Article rédigé par Georges Berthu, le 17 janvier 2003
La Convention sur l'avenir de l'Europe présidée par Valéry Giscard d'Estaing va devenir un enjeu majeur de cette année. Ceux qui, au Conseil, ont peut-être cru qu'ils allaient pouvoir la cantonner dans un rôle de forum de discussion, et ensuite prendre les vraies décisions au cours de la Conférence intergouvernementale qui suivra, doivent aujourd'hui déchanter.
C'est un mauvais scénario qui se dessine : une Convention à tonalité fédéraliste, bien décidée à mettre les chefs d'État et de gouvernement au pied du mur, en leur présentant tout ficelé un projet encore plus supranational que tout ce que nous avons connu jusqu'ici.
Valéry Giscard d'Estaing, consciemment ou non, a lui-même ouvert la boîte de Pandore en fixant à la Convention, dès sa séance d'ouverture, des ambitions "constitutionnelles", qui, à vrai dire, ne figuraient nullement dans le mandat de Nice et n'apparaissaient qu'en pointillés dans celui de Laeken. En fixant l'objectif de la rédaction d'un traité "constitutionnel", et en comparant l'actuelle Convention à celle qui, réunie à Philadelphie en 1787, avait rédigé la Constitution des États-Unis d'Amérique, il affichait clairement la couleur.
Certes, on pouvait alors espérer que la "Constitution" préparée pour l'Europe resterait un texte politique, et non juridique. On pouvait espérer qu'il s'agissait d'une ruse de VGE pour amadouer les fédéralistes, tout en garnissant le cadre du futur traité d'un certain nombre de verrous de nature intergouvernementale. Hélas, l'expérience récente montre qu'on ne va pas dans cette direction. L'avant-projet de traité "instituant une Constitution pour l'Europe", présenté à la Convention le 28 octobre dernier, pose tous les fondements nécessaires à l'édification d'un super-État (Cf. notre analyse du 8 novembre 2002). En particulier, les idées que VGE avait tenté de faire valoir pour promouvoir le rôle des États (contrôle de la subsidiarité par les Parlements nationaux, "Congrès des peuples", présidence stable du Conseil) se trouvent peu à peu érodées ou neutralisées. L'équilibre communautaire/intergouvernemental que le président de la Convention semblait vouloir défendre (certains disent "pour la façade"), se trouve peu à peu compromis.
Pourquoi cette évolution ?
D'abord, on ne dira jamais assez à quel point la Commission et le Parlement européen, appuyés par tous les groupes de pression subventionnés, savent manoeuvrer dans une enceinte telle que la Convention. Ils ont en plus un objectif commun : arracher les pouvoirs aux nations pour les remettre à la sphère communautaire, c'est-à-dire à eux-mêmes.
En face, gouvernements et Parlements nationaux sont toujours aussi divisés. Pis encore : une partie des Parlements nationaux jouent contre leur camp, en acceptant le dépouillement des démocraties nationales au nom de la "construction" de l'Europe.
Avouons-le : il y a là un élément que nous avions sous-estimé lorsque nous pensions que les Parlements nationaux, majoritaires en sièges à la Convention, allaient pouvoir, s'ils se coordonnaient bien, défendre efficacement les pouvoirs de leurs peuples respectifs. En fait, il apparaît que certains des représentants parlementaires nationaux sont en train de passer dans le camp d'en face, et ils suffisent à faire pencher la balance du côté fédéraliste. Nous aurions pu nous en douter, d'ailleurs, en nous rappelant leurs attitudes au moment de la ratification des traités d'Amsterdam et de Nice.
Peut-il se produire un renversement de situation d'ici la fin des travaux (juin 2003) ? Deux hypothèses sont envisageables :
1/ une reprise en mains de la Convention par les grands pays qui viennent d'y déléguer leurs ministres des affaires étrangères. Mais l'expérience récente montre qu'en fait, ces nouveaux représentants, notamment celui de l'Allemagne, prennent eux aussi des positions très fédéralistes ;
2/ l'apparition de contradictions profondes entre gouvernements, ou entre les gouvernements et les composantes ouvertement fédéralistes (Commission, Parlement européen), provoquant un blocage. Nous n'y croyons pas. Car d'expérience nous savons que les gouvernements ont intérêt - ou croient qu'ils ont intérêt - à dire que "tout s'est bien passé", que "tout le monde a bien travaillé", que "le consensus s'est fait pour une avancée européenne". Et les démocraties nationales - c'est-à-dire la démocratie réelle - en font habituellement les frais.
Donc il est assez clair maintenant que nous irons vers un projet de "Constitution européenne", fournissant un cadre supranational, orienté vers un super-État. Mais il nous reste une carte maîtresse : tous ces montages institutionnels artificiels, destinés à confisquer le pouvoir des peuples, ne pourront être adoptés sans eux. C'est eux qui auront le dernier mot.
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