Article rédigé par Giorgio Salina, le 20 juin 2007
À la fin du mois de juin, la Présidence allemande de l'Union européenne arrivera à son terme et cèdera la place à la Présidence portugaise. Avant l'échéance de son mandat, le chancelier Angela Merkel a annoncé une proposition pour relancer le processus institutionnel (certains préfèrent encore l'appeler "constitution") ; à la CIG (conférence inter-gouvernementale) des 21-22 juin, Mme Merkel tiendra son engagement, pour lequel elle a eu de nombreux "échanges de vues" avec tous les gouvernements concernés, les 27 gouvernements des pays membres.
Anticipant ce que veut le chancelier allemand, et certaines déclarations du nouveau président français Sarkozy, s'entrevoit la proposition d'un traité institutionnel souple ("snello"), reprenant les deux piliers proposés par le texte de la Convention présidée par Giscard d'Estaing, ratifié par 16 gouvernements, pour la plupart par voie parlementaire, et rejeté par référendums populaires en France et en Hollande. Cette proposition conserverait le chapitre concernant le fonctionnement des institutions communautaires, et en particulier le système de prise de décision, réduirait fortement les domaines pour lesquels l'unanimité sera encore nécessaire, augmenterait le nombre des décisions sujettes à la majorité, et préciserait à quel type de majorité (simple, qualifiée, "double" sur la base du nombre des États et des citoyens, etc.) ; et reprendrait la Charte des droits fondamentaux, approuvée à Nice en 2000, et reprise aussi dans la Convention.
Dans certaines déclarations, reprises par quelques chefs de gouvernement, notamment des Pays de l'est, la même Angela Merkel a parlé de l'élimination du drapeau de l'Europe, de son hymne, d'une "fête" européenne, du terme "constitution", en somme de tout ce qui peut faire penser à un super-État qui évoque pour beaucoup des compétences nationales, ce qui est refusé par la Pologne, l'Angleterre, les Pays baltes, la République tchèque, la Slovaquie, et d'autres.
Tout cela indigne beaucoup de parlementaires, surtout ceux qui ont été partie prenante de la Convention, qui crient au scandale et à la trahison des idéaux européens, puisque tous les États ont solennellement signé le Traité constitutionnel à Rome.
Il peut être utile pour comprendre l'insolite âpreté du conflit sur les institutions de l'UE, de reconsidérer quelques faits :- Le texte du traité constitutionnel a été signée par tous les pays membres, seize l'ont ratifié, onze non.
- Si la ratification par voie parlementaire et par référendum populaire avait été poursuivie, on aurait eu d'autres échecs.
- La Charte des droits fondamentaux est l'un des documents les plus ambigus de l'UE ; sans citer expressément quelques unes des questions traitées, elle ouvre la porte au mariage homosexuel, à la limitation du droit à l'objection de conscience, et même (ce qui convient au moins à ses partisans) au clonage humain.Pressions inqualifiables
Après la signature de ces documents, les négociateurs européens de l'élargissement de l'UE au nouveaux pays membres, ont exercé des pressions indues et des ingérences manifestes pour changer les législations nationales, afin d'autoriser l'avortement, le mariage homosexuel et les unions de fait, en limitant le droit à l'objection de conscience surtout lorsqu'il concerne l'avortement, thérapeutique ou non. De telles pressions inadmissibles ont été exercées au nom de "l'acquis communautaire", et des principes consolidés que tous les pays membres devraient accepter.
Après ces faits inqualifiables, certains soutiennent la nécessité d'adopter le texte original tel qu'il est, laissant de côté ceux qui n'en veulent pas, comme l'a dit notre président du Conseil Romano Prodi au Parlement européen, s'offrant à assumer la direction ("assumere la guida") des pays décidés à poursuivre, et suscitant la protestation de pays comme la Pologne, l'Angleterre et la Finlande, pour n'en citer que quelques uns.
Au cours de la semaine passée (celle des 4 au 8 juin) ces difficultés ont été soumises au filtre du Parlement européen qui s'est penché sur le problème en séance plénière, et en commissions. En vue du sommet européen de Bruxelles, après une vaste discussion, le Parlement a approuvé une résolution qui recommande l'adoption du texte original, et de toute façon l'insertion de la Charte des droits fondamentaux (présents 642 députés, soit 82%, 469 pour, 141 contre et 32 abstentions).
Arguments extravagants
À noter que dans le débat, on a entendu des thèses au minimum extravagantes, comme l'affirmation tellement rabâchée pour apparaître évidente : "Il faut une Constitution pour combattre le changement climatique." Et pendant que certains évoquaient les effets les plus nuisibles auxquels la Constitution devrait porter remède comme la "désertification", d'autres citaient le fort accroissement de moustiques-tigre (porteurs du chicungunya, Ndt), qui selon les entomologistes, prolifèrent dans les zones marécageuses. Un argument qui a occupé une place considérable dans le débat, avec la reformulation d'un scénario maintenant connu par coeur, au point que lorsque l'estimé José Salafranca (député européen, PPE-Espagne, Ndt) a dit "d'accord pour combattre le changement climatique, mais attention à ne pas le combattre dans un cimetière économique", personne n'a cru devoir lui répondre, jugeant son propos hors sujet...
La seconde impression qui ressort du débat est la totale incommunicabilité entre les différentes positions. En Commission des affaires constitutionnelles, jeudi 7 juin, est intervenu le ministre des Affaires étrangères de la République tchèque, Alexandre Vondra, qu'on dit en faveur de la solution "souple" que proposera probablement Angela Merkel. Il a été attaqué à la limite de l'insulte : "Alors que vous avez signé le Traité, et même si vous ne l'avez pas ratifié, est-ce ainsi que vous honorez votre signature ? Êtes-vous entré en Europe pour participer ou pour saboter ? Si vous n'êtes pas en mesure d'accepter l'avis de la majorité, allez-vous-en, etc." Personne, je dis bien personne, a fait le minimum d'effort pour comprendre les raisons de la position du ministre !
Deux considérations pour finir :
1/ En identifiant clairement les domaines de compétence de l'UE, et ce qui reste de la compétence des États membres, on pourrait probablement désamorcer le conflit. Quelques députés ont déjà proposé une résolution en ce sens, dénonçant entre autre une inflation législative, à l'origine du cercle vicieux des jugements de la Haute Cour de justice, qui accumule une jurisprudence négative, non conforme à une application correcte du principe de subsidiarité. Il est difficile de comprendre le refus de cette voie, qui n'admet pas les fondements des positions préjudicielles.
2/ Il est maintenant évident, même si certains ne veulent pas l'admettre, que la proposition de la Présidence allemande sera un texte "souple", à adopter et à ratifier d'ici les prochaines élections européennes de 2009. Ceci ayant vérifié la voie impraticable d'autres hypothèses, dont cette malencontreuse Europe "à deux vitesses". S'agissant de toute façon d'un nouveau texte, celui-ci devra être ratifié dans tous les États, sachant que beaucoup demandent que cela se fasse par référendum populaire, le même jour dans tous les pays de l'UE.
*Giorgio Salina est président de l'associazione per la Fondazione Europa (Milano, Bruxelles, Paris). Traduction française Décryptage.
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