Article rédigé par Jean-Marie Allafort, le 02 mai 2003
[Jerusalem] - La nomination d'Abou Mazen au poste de Premier ministre de l'Autorité palestinienne est sans doute la plus grande victoire politique d'Ariel Sharon. En isolant Yasser Arafat à Ramallah, avec le soutien de l'administration Bush, le Premier ministre israélien a atteint son objectif : obliger les Palestiniens à se trouver un nouveau leadership qui jouisse du soutien de la communauté internationale.
Abou Mazen est de ce point de vue l'homme idéal : numéro deux de l'OLP, il fut l'architecte des négociations secrètes avec Israël en 1993 puis des accords d'Oslo. Apprécié par les Américains comme par les Européens, il jouit de la réputation d'un homme pragmatique avec qui les pourparlers seront possibles. Arafat est bien conscient que son chef du gouvernement lui fera de l'ombre et qu'il risque, peu à peu, d'être dépouillé de ses prérogatives. Les diverses crises qui ont accompagné la formation du nouveau cabinet palestinien sont symptomatiques. Le président de l'Autorité palestinienne lutte pour sa survie politique et les deux leaders n'ont pas fini de se confronter. L'un des deux, en fin de parcours, aura le dessus. Arafat ne se contentera pas d'être un président de IVe République, d'autant qu'il jouit encore d'un large soutien populaire.
Dans la rue palestinienne, la nomination d'Abou Mazen est loin de faire l'unanimité. Selon un sondage effectué il y a quelques jours, seuls 3% des Palestiniens des Territoires la soutiennent. Un homme comme Jibril Rajoub, ancien chef des services de sécurité en Judée-Samarie, et disgracié par Arafat en juin dernier, aurait été mieux accueilli : l'homme a des allures de guerrier que n'a pas cet intellectuel de gauche. De plus, Abou Mazen est considéré par ses détracteurs comme celui qui a conduit le peuple palestinien au bord du gouffre. Co-signataire des accords d'Oslo, il porte bien plus qu'Arafat la responsabilité de l'échec des négociations. Il apparaît pour de nombreux Palestiniens ce que Shimon Pérès est pour la droite israélienne : le responsable de l'Intifada et de ses conséquences. Pour eux, ce sont les pourparlers de paix qui ont conduit à la guerre. Enfin, comme le souligne le quotidien palestinien de Londres Al Quds Al Arabi, Abou Mazen est considéré comme l'homme des Américains et des Israéliens : " La création d'un poste de Premier ministre répond à la volonté israélo-américaine d'écarter Arafat " et non le résultat d'une volonté palestinienne " d'assainir le système politique ". Le soutien inconditionnel de la Maison Blanche au nouveau Premier ministre et certaines déclarations enthousiastes d'hommes politiques israéliens renforcent cette impression. Si le gouvernement d'Israël veut asseoir l'autorité d'Abou Mazen chez les Palestiniens, il doit se garder de le déclarer trop vite comme le seul partenaire valable.
Côté israélien, si Sharon et la majorité de ses ministres se disent satisfait de la nomination d'Abou Mazen, la rue est plus circonspecte, quand elle n'est pas indifférente. Il y a quelques jours, à l'occasion de la journée consacrée à la mémoire des victimes de la Shoah, la presse israélienne a rappelé qu'Abou Mazen est titulaire d'une thèse de doctorat aux accents révisionnistes qu'il a soutenu à Moscou. Il met en doute l'existence des chambres à gaz et évalue à moins d'un million les juifs tués durant cette période. Selon lui, le mouvement sioniste a collaboré avec les nazis afin " d'augmenter le nombre de victimes juives de la Shoah et inciter le monde à opter pour la création d'un état juif sur la terre de Palestine ". Ces positions, qui en France tomberaient sous le coup de la loi, le discréditent largement en Israël. Le nouveau Premier ministre devra donc commencer par créer un climat de confiance aussi bien avec les Palestiniens qu'avec les Israéliens, tâche ô combien difficile !
Lors de son discours d'investiture à Ramallah devant le Conseil législatif palestinien, mardi 29 avril, Abou Mazen a clairement annoncé ses intentions : " Nous rejetons le terrorisme, quelle qu'en soit la source ou la forme. Nous croyons que ce type de méthodes ne fait pas avancer une cause juste comme la nôtre. Au contraire, elles la détruisent. " Contrairement à Arafat, il veut mettre un terme à l'Intifada comme il l'avait déjà déclaré au mois de décembre dernier face au représentant des factions politiques et militaires palestiniennes à Gaza : " Le peuple en a assez. Le peuple veut manger. Tuer n'est pas notre passe-temps favori. Nous avons un but à atteindre. " Puis se livrant à une analyse de la situation, il n'hésita pas à déclarer avec courage : " Certains ont d'abord déclaré que l'Intifada provoquerait l'effondrement du gouvernement Sharon, puisqu'il a été élu sur son engagement à assurer la sécurité. Mais Sharon n'est pas tombé, car l'Intifada a quitté les rails... Ils ont dit : "nous voulons libérer Jérusalem et les territoires occupés", et tout ce qu'ils ont obtenu, c'est que les territoires libérés suite aux négociations soient réoccupés par la force. Il ne nous reste plus que la bande de Gaza. " Positions d'autant plus audacieuses qu'il n'était pas à l'époque pressenti pour être Premier ministre.
La nomination au poste de ministre des Affaires sécuritaires de Mohamed Dahlan, ancien chef de la Sécurité préventive à Gaza et opposé à la poursuite de l'Intifada, s'inscrit dans cette politique définie par Abou Mazen : " Mettre un terme au chaos armé qui menace directement la sécurité du citoyen. " Dalhan, qui a été nommé ministre malgré l'opposition d'Arafat, est sans doute le seul à pouvoir désarmer les nombreuses milices qui se sont multipliées dans les Territoires ces deux dernières années. Au début de l'Intifada, il a dirigé les opérations et connaît mieux que quiconque, comme ancien chef des renseignements, le fonctionnement des divers groupes armés. Ces organisations de refus ont clairement exprimé leur point de vue sur cette question. Les deux derniers attentats suicides à Kfar Saba et à Tel Aviv sont des messages sans équivoques : ils poursuivront la lutte armée et n'ont aucune intention de se laisser désarmer.
Feuille de route. Au lendemain de l'entrée en fonction du nouveau cabinet palestinien, les Américains ont publié comme prévu un nouveau plan de paix, la "Feuille de route". Sa publication le 30 avril est passée quasiment inaperçue en Israël alors que dans les Territoires, elle a été reçue avec réserve. Ce plan a pour objectif un règlement définitif et global du conflit israélo-palestinien avant 2005 et prévoit la création d'un État palestinien indépendant et démocratique. C'est le Quartet (États-Unis, Russie, Nations unies et Union européenne) qui en garantit l'évolution. Il se réunira régulièrement à un haut niveau et décidera le passage d'une étape à une autre.
En voici les grandes lignes.
Phase I
L'Autorité palestinienne doit :
- Faire "une déclaration sans équivoque réitérant le droit d'Israël à exister en paix et en sécurité et appeler à un cessez-le-feu immédiat et sans condition".
- "Entreprendre des efforts visibles sur le terrain pour arrêter, démanteler et restreindre les individus et groupes" qui organisent et commettent des violences contre les Israéliens.
- Démanteler "les capacités et infrastructures terroristes".
- Mettre fin à toute incitation contre Israël.
- Placer tous les services de sécurité sous le contrôle du ministre de l'Intérieur.
- Convoquer des élections libres, ouvertes et équitables.
Israël doit :
- Faire une "déclaration sans équivoque proclamant son engagement en faveur du principe de deux États dont un État palestinien indépendant, viable et souverain [et] appeler à une fin immédiate des violences contre les Palestiniens en tous lieux".
- Geler toutes les constructions dans les implantations juives.
- Démanteler immédiatement les avant-postes illégaux des colonies construits depuis mars 2001.
- Cesser les démolitions d'habitations de militants palestiniens.
- Se retirer progressivement des zones autonomes palestiniennes réoccupées lors du conflit.
Phase II (dès la fin 2003)
- Prise de mesures pour "renforcer au maximum la continuité territoriale" pour les Palestiniens par Israël.
- Ratification de la Constitution palestinienne.
- Conférence internationale pour lancer le processus conduisant à l'instauration d'un État palestinien aux frontières provisoires.
- Promotion par le Quartet de la reconnaissance internationale de l'État palestinien et de son statut de membre des Nations unies.
Phase III (2004-2005)
Une seconde conférence internationale doit finaliser une solution permanente pour un État palestinien en 2005, avec les questions des frontières, du statut de Jérusalem, des réfugiés et des implantations, et la paix entre Israël et les autres États arabes.
Ce plan a l'avantage d'être précis et de se fixer des objectifs clairs mais les conditions sur le terrain sont loin d'être favorables. Alors que les attentats se poursuivent, les opérations de Tsahal dans les Territoires semblent ne jamais s'arrêter et font de plus en plus de victimes. Shaoul Mofaz, le ministre israélien de la Défense avait annoncé il y a quelques jours un allégement du bouclage des Territoires ainsi que le démantèlement de deux petites implantations illégales mais il s'est ravisé. Sharon traîne du pied et ne semble pas pressé de d'amorcer la moindre négociation.
Pourtant, l'heure de vérité est arrivée. Le Premier ministre israélien s'est prononcé plusieurs fois pour la création d'un État palestinien et s'est présenté comme le seul à pouvoir faire la paix avec les Arabes. Il peut aujourd'hui, après avoir écarté Arafat, reprendre les pourparlers ou utiliser la méthode d'Itshaq Shamir, c'est-à-dire faire traîner le plus possible la reprise des discussions. Cette seconde possibilité serait catastrophique.
Ariel Sharon et Abou Mazen ont rendez-vous avec l'histoire. Y seront-ils ?
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