La pensée unique recalée au Bac
Article rédigé par Jean-Marie Le Méné*, le 29 juin 2005

Mettons les choses au clair, nous n'avons rien contre le fait que l'avortement soit au programme ni qu'on le propose comme sujet du Bac. Nous ne voyons aucune raison d'en faire un tabou.

Il n'y a même que des avantages à parler de l'avortement, à l'expliquer, à faire de la pédagogie.

Alors où est le scandale du Bac de SVT ? C'est que le ministère de l'Éducation nationale lui même, contrairement aux apparences du sujet qu'il a proposé, ne veut pas vraiment parler de l'avortement, ni que les élèves en parlent. Il veut tout juste que les élèvent débitent un catéchisme idéologique en donnant des arguments unilatéraux en faveur de l'avortement. Ce qui n'est pas du tout pareil.

Il n'était pourtant pas sorcier pour les services concernés de mettre le bon sujet dans la bonne enveloppe, soit philosophique, soit scientifique. Car ce sujet sur l'avortement – tout le monde est bien d'accord — pouvait évidemment être soumis aux deux disciplines.

Les vraies questions

Le ministère voulait-il apprécier les connaissances scientifiques des candidats comme la réglementation lui en fait l'obligation ? Fort bien. Il n'avait qu'à poser des questions scientifiques sur l'avortement. Elles ne manquent pas. Le directeur de l'enseignement scolaire, interrogé à la télévision, a même pris un air savant pour évoquer l'aspect médical de l'avortement. Alors, va pour l'aspect médical !

Que n'a-t-on, par exemple, demandé aux élèves de décrire et comparer les différentes méthodes utilisées ainsi que leurs effets secondaires : pilule abortive RU 489, aspiration et curetage, fœticide par injection d'une substance létale. Une question comme celle-ci ne manquait pas d'intérêt : " Décrivez techniquement les phases du foeticide et dites pourquoi il faut préalablement injecter au fœtus un anesthésiant ? " Pourquoi n'avoir pas sollicité non plus la réflexion scientifique des candidats sur les conséquences de l'avortement pour la femme alors qu'on sait que la majorité des consultations " psy " sont dues au syndrome post avortement ? Près d'une candidate sur deux sera – ou est déjà - concernée en moyenne. Voilà un problème de santé publique – moderne – qu'il eût été " citoyen " d'évoquer au Bac. Curieux que personne n'y ait pensé. D'après nos renseignements, il paraît que les militantes féministes ont une sensibilité de rosières. Certains sujets leur faisant mal, l'aspect médical ne pouvait donc pas être traité.

Mais d'autres voies scientifiques pouvaient être explorées, comme celle de la démographie.

On pouvait fournir les estimations du nombre d'avortements clandestins avant la loi Veil et demander aux candidats de les comparer aux chiffres d'aujourd'hui. Ils auraient dégagé eux-mêmes un résultat scientifique intéressant : le nombre d'avortements a été multiplié par quatre. Ou bien encore, il était possible de présenter aux candidats le taux de grossesses non désirées qui aboutissent à l'avortement, celui de 1975 et celui d'aujourd'hui. Un simple constat leur aurait permis de relever que cette donnée n'a fait que progresser en passant de 40 % à 60 %. Une réflexion scientifique aurait pu également être suscitée à partir du fait qu'il manque 150 000 naissances par an pour assurer le remplacement des générations. Ou que les premières " clientes " de l'IVG sont – contrairement à ce qu'on proclame — les femmes les plus informées en matière de contraception. En bref, encore une fois, pourquoi n'avoir pas pris les moyens de mesurer la capacité de réflexion scientifique des candidats sur ces bases ? Certaines sources bien informées prétendent — ne le répétez à personne — que le gouvernement de 1975 aurait fermé les yeux sur l'utilisation de chiffres " arrangés " pour faciliter la légalisation de l'IVG. Horresco referens. Décidemment, pas de chance pour l'aspect démographique qui ne pouvait donc pas être traité non plus...

Dès lors, si le ministère ne pouvait – ou ne voulait — aborder la question sous l'angle scientifique, il avait entière liberté de le faire sous l'angle philosophique en demandant aux candidats de développer tous les arguments du débat d'idées, de les critiquer, et de se positionner personnellement. Ainsi l'exigent les règles de l'Éducation nationale et celles de la démocratie. Et c'est précisément ce que le ministère n'a pas fait non plus. Et ce qu'on lui reproche. Donc ni science, ni philo. Mais à quoi sert donc le Bac ?

Un exercice de propagande

Le Bac a servi, cette année, à extorquer à des candidats — tenus dans l'ignorance d'une question qui les concerne de plus en plus jeunes – l'aveu que l'avortement est une grande conquête des femmes. Point. Et à s'en tenir là. Aurait-on intérêt à ce que les jeunes n'en sachent pas trop, à ce qu'ils ne se posent pas trop de questions ? Certes, il est plus facile de leur faire avaler des slogans éculés. De leur présenter une version expurgée de la réalité. Et de leur donner l'impression qu'ils réfléchissent.

Je regrette, Monsieur le ministre, mais quand on ne veut pas de réponse, il ne faut pas poser de question. Vous avez pris le risque d'interroger des candidats qui ont des choses à dire mais que vous ne voulez pas entendre. Là où vous n'avez pas de chance, c'est que vous trouvez encore de la conscience chez les élèves et de la responsabilité chez les parents. En somme, de la résistance à la pensée unique. Et si vous êtes surpris d'une contestation qui enfle, écoutez les Français !

J'accuse le ministère de l'Éducation nationale – par ses mensonges sur l'avortement dans l'énoncé et dans le corrigé — de non-assistance à adolescents en danger.

J'accuse ce gouvernement de mépriser une fois encore les Français quand – à la première occasion après le scrutin du 29 mai – il renonce à ce qu'il leur avait solennellement promis une semaine plus tôt : être à leur écoute.

J'accuse les plus anciens de l'actuelle majorité de n'avoir pas le courage d'assumer les conséquences de leurs propres turpitudes. Et quand les jeunes veulent prendre appui sur le rocher de la vérité scientifique ou du dialogue raisonné, de leur écraser la main.

*Jean-Marie Le Méné est président de la Fondation Jérôme-Lejeune

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