L'UE en chiraclette
Article rédigé par A Milan, Luigi Amicone, le 01 juillet 2004

Les Anglais ont mené une guerre de tranchée pour le rendre un peu moins centraliste, Giorgio Vittadini le définit comme "impérialiste" (Décryptage, 25 juin), le Pape se plaint parce qu'il manque de racines.

Voici donc une proposition modeste de rectification pour sauver ce qui peut l'être dans le nouveau Traité constitutionnel européen.

" Merci, Monsieur l'abbé ! " Chirac fait de l'esprit pendant que Berlusconi achève son dernier discours sur les racines chrétiennes. Mais il n'y a aucun correspondant à Bruxelles, de droite ou de gauche, qui l'ait noté : sommes-nous entre chefs d'État ou à une réunion de copropriétaires ? A-t-on couché sur papier l'acte le plus important de la construction européenne, ou bien le règlement de police municipale d'un patelin quelconque ? À coup sûr, le Président français, principal supporter de cette " constitution impérialiste ", a encore raté l'occasion de rester dans l'histoire autrement que comme l'inventeur, en tant que maire de Paris, de la machine à ramasser les déjections de la florissante population canine de la capitale française et que la vox populi a rebaptisée Chiraclette (ou motocrotte, Ndlr).

Il est certain qu'après l'approbation de la nouvelle Constitution, l'Europe est plus divisée que jamais [...]. Et ceci parce que, justement, l'Italie, la Grande-Bretagne, le Portugal, l'Autriche, la Pologne et tous les nouveaux locataires de l'Est n'acceptent pas de faire les petits chiens sous la table des deux Rois-Soleils. Ou d'un soi-disant leadership franco-allemand qui se voulait tragique et qui se révèle comique (et d'autant plus qu'au regard des élections européennes, leurs propres concitoyens ont désavoué Chirac et Schröder, les Rois-Soleils).

Ne reste-t-il donc plus qu'à pleurer, et à bénir les canons de Master and Commander pointés sur cette vieille U.E. ? Certes, on ne pleurera pas, mais il faut s'attendre à ce que l'on fasse un peu la guerre à cette dérive franco-maçonnique (sic). Si en effet, sous l'hégémonie d'un petit De Gaulle, la caravelle du Vieux Continent paraît s'ensabler, exsangue et abattue, sous drapeau blanc, sans aucune identité (sauf naturellement cette impertinente voile tricolore qui claque au vent comme un insipide vers ecclésiastique de Pétrarque en Avignon), la britannique, elle, a au moins le mérite de se battre pour quelque chose, ne serait-ce encore seulement que pour Sa gracieuse Majesté.


Aucunes racines chrétiennes mais le culte de la Terre

En revanche, si elle n'a pas encore de tête, l'Europe a au moins une Constitution, et une Constitution volage. Le Pape se " plaint " des scrupules qu'ont eu les élargisseurs en évitant toute référence aux racines chrétiennes. Eh bien, il a raison. Mais comment ne pas attribuer à Giscard d'Estaing et à ses frères de la Convention, le record olympique de funambulisme en réussissant – et ils ont réussi – à enfanter un texte qui élude l'histoire et qui couvre d'une épaisse couche de gélatine onusienne la réalité effective, les traditions et les passions véritables des Européens, hommes et femmes ?

Les funambules nous prescrivent comme source d'espérance, le culte de la Terre Mère ; comme maison commune, une barcasse sur laquelle se consomme un banquet fait de friture légaliste sans aucun encouragement à l'identité des peuples réels. Les funambules nous offrent donc un menu qui est bon, certes, mais pour nous faire passer le poisson du marché de Bruxelles.

Politiciens contents, peuples perplexes

En somme, nous nous attendions à une Magna Charta à l'échelle du continent et ils nous ont donné une partition écrite avec équerre et compas. Nous pensions à une déclaration du style de la Déclaration américaine, concise mais efficace, sur l'esprit et les racines des libertés européennes, et ils nous proposent le culte de la déesse Cybèle. Nous cherchions des fondations dans lesquelles nous aurions pu reconnaître l'ADN de peuples réunis non par le Mur de Berlin mais par la chute de ce Mur grâce au monde de la démocratie, de la liberté et de la personne, et ils nous offrent des dessins animés et le menhir d'Obélix. Nous voulions une pensée et ils nous ont donné le New Age de Paulo Coelo, l'écrivain préféré de D'Alema. Une pincée d'Aristote, de Dante, de Cervantès, de Shakespeare, de Rimbaud, de Kafka ? Rien du tout, juste des balourdises qu'aurait pu écrire un Pecoraro Scanio et souscrire un tambour de Berlin-Est.

Parce que, même en apparaissant sur le fond bleu d'un ciel étoilé, qu'est-ce que la photographie de la Constitution de l'U.E. sinon une Europe réduite à un restoroute, à un espace vide, à un conteneur, à une pompe qui au lieu de distribuer de l'essence distribue des lois, des règlements, des bonnes intentions, de l'encens et vise à l'énergie cosmico-architectonique de l'univers ? Voilà ce qu'est l'Union des Chirac : un restoroute de la tolérance entendue comme culte laïc de l'indifférence, du nivellement des différences et de l'indifférenciation.

Le tam-tam des agences médiatiques dit que la classe politique européenne est très satisfaite de cette gélatine à la carte. Ce qui serait très préoccupant si – comme on l'a vu par les résultats des abstentionnistes, sceptiques et nationalistes des élections européennes – il n'y avait les peuples, à qui personne n'a demandé leur avis avant qu'on ne leur écrive cette Constitution, qui ne semblent pas très satisfaits de cette Europe de politiciens très satisfaits.


Ce que le Pape a dit à Kwasniewski

Que peut-on faire à présent ? Rien, si non tenter de tambouriner jusqu'à Strasbourg et de proposer des amendements. Le premier pourrait être celui que nous extrapolons du discours adressé par Jean-Paul II au président de la République de Pologne, Aleksander Kwasniewski, le 18 mai 2004. Discours qui en principe rend honneur aux libérateurs de l'Italie et de l'Europe sous le joug nazi et fasciste et, revenant sur le 60e anniversaire de la bataille de Monte Cassino, à " tout Polonais " qui " se souvient avec orgueil de ces combats qui, grâce à l'héroïsme de l'armée commandée par le général Anders, ouvrit aux Alliés la route de la libération de l'Italie et de la défaite des envahisseurs nazis. Au cimetière militaire de Monte Cassino se trouvent des tombes sur lesquelles ont été placées des croix latines et grecques ainsi que des stèles marquées de l'étoile de David. Ici reposent les héros tombés, unis par un idéal, celui de lutter pour ‘notre liberté et la vôtre', idéal qui comprend en soi non seulement l'amour de sa patrie mais aussi la sollicitude pour l'indépendance politique et spirituelle des autres nations. Tous sentirent le devoir de s'opposer à tout prix non seulement à la vexation physique des individus et des nations, mais aussi à la tentative d'anéantir leurs traditions, leur culture et leur identité spirituelle ".

C'est beau, non ? Mais nous, ici, nous ne demandons pas l'abrogation de la gélatine par référendum ou en faisant du vacarme au Parlement européen. Non, rien de tout cela, nous ne demandons qu'un tout petit amendement de rien du tout qui ne cherche pas à soustraire mais à ajouter quelque chose de réaliste et d'historique au culte de la Terre, de la Tolérance et de la Paix éternelle et universelle, etc., amen. Nous demandons que soit inscrite cette phrase – nous ne sommes pas scandalisés que ce soit un pape âgé qui l'ait prononcée, n'est-ce pas ? ni non plus que ce soit un président ex-communiste mûr qui l'ait approuvée ?

Il est vrai que le problème se pose en ces termes : cela correspond-il ou non à la réalité ?

Détonnerait-elle ou non face à toutes ces idées platonico-théosophiques accueillies dans la Charte ? – cette phrase : " Nous reconnaissons qu'au cours des siècles, le patrimoine culturel et spirituel de l'Europe a été formé et défendu jusqu'à l'effusion du sang par ceux qui ont confessé le Christ et par ceux qui par leur credo religieux se réclament d'Abraham. "

Qui est d'accord avec cette notule corrective la souscrive. Et qu'il la fasse circuler.



© Tempi, 24 juin 2004, traduction française Eric Iborra pour Décryptage.




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