Article rédigé par Laurent Mabire, le 02 mai 2002
Comme tout citoyen inscrit sur les listes électorales, vous avez reçu à votre domicile un bel album de seize photos dans une "jolie" enveloppe marquée du sceau de la République. Votre oeil averti aura examiné avec beaucoup de soins le portrait de chacun des candidats.
Faites-le si l'album n'a pas échoué dans la poubelle.
Seize double page à lire, c'est beaucoup, d'autant plus que les candidats ratissent large, avec des programmes hétéroclites qu'au bout de la lecture, on finit par mélanger. Au terme de cette lecture, reste à se laisser imprégner de la subjectivité que provoque la photo. Certaines provoquent le rejet immédiat, d'autres de la sympathie et beaucoup des interrogations. La photo peut être révélatrice d'un message si on la regarde bien mais il est très dur d'analyser ledit message en toute objectivité. La règle imposée est simple : "Conformément aux articles 18 du décret n°2001-213 du 8 mars 2001, R. 29 et R. 39 du code électoral, chaque candidat peut faire envoyer aux électeurs, avant chaque tour de scrutin, un texte de ses déclarations sur papier blanc et feuillet double, qui ne peut dépasser le format 210 x 297 mm (avec une tolérance de quelques millimètres). Cette déclaration doit être uniforme pour l'ensemble du territoire. L'utilisation d'emblèmes nationaux est proscrite. Les candidats exerçant ou ayant exercé des fonctions officielles ne peuvent utiliser une photographie les représentant dans l'exercice de leurs fonctions."
Par ailleurs "sont interdites les affiches électorales sur papier blanc (L. 48) ou qui comprennent la combinaison des trois couleurs : bleu, blanc et rouge (art. R. 27)" (source : ministère de l'Intérieur, mémento à l'usage des candidats). Au-delà de ces règles, toutes les audaces sont permises et le moindre que l'on puisse dire, c'est que les candidats sont restés dans un classicisme terrible avec toutefois plus ou moins de rigidité. Les candidats d'extrême gauche ont tous choisi le N&B, frais d'impression réduit, papiers recyclés, chiches mais qui ont l'avantage de ne pas tout barbouiller en rouge, couleur traditionnelle de ces mouvements. Le N&B fait moins agressif. Tous les autres candidats utilisent la couleur mais l'intensité est variable : couleurs naturelles (Chirac, Hue, Jospin, Saint-Josse), plus soutenues (Bayrou, Madelin, Lepage, Le Pen, Mamère, Taubira),voire saturées (Chevènement, Boutin). Les cadrages sont serrés, très serré pour Bayrou, le plus large étant Mamère puisque tout le buste est visible. Les photos occupent généralement toute la première page pour les petits candidats et une simple vignette pour les "grands", laissant la place au texte, plus intellectuel.
Faisons la revue des détails par candidat et que le lecteur excuse les traits d'ironie sous-jacents.
Madelin : Alain Madelin porte des dauphins sur sa cravate lâchement nouée sur un col ouvert. Dauphin de qui ? Ambition cachée ? Les dents sont irrégulières, éclatantes aussi et les plis autour des yeux montrent soit de la goguenardise, soit de la fatigue après une fête trop arrosée. Pas de veste. C'est mieux "pour faire enfin bouger la France". Cliché correct, plaisant.
Chirac : Une toute petite photo un peu crispée. Dur pour "la France en grand, la France ensemble". C'est chiche là aussi. Le costume est sombre, rigide, la cravate amidonnée. Très institutionnel. Un éclairage donne un teint pâlichon de veillée d'arme. On croit voir la statue de cire du Musée Grévin.
Jospin : Photo encore plus petite que Chirac, proche de la taille de celle de Gluckstein, le trotskiste (tiens, tiens !). Le cliché est bon, fixant le futur ex-Premier ministre dans cette attitude semi-rigide qu'il affectionne. Mais que diable vient faire ce grand fond rouge lie de vin agressif lorsqu'on clame "une France plus juste" ?
Bayrou : Un peu plus et c'était de la macro-photographie. Plan trop serré, photo intrusive. Ce n'est plus "le changement" mais "le grossissement". Pas de veste ni cravate. C'est avenant mais le maquillage se voit trop. La photo est prise au flash, c'est une évidence mais l'infographiste a effacé des yeux les points blancs des lumières. Le résultat donne un regard inexpressif, bien qu'il regarde l'électeur dans les yeux.
Taubira : Christiane Taubira donne l'impression d'être faussement débonnaire. Le sourire marqué est trop artificiel pour être sincère. Cette crispation est-elle due au port de tête que le photographe lui inflige (regarder en arrière en fixant l'électeur). Le coup de flash fait briller la peau noire. Un léger maquillage aurait évité cela simplement. "Pour une république qui vous respecte", soit, mais que les photographes fassent de même pour leurs clients !
Hue : Étonnant comme le PCF a jeté aux orties le rouge, la faucille et le marteau. La dominante de la photo de Robert Hue est un bleu quasi gaulliste ! Mal vu "pour que la gauche soit vraiment la gauche". C'est cependant une des meilleures photos de candidat. Les couleurs sont bien équilibrées. En revanche, c'est très institutionnel malgré une bonne bouille d'instituteur seventies auquel il ne manque que la pipe. Petit détail agaçant : les lunettes qui lui mangent tout le visage. Vraiment irritant.
Gluckstein : C'est la pire photo, une sorte de photomaton mal calibrée. Y a-t-il un photographe au Parti des travailleurs ?... Même avec un jetable, on ne lui en voudra pas. La "reconquête de la démocratie" commence par le travail bien fait !
Le Pen : Pourquoi d'aussi affreuses lunettes mangeant la quasi totalité du visage ? La pose est frontale, l'attitude générale rend compte du personnage. La bouche est offensive. On l'entend clamer sa réplique "la France et les français d'abord". Nul doute que la photo du second tour sera très différente, plus consensuelle. Techniquement, un mauvais point pour l'infographiste qui a réalisé un détourage des cheveux sans mettre un coup de flou. Détail croustillant : la cravate représente des petits bateaux à voile stylisés que l'on identifie mal au premier abord. Allez savoir pourquoi, le nœud de cravate, avec le pliage, les met sens dessus-dessous, les faisant ressembler à de petits phallus ! "Nique ta mère" à tous les autres candidats ? Le diable niche toujours dans les détails.
Lepage : Voici un joli chromo trop lisse pour être vrai : un fond de nature idéale, la mer avec la vague qui passe, le goéland, le phare trop blanc sur une végétation trop verte dominant des rochers exempts de petites galettes gluantes. On en pleurerait de joie. "L'environnement, c'est la vie" et Lepage lave plus blanc que son chemisier immaculé. C'est trop propre pour ne pas ressembler à une pub d'un lessivier. La photo est évidemment sympathique mais on peut regretter une symétrie trop nette.
Saint-Josse : En quoi le bon oncle Jean (car il ressemble à un bon tonton de province) représente-t-il "la France des différences" ? Costume vert forêt au lieu de bleu Rive gauche ? Rien ne peut le dire sur le cliché, naturel et équilibré (boite à lumière et réflecteurs). Ah, ce fond bucolique, très flou mais si suggestif. On y devine très bien un alignement de cahutes d'où, au petit matin, partent des volées de plomb vers les palombes... d'ailleurs absentes de la photo !
Mégret : "Remettons la France à l'endroit" en commençant par virer avec armes et bagages l'infographiste qui a fait ce montage photo. Difficile de faire pire en partant d'une bonne intention. N'y a-t-il donc eu aucun moment où les époux Mégret on pu poser ensemble pour cette photo ? C'est d'ailleurs le seul tract pour lequel nous avons une photo de couple. Qui est le candidat ? Qui soutient qui ? Cela à dû jouer dans le vote. Et puis cette cravate bleu ciel large comme un bavoir, c'est une faute de goût qui aurait dû interpeller le photographe !
Chevènement : La photo du Che rappelle les premiers journal de TF1, où toute la misère du monde tombait sur les chaussures de Roger Gicquel. Plus triste, impossible. Les traits sont tirés, la bouche amère, le regard terne et le blanc de l'œil parsemé de veinules rouges. Bref, une "force de la France" à mettre d'urgence sous DHEA et vitamines. Comme pour Jean-Marie Le Pen, le diable se cache dans les détails. Pour le Che, c'est la cravate qui est révélatrice. Elle s'orne de motifs qui semblent être des hallebardes mais à y regarder de près, cela ressemble à des fleurs de lys. Pas étonnant chez un spécialiste de Bainville. Allez, vive le roué, la République a toujours été en deuil de la monarchie, c'est bien connu.
Boutin : C'est également un très joli chromo, avec des couleurs saint-sulpiciennes qui évoqueraient une boutique de souvenirs dans les rues de Lourdes. La photo est trop saturée, donnant un teint rougeâtre. Le regard est en revanche vivant et la mine réjouie, avec une volonté évidente de séduction. Avec Arlette Laguiller — soyons audacieux dans les rapprochements —, le seul point commun est l'absence de bijoux. Dans un dérapage oculaire mal contrôlé, l'oeil lit "Missions sur la France" au lieu de "Misons sur la France". Technique subliminale ?
Mamère : C'est la photo la plus "étendue" dans un format de document original par rapport à la concurrence. Le personnage affiche une mine sympathique et un regard "canaille" d'animateur de cabaret. Il manque la pipe et une guitare pour avoir des faux airs du regretté Brassens. On le sent content d'être passé à "l'écologie pour choisir sa vie". Pas de fond campagnard pour les Verts, juste une bande d'un vert très camion-poubelle parisien. Le costume de bonne facture sonne peu écologiste — plutôt Saint Germain-des-Près — et la cravate semble avoir été retirée au dernier moment, pour les besoins de la photo. Vers la ceinture, une zone floue suspecte laisse supposer une intervention Photoshop un peu bâclée.
Laguiller : Un peu de couleurs et c'était une photo très people, avec son air volé dans un coin de meeting. Pas d'artifice de lumière, ni de maquillage d'ailleurs. Ce sont des futilités dont les travailleurs peuvent se passer. Pas de slogan de campagne non plus. Pur et dur.
Besancenot : Voilà une bonne photo du copain sympa avec qui "nos vies valent plus que leurs profits". La figure est avenante dans ce cliché pris en légère plongée. Le sourire est discret et n'a pas cette artificialité qui marque beaucoup d'autres candidats. C'est le plus décontracté.
Au second tour, puisque nous recevrons un album plus mince, essayons d'avoir un regard critique de photographe. Et puis formulons des souhaits pour que la nouveauté apparaisse dans cet exercice imposé. Pas un des candidats n'a eu recours à une grande pointure de la photographie. Alors que tous en tartinent des pages entières sur la "culture", on se demande si celle-ci ne se limite pas aux champs de patates !