La Catho de Paris en mal de projet
Article rédigé par Thierry Boutet, le 30 septembre 2005

La démission après moins d'un an du recteur Joseph Maïla et les conditions de la nomination de son successeur Pierre Cahné trahissent les difficultés de fond auxquelles est confronté l'Institut catholique de Paris (ICP) depuis trente ans.

 

La Catho est en crise. Son premier recteur laïc n'aura pas tenu plus d'un an. Dans l'impossibilité de poursuivre son mandat de six ans, il a préféré démissionner le 14 juin dernier. Cette démission lui a été demandée par l'archevêque de Paris, Mgr Vingt-Trois. Mais en l'absence d'autres explications officielles, l'auguste établissement bruissait de toutes les rumeurs. Le 21 septembre, son successeur a été élu par les trente-cinq évêques fondateurs de l'Institut catholique sur proposition du conseil d'établissement, qui réunit les représentants des diverses instances de la Catho. Cette nomination va-t-elle clore la tempête qui souffle sur l'Institut catholique de Paris ?

Au-delà des querelles de personnes et des questions financières, la question de fond porte sur l'identité d'un établissement fondé il y a cent trente ans et qui rassemble aujourd'hui 22.000 étudiants (dont 3.500 étrangers), 750 enseignants et enseignants-chercheurs, travaillant dans six facultés, seize instituts et seize écoles professionnelles. Le prestige et la taille de la Catho ne suffisent pas à cacher les graves difficultés qu'elle traverse. Elles tiennent pour une part à sa complexité : des établissements multiples, tous plus ou moins indépendants, à la réussite variable (du meilleur au plus médiocre), et à l'identité catholique contrastée.

Les instituts catholiques regroupent, en effet, deux sortes de formations très différentes :

d'une part, les "écoles" professionnelles : écoles d'ingénieurs, de commerce, de techniques supérieures (Essec, Isit, Isep à Paris par exemple). D'autre part les "facultés libres" de type universitaire (regroupées au sein de l'Udesca). Celles-ci à leur tour se divisent en deux sous-groupes : 1/ les facultés dites par l'État "canoniques" ou "religieuses", délivrant des diplômes canoniques propres et non reconnus par l'État : ce sont les faculté de théologie, de sciences religieuses, de droit canon, et leurs départements rattachés ; 2/ les facultés délivrant des diplômes d'État ou propres mais dans des disciplines profanes : sciences humaines, lettres, histoire, etc.

Les écoles marchent bien. Reconnues à l'étranger, elles délivrent des diplômes appréciés. Bien que théoriquement rattachées au recteur et à l'Église, elles fonctionnent de manière quasi indépendante. À part une teinte d'humanisme chrétien, il n'est pas désobligeant de dire qu'elles se fondent dans le moule culturel et économique de la France d'aujourd'hui.

Les facultés quant à elles cumulent plusieurs difficultés.

Des difficultés financières, car les subventions de l'État sont insuffisantes et ce sont des établissements complexes et coûteux, l'État se faisant – évidemment – tirer l'oreille pour financer les "Cathos". De plus, la répartition des subventions entre les cinq Cathos françaises suppose qu'elles s'entendent, ce qui n'est guère le cas en raison de la politique financière de l'ICP, qui a cherché à prendre ses distances.

La question qui fâche

Pour tenter de sortir de leurs difficultés budgétaires, les Cathos ont signé avec le ministre Jack Lang un protocole d'accord le 30 avril 2002, la veille des élections présidentielles ! Or accepter de l'argent de l'État, c'est aussi accepter moins de liberté, ce qui repose la question qui fâche : que veulent vraiment les Cathos ? Un enseignement libre ou une intégration progressive dans le service public, à l'instar de la politique de l'enseignement catholique du premier et du second degré ?

À ces problèmes financiers et stratégiques s'ajoutent les questions structurelles. Pour faire court : qui est le patron de l'Institut catholique de Paris ? La question a beaucoup agité le landernau catholique cet été. L'autonomie et la syndicalisation des personnels, l'éclatement des centres de décision (recteur, chancelier, secrétaire général, etc.), la gestion ecclésiastique de l'ICP ne sont pas faits pour faciliter la tâche du recteur, quelque soit la personnalité politique de celui-ci.

Pierre Cahné, un professeur de stylistique proche de la revue Communio, n'aura pas la tâche facile. Élu par un collège de 37 évêques "fondateurs", il n'a pas réuni la majorité du conseil d'établissement – qui n'a qu'un rôle consultatif – composé des doyens des facultés, des directeurs des écoles et des délégués de professeurs. On reproche à Pierre Cahné son "profil idéologique" (Le Monde du 23/09), révélateur des tensions entre la faculté de théologie et l'archevêché de Paris.

Car si les écoles ont su développer des politiques d'autonomie par nécessité (elles sont en concurrence avec les grandes écoles et les écoles consulaires), les facultés catholiques peinent à proposer dans les matières profanes un projet éducatif et pédagogique spécifique attirant. Déjà, leurs faiblesses ont provoqué la création de facultés entièrement libres (Ices, Ircom, Albert-le-grand, Faco et IPC). Celles-ci répondent à un besoin nouveau dans les disciplines profanes : pédagogie d'école propre, cohérence des formations, liens entre culture et foi.

Du côté des disciplines théologiques et associées, la fronde plus ou moins ouverte vis-à-vis du magistère, le refus de se situer dans la mouvance de la Nouvelle Évangélisation, la rupture avec un passé jugé trop clérical, nuisent aujourd'hui au recrutement des Cathos. Les étudiants de la génération Jean-Paul II qui souhaitent une formation dans la ligne du renouveau de l'Église, sonnent à d'autres portes. Sur décision du cardinal Lustiger, l'archevêché de Paris n'y envoie plus ses séminaristes depuis longtemps.

Dans le secteur profane comme dans le secteur religieux, les Cathos sont sur des schémas qui datent et sur des positions plus épidermiques que raisonnées : elles savent ce qu'elles ne veulent pas, plus que ce qu'elles veulent. Laissées à elles-mêmes depuis plusieurs dizaines d'années, elles manquent aussi probablement de moyens humains pour imaginer d'autres voies et d'autres objectifs.

Mgr Vingt-Trois a pris le problème à bras-le-corps et l'on peut espérer que le nouveau recteur gagnera la confiance du personnel et du corps professoral. Mais pour conduire la réforme nécessaire, il faudra du temps et de l'énergie. Le 1er juin 1980, Jean Paul II avait rappelé la Catho de Paris à sa vocation : "Jeter dans le monde qui pense un ferment chrétien" et souligné son "rôle spécifique irremplaçable". Le dossier semble hélas être demeuré en jachère depuis lors.

Pour en savoir plus : http://www.icp.fr/

> D'accord, pas d'accord ? Envoyez votre avis à Décryptage

>