoutable encore .

La commission d'éthique de la société de pédiatrie fait en effet totalement l'impasse sur la destruction programmée de tous les embryons non éligibles. Sur les dix fécondations in vitro revendiquées par le professeur Frydman pour les dix couples engagés dans cette procédure dans son service d'Antoine-Béclère, un seul enfant est né. Soit un embryon  sur mesure  pour 60 à 100 embryons détruits. Dans un entretien passionnant paru dans La Revue des deux mondes entre Jean-Marie Le Méné et Jacques Testard autour de la même table, ce dernier accuse sévèrement le DPI :  Ce n'est pas une victoire sur la maladie, c'est une victoire de la sélection. Leur traitement, c'est annuler la vie  (p. 153). Peut-on sérieusement parler d'humanisme médical comme le fait la commission ?

L'Instruction Dignitas personae résume parfaitement la problématique :

Alors que dans les formes de diagnostic prénatal, la phase diagnostique est bien séparée de la phase d'éventuelle élimination du fœtus et que, dans cet intervalle, les couples demeurent libres d'accueillir l'enfant malade, le diagnostic préimplantatoire précède ordinairement l'élimination de l'embryon suspect [...] Ce diagnostic – toujours associé à la fécondation artificielle qui est déjà intrinsèquement illicite – vise en réalité une sélection qualitative avec pour conséquence la destruction des embryons, ce qui se traduit par une forme de pratique abortive précoce (n. 22).

Si la pratique du  bébé double tri  n'encourrait aucune critique comme s'obstinent à l'affirmer les membres de la commission d'éthique de la société de pédiatrie, on se demande encore pourquoi le Conseil d'État a cru bon écrire que  les questions éthiques posées par le double DPI [...] pourraient justifier que le législateur envisage de mettre un terme à cette pratique [6] !

 

 

[1] Cf. propos du docteur Isabelle Desbois, responsable des cellules de l'Établissement français du sang, Rapport parlementaire sur la révision de la loi de bioéthique, janvier 2010, tome 1, p. 238.
[2] Nick Cassavetes, "My Sister's Keeper", 2009, avec Cameron Diaz et Alec Baldwin. Disponible en DVD sous le titre "Ma vie pour la tienne".
[3] Conseil d'orientation de l'Agence de la biomédecine,  Avis sur le double diagnostic DPI-HLA , Délibération n. 2006-CO-10, séance du vendredi 9 juin 2006.
[4] Mgr d'Ornellas, Bioéthique, propos pour un dialogue, Lethielleux/DDB, 2009, p. 142.
[5] Jacques Testard, Le désir du gène, Flammarion, 1994, p. 271.
[6] Conseil d'Etat, La révision des lois de bioéthique, La documentation française, 2009, p. 44.