La Conquête : quand le cinéma français s'invite en politique
Article rédigé par Antoine Besson, le 20 mai 2011

A l'heure où la France résonne d'un scandale politique au décor New-Yorkais, l'exception cannoise a vu son attention retenue par une autre histoire politique : La Conquête de Xavier Durringer. Présenté au festival en même temps que sa sortie dans les salles, ce film qui retrace l'ascension au pouvoir de Nicolas Sarkozy est unique. Si la réalité dépasse parfois la fiction, l'inspiration du cinéma par la politique donne lieu ici à une histoire drôle, énergique et inattendue. Un bon filon... pourtant rare en France !

Pour peu qu'on ait suivi un minimum les médias entre 2002 et 2007, on connaît tous l'histoire de Nicolas Sarkozy. Le Président d'aujourd'hui était alors  l'homme de la transparence . Il incarnait le  parler vrai , s'opposait au président en place, Jacques Chirac (incarné dans le film par un Bernard Le Coq bluffant), entretenait un duel politique et médiatique au sein de son propre parti avec Dominique de Villepin, et tentait de sauver son mariage avec Cécilia, l'épouse, la conseillère, véritable femme de l'ombre à qui il devait tant. L'hyper candidat, pas encore hyper président, faisait déjà toutes les  unes  et toute les couvertures de magazines. Il ne manquait plus qu'un film...

Quand la politique rivalise avec la fiction

Il est vrai qu'aujourd'hui, avec la médiatisation effrénée de la politique – pour ne pas dire la  peopolisation  – le pouvoir (son exercice comme sa  conquête ) prend des allures de  saga . Les enjeux de personnes et les egos sont exacerbés, les ressorts et les stratégies sont publiés en première page et tout le monde peut suivre ce feuilleton politique qui n'a rien à envier aux best-sellers de Marc Levy. On croit donc volontiers le scénariste de La Conquête, Patrick Rotman, lorsqu'il affirme à propos des années précédant l'accession au pouvoir de Nicolas Sarkozy :  Tous les ingrédients étaient là pour un film . Un film que Brice Hortefeux, proche du président, n'hésite pas à qualifier de  caricatural  mais  complet  dans une interview à paraître samedi dans le Figaro magazine. S'il note quelques  inexactitudes , l'ex ministre de l'intérieur reconnaît au film une  atmosphère (...) bien retracée  et des  références politiques (...) assez justes .

Rotman déclare en bon historien politique :  C'est une fiction certes, mais très particulière, car elle repose sur une source documentaire.  Cet auteur de documentaires politiques (Chirac, le jeune loup et Chirac, le vieux lion, 2006) explique tout naturellement dans une interview à lexpress.fr son passage au cinéma :   J'ai toujours pensé que l'histoire contemporaine était une source fantastique. Il y a tout : la dramaturgie, la force, la tension... La politique est formidable dans sa dimension paroxystique. Les hommes politiques sont des animaux incroyables, ce sont des fauves. Ça m'intéresse beaucoup de les observer. 

Le cinéma français rarement politique

Pour autant, si la suractivité d'un candidat et les rebondissements d'une campagne électorale donnent suffisamment de matière pour inspirer un film, cela ne signifie pas que ce film est possible. Il faudra quatre ans et demi pour que La Conquête voie le jour. Si les américains sont coutumiers des  biopics  présidentiels (JFK en 1991, Nixon en 1995 et W., l'improbable président en 2008 sorti à la fin de la présidence de Bush junior, tous réalisés par Oliver Stone), le cinéma français ne s'invite que très rarement en politique. La télévision, plus coutumière des téléfilms historiques, s'est davantage emparée du genre mais presque toujours à titre posthume. C'est ainsi qu'on a souvent vu sur le petit écran des mises en scène de De Gaulle, et plus récemment de Pompidou (Mort d'un président de Pierre Aknine diffusé en avril dernier sur France 3).

En 2005, neuf ans après la mort de Mitterrand, le cinéma français tente une première expérience avec Guédiguian qui se permet de ressusciter le président socialiste grâce à l'incroyable performance de Michel Bouquet. Mais si le personnage est parfaitement reconnaissable, il n'est jamais nommé. La Conquête franchit donc une nouvelle étape mettant en scène un homme politique encore au pouvoir et joue la carte du réalisme en appelant chaque protagoniste par son vrai nom tout en éludant certaines étapes de la campagne électorale connues de tous (comme une ellipse cinématographique).

Le cinéma et la politique : quel engagement ?

A entendre les critiques et à croire l'avertissement des auteurs au début de la projection rappelant qu'il s'agit d'une œuvre de fiction, ce film ne serait finalement pas politique. Rotman déclare même :  sa vocation n'a jamais été d'être un pamphlet politique à la Michael Moore, à charge et fait pour démolir. L'idée était de montrer ce personnage sous toutes ses facettes, dans sa complexité, et de raconter l'histoire réelle à travers une fiction.  Pas de fond politique à chercher donc. Inutile de décortiquer les scènes en espérant trouver un message caché. Pourtant, un film qui relate l'ascension d'un candidat à la présidence de la France peut-il ne pas être politique ? Le cinéma français peut-il parler de la politique sans être politisé ?

Pour tout autre candidat que Nicolas Sarkozy, il aurait été possible de s'interroger. Mais lorsqu'il s'agit du candidat qui a toujours utilisé son image médiatique comme une de ses principales armes de campagne, on ne peut que sauter à la conclusion. Toute œuvre de cinéma (d'images) qui le choisit comme sujet sera politisée. Pas forcément sur le fond mais au moins sur la forme, que les créateurs le souhaitent ou non. Cela ne relève en fait pas tant de la conscience ou de la volonté des artistes que du contexte que le candidat a lui-même créé et l'évolution de la politique qu'il a entrainée.

Il était question de  peopolisation  de la politique en début d'article. C'est en fait le cœur du problème. Si la politique dans ce film n'est à l'origine qu'un cadre plus ou moins présent selon les tableaux, l'image du candidat Sarkozy, elle, est le vrai sujet du film. Le but du récit et toute la tension dramatique est non pas de savoir s'il va être élu au terme de sa campagne mais plutôt connaître comment l'homme a géré l'imbrication toujours plus étroite des sphères publique et privée. Ce positionnement des auteurs explique pourquoi certains voient davantage ce film comme l'histoire de la  romance  entre Nicolas et Cécilia plutôt que comme celle de la conquête du pouvoir. Une Conquête pourrait en cacher une autre ? Le scénariste répond à ces derniers :  je n'ai pas du tout à l'esprit l'idée de vouloir faire un film sur la vie intime de Sarkozy. Mais chacun sait qu'il y a une telle interférence entre vie privée et vie publique qu'on ne peut pas l'éviter. Et la vie privée n'est d'ailleurs abordée que sous cet angle, celui de son incidence politique. 

François de Lacoste Lareymondie l'écrivait autrement ici même dans son article de la semaine sur l'affaire DSK[1] :  Un homme politique peut d'autant moins revendiquer une vie privée qu'il est davantage en vue, pour au moins deux raisons : d'une part, parce qu'on gouverne autant par les décisions que l'on prend que par l'exemple que l'on donne ; d'autre part et surtout parce que la personne est une et que son comportement privé la révèle dans ses profondeurs au-delà des apparences et de la mise en scène.  Qu'en est-il quand ce comportement privé est réellement à l'écran une œuvre de fiction, un jeu d'apparences et une mise en scène ? La donne est fondamentalement la même ! Non pas parce que les auteurs du film sont infaillibles, mais plutôt pour la raison que le candidat Sarkozy s'est donné suffisamment de mal pour obtenir cette transparence, image médiatique par excellence, pour ne plus pouvoir la renier aujourd'hui. Toute fiction qu'elle soit, cette œuvre est par conséquent politique, dans le sens de la représentation politique de l'homme d'Etat d'aujourd'hui.

Le calendrier aussi plaide en faveur de la politisation de ce film. Pas de parti-pris, rien d'aussi flagrant, mais notons qu'un héros président dans le contexte électoral qui sera celui de la France dans presqu'un an, ce n'est pas anodin... Il faut s'attendre à des retombées. Le président quant à lui ne s'est pas laissé abuser  et n'a pas voulu voir le film, par amour du cinéma et pour  protéger  sa  santé mentale  :  trop de narcissisme rend fou  dit-il à Télérama.

La qualité du film ne se juge pas à l'aune de son implication politique

La Conquête, c'est avant tout une succession de formules et de tableaux. Cela donne à la narration une marque très particulière. Hyper active, comme son sujet. Et si cela fatigue de suivre un tel film, le réalisateur parvient néanmoins à nous accrocher (les rôles de composition et les acteurs n'y sont pas pour rien).

Les bons mots qui ont fait ou tenté de défaire le candidat Sarkozy sont tous là, crus et réalistes, conférant au film une part d'humour acide et pointant du doigt certains excès du politique. Dans cette succession de paroles, tour à tour haineuses, drôles ou tactiques, s'esquisse tout de même une critique du pouvoir et de la politique moderne. Une satire pourrait-on dire. Pourtant, il faut bien reconnaître que le coup ne porte pas ! Soit que la satyre n'est pas assez poussée, soit que la soif de réalisme des auteurs va à l'encontre de ce désir critique, le fait est  qu'on sort du film sans pouvoir réellement identifier l'opinion des auteurs... Voulaient-ils montrer le sacrifice que Sarkozy a consenti pour accéder au pouvoir (sa vie privée : Cecilia) ? Voulaient-ils dénoncer cette profonde haine que se vouent les principaux protagonistes ? Reprochent-ils aux politiques leur langue de bois ou s'amusent-ils des rancunes politiques qui ont animé certains choix du candidat ? La réponse ne se trouve pas dans le film. A chacun de se faire son opinion après visionnage comme le souligne Rotman qui révèle que c'était là l'intention des auteurs :  En voyant le film, les gens seront confortés dans l'opinion qu'ils ont déjà de Sarkozy. 

Alors bon ou mauvais film ? Peu importe ! L'essentiel est ailleurs. L'image de Sarkozy est certes orientée mais nul ne saurait dire en quel sens tant les tableaux choisis révèlent une complexité souterraine comme une ouverture qui évite habilement le jugement. Le film est certes politique mais la politique ne permet pas de juger de sa qualité. D'abord parce que le film n'est pas partisan, ensuite et surtout parce qu'aucune orientation politique ne saurait être un label de qualité. Reste donc la structure du récit, le jeu des acteurs, la qualité de réalisation, etc. pour juger de l'oeuvre. A ce titre, on peut dire de ce film qu'il est agréable et divertissant. Un bon film, pas un chef-d'œuvre !

 

 

Sources : Télérama,  lexpress.fr

 

 

[1] Le cynisme et la vertu

 

 

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