Article rédigé par François de Lacoste Lareymondie, le 21 novembre 2007
Que nos amis belges veuillent bien pardonner à un Français de s'interroger sur ce qui se passe chez eux ! Et qu'ils ne nous prêtent aucune arrière-pensée suspecte, en dépit de l'arrogance qu'ils nous reprochent et dont nous n'avons pas toujours été exempts à leur endroit.
La crise gouvernementale qui dure depuis cinq mois ne les concerne pas eux seuls ; elle nous interpelle tous.
On sait que la ligne de fracture entre Flamands et Wallons est ancienne. Après les invasions napoléoniennes et la défaite de Waterloo (si près de Bruxelles !), le congrès de Vienne de 1815 a réuni la principauté de Liège et les Provinces-Unies aux Pays-Bas autrichiens pour les soustraire à l'influence française. Puis c'est la Révolution de juillet 1830 qui s'y est propagée et qui a entraîné la création de la Belgique actuelle, par séparation d'avec la Hollande ; une Belgique officiellement francophone et dominée alors par les Wallons dont la province était au cœur de la première industrialisation ; mais une Belgique dont le roi sera Léopold de Saxe-Cobourg et non un fils de Louis-Philippe, toujours par méfiance envers les Français.
La suite de l'histoire est celle d'une progression régulière de la Flandre sur tous les plans, démographique, économique, linguistique et politique ; entrecoupée de crises successives, parfois violentes et graves, en dépit de la mise en place d'un État fédéral (1993).
La Belgique peut-elle maintenant éclater ? La question n'est ni incongrue ni taboue depuis qu'un récent canular de la RTB, annonçant faussement la sécession de la Flandre, l'a manifestée brutalement au grand public.
Gardons-nous cependant de fantasmer sur une telle perspective !
Gros sous
D'abord parce que les positions des Flamands et des Wallons ne sont pas symétriques. S'il existe un courant indépendantiste notable en Flandre, parallèle à la montée générale des régionalismes en Europe, la réciproque n'est pas vraie. En Wallonie, on semble beaucoup plus attachés au maintien de la situation actuelle ; et davantage encore à Bruxelles même.
Ensuite parce que le clivage est sous-tendu par des questions de gros sous. La Flandre est devenue l'une des régions les plus riches d'Europe en raison de son dynamisme économique porté par un fort courant entrepreneurial, et elle rechigne à partager les fruits de son succès.
Inversement, la Wallonie a été affectée par la fermeture des charbonnages, puis par les difficultés de la sidérurgie, et connait un chômage important. Son déclin a été accentué par ses propres industriels et financiers aspirés dans la mondialisation, et par sa classe politique arc-boutée sur la défense d'emplois voués à péricliter. Il n'en reste pas moins que le cœur économique de la Belgique est encore dans la région bruxelloise, et que certaines régions flamandes sont aussi débitrices nettes du budget fédéral.
Enfin, que deviendrait la Wallonie ? Un État indépendant ? Si l'idée en a couru au milieu du XXe siècle, elle semble aujourd'hui délaissée en raison de son irréalisme. Une région française ? Peu de gens en ont réellement envie, sans parler des déséquilibres et des contrecoups à prévoir en Europe. Une entité qui fusionnerait avec le Luxembourg ?...
Pourtant, la crise belge nous pose à tous, deux questions sérieuses.
L'ambivalence européenne
La première résulte de l'Europe même et, plus précisément de l'implantation des instances communautaires à Bruxelles. À l'extérieur du pays désormais, dans tous les esprits, Bruxelles est d'abord le siège de l'Union européenne : quand on parle de Bruxelles, quand on accuse Bruxelles, quand on en appelle à Bruxelles, on se réfère à l'Europe et à ses organes, non au royaume de Belgique.
Comment préserver l'identité nationale d'un pays qui est ainsi progressivement dépossédé de sa propre capitale ? Or l'ambivalence de la ville ne peut que s'aggraver : un jour ou l'autre, la création d'un district communautaire plus ou moins extraterritorial deviendra d'actualité ; district qui sera évidemment centré sur Bruxelles où une bonne part de la population vit déjà au rythme communautaire ; ce qui se fera forcément au détriment de la Belgique tout entière.
Vivre ensemble
La seconde porte sur les raisons de vivre ensemble, dans un même pays. Qu'est-ce qui fait que l'on se sent belge, ou français, ou autre ? La communauté de langue et de culture ? C'est un facteur puissant ; mais non suffisant puisque les Wallons francophones ne se sentent pas français pour autant ; tandis que la diversité des langues n'affaiblit pas la cohésion interne de la Suisse.
Une histoire partagée et un destin vécu ensemble ? 170 années vie commune, ce n'est pas rien, surtout quand elles ont été traversées par deux guerres où le pays fut totalement occupé et où toute la population fit preuve d'un grand courage ; encore que ces périodes d'occupation ont aussi vu se développer les irrédentismes régionaux favorisés par l'occupant.
L'attachement au symbole d'unité qu'est la royauté ? La crise royale qu'a connue la Belgique à l'issue de la dernière guerre aurait pu susciter un doute ; il a été certainement levé par l'aura personnelle qu'avait acquise le roi Baudouin. Mais en s'engageant personnellement pour tenter de dénouer la crise sans être assuré du succès, le roi Albert II prend un risque. Tout cela néanmoins ne saurait suffire sans une ferme volonté de vivre ensemble en assumant ses différences, et sans l'acceptation d'une solidarité qui va à rebours des égoïsmes qu'induit la trop grande prévalence de la richesse et de la réussite des uns par rapport aux autres.
Cette volonté de vivre ensemble de façon solidaire existe-t-elle encore suffisamment chez nos amis belges ? Et suffisamment pour compenser la pression qu'exercent les institutions européennes sur leur propre capitale ? Selon la réponse qu'ils donneront eux-mêmes à la question, non seulement leur avenir en sera changé, mais probablement aussi celui de l'Europe.
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