La failite de la Grèce : pas cette fois mais la prochaine ?
Article rédigé par Roland Hureaux*, le 21 juillet 2011

Que la situation de la Grèce soit désespérée - au moins si on pense que son salut est de rester dans l'euro – qui en doute encore ? Des taux d'intérêts de plus en plus élevés, des plans d'austérité qui l'enfoncent dans la récession, un endettement de plus en plus lourd, une population de plus en plus révoltée par les médecines de la BCE et du FMI : qui peut sérieusement croire que la Grèce s'en sortira sans quitter l'euro ?

Si elle quitte l'euro, la pilule sera certes au moins aussi amère pour elle, ce que ne manquent pas de rappeler les partisans de la monnaie unique, mais elle lui laissera au moins l'espoir d'un redressement, espoir qui, dans la situation actuelle, n'existe pas.

Il est impossible que ceux qui nous gouvernement ne sachent pas tout cela. Alors, pourquoi prolonger la vie du moribond, de plan de sauvetage en plan de sauvetage, comme viennent de le faire encore les Européens la semaine dernière ?

L'aide apportée à la Grèce est certes conditionnée par des exigences chaque fois plus rigoureuses ; mais personne ne pense plus sérieusement que ces exigences, qui surpassent largement les capacités de l'économie et de la société grecque, seront jamais satisfaites.

En fait, ces exigences servent surtout à sauver la face des principaux décideurs. Elles permettent à Angela Merkel qui, au fond, sait quelle ne pourra pas refuser une aide supplémentaire, de la faire accepter à une opinion réticente. En France où l'aide est, au contraire, plutôt populaire (par l'inconscience de l'opinion !), le président se valorise en paraissant faire plier l'Allemagne, alors qu'au fond, les positions des deux pays sont identiques.

Pourquoi cette comédie ?

D'abord, parce que les dirigeants occidentaux peuvent légitimement craindre que l'effondrement de la Grèce (qui pèse tout de même plus que Lehman Brothers) ait des conséquences incalculables et cela, bien au-delà de l'Europe. Cet effondrement peut relancer la crise mondiale, provoquer une nouvelle panique boursière ou bancaire. On comprend que personne ne veuille prendre la responsabilité de déclencher un tel cataclysme, même en sachant la fin de l'euro inévitable.

En France et en Allemagne, la menace se trouve redoublée du fait de l'engagement des banques auprès de l'Etat grec. La faillite de la Grèce ne serait-elle pas aussi celle du Crédit agricole et de BNP-Paribas ? On peut le craindre. Bien sûr, l'Etat viendra à leur secours, mais comme les règles du jeu entre les Etats et le système bancaire n'ont pas été posées clairement depuis la dernière crise, tout le monde est dans l'incertitude. Les Etats font comme si leur appui à un système bancaire défaillant n'était pas acquis d'avance ; ils se gardent, sans doute faute de courage politique - ou même d'indépendance - face au lobby bancaire, d'en poser les conditions (qui pourraient être par exemple une participation au capital et une amputation des bonus au prorata de l'aide !). La véritable incertitude, paradoxalement, ce n'est pas la Grèce : toute personne sensée sait qu'elle ne remboursera pas ; c'est ce qui se passera après – or cela, c'est précisément ce qu'on devrait prévoir et qu'on ne prévoit pas.

Ajoutons que dans les méandres du système bancaire international, les obligations grecques, comme les subprimes américaines, sont, tant que la Grèce ne s'est pas effondrée, plus rentables que d'autres placements. Dans un portefeuille, les obligations grecques viennent, selon l'expression des traders,  dynamiser  la gestion des portefeuilles : tant que la pauvre n'est pas morte, l'usurier fait son beurre... S'il n'y avait que des emprunteurs solvables, le métier n'aurait, au sens propre, pas d'intérêt !

La crédibilité de la classe politique en cause

Mais derrière ce qu'il faut bien appeler un acharnement thérapeutique, se trouve aussi le fait que la classe politique de toute l'Europe occidentale a engagé sa crédibilité sur l'euro, comme la classe politique de l'Union soviétique sous Brejnev avait engagé sa crédibilité sur la théorie communiste. Cela entraîne une incapacité intellectuelle à voir au-delà, et donc le refus collectif de considérer que le système pourrait avoir une fin.

Je demandai une fois à un proche de Sarkozy ce qu'il ferait si l'euro s'effondrait avant mai 2012. Il me répondit tout à trac :  Combien faut-il mettre au pot pour que l'euro tienne jusque là ! . Etonnante réponse ! Il aurait pu dire : le président est un leader de crise, il saura bien gérer ce genre de situation. Non : le scénario d'une élection présidentielle française après un éclatement de l'euro, pour un certain establishment, est inenvisageable. Le débat sur ce sujet capital est tout aussi absent de la primaire socialiste ; qui s'en étonnera ?

Autre question : qu'est-ce qui peut mettre un terme à cette politique de sauvetage à la petite semaine et donc précipiter la fin de l'euro ?

Une partie de la réponse réside dans le peuple grec : s'il se révolte de manière si violente que les engagements de son gouvernement perdent toute crédibilité, peut-être la communauté internationale se rendra-t-elle à l'évidence ?

Une autre partie se trouve chez les juristes allemands. Certes, la classe politique allemande est aussi mouillée dans l'euro que la classe politique française et, même si elle a l'air de se laisser tirer l'oreille, la chancelière Merkel boira, n'en doutons pas, le calice jusqu'à la lie, pour les mêmes raisons que son homologue français. Une action a toutefois été engagée devant le Tribunal constitutionnel de Karlsruhe par un groupe d'économistes et de juristes hostiles à l'euro. Le même groupe avait déjà fait admettre à la cour suprême allemande que le droit européen n'était pas opposable à un certain nombre de droits fondamentaux du peuple allemand (alors qu'en France, le Conseil constitutionnel a pris le parti inverse : rien n'est opposable au droit européen). Il essaye maintenant de faire reconnaître, au nom du droit de propriété et donc de la stabilité de la monnaie, que l'aide à la Grèce et aux autres PIIGS est illégale : à la fois contraire au traité de Lisbonne et au droit de propriété, car inflationniste. Jacques Sapir a montré comment le seul moyen de sauver encore quelque temps l'euro était de monétiser la dette des pays les plus vulnérables et donc de lancer l'Europe dans une spirale inflationniste. C'est ce que les Allemands voudraient interdire. L'affaire a été plaidée le 4 juillet. Si elle aboutit, les mains de la chancelière seront liées.

Existe enfin la possibilité que des fonds de placement off shore, étrangers à la zone euro et mal contrôlés par l'establishment anglo-américain - s'il en existe - précipitent la crise en anticipant l'impossibilité de la régler, du fait du peuple grec, des juristes allemands ou de toute autre cause. Ou que tout simplement les agences de notation anticipent ces anticipations : c'est ce qu'elles commencent à faire avec le Portugal ; des voix s'élèvent déjà pour les réformer ! Face la montée de la fièvre, il en est toujours pour casser le thermomètre.

Il n'y a pas de cas, aucun médecin ne nous contredira, qu'un abcès ne finisse pas par crever. C'est pourquoi, si la classe politique européenne est encore responsable, elle devrait déjà s'attacher à préparer l'après-euro.

 

 

***