Article rédigé par François de Lacoste Lareymondie, le 03 avril 2009
Les prophètes de mauvais augure ont eu tort : la montagne n'a pas accouché d'une souris, mais d'une autre montagne. Grâce au travail intense de préparation réalisé par les Britanniques, probablement grâce aussi à la tension provoquée par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel, le G20 a débouché sur bien plus que des bonnes paroles. La seule question qui demeure ouverte, mais elle est majeure, porte sur l'objectif même poursuivi par ses dirigeants : est-il ou non cohérent avec la nature de la crise ?
Un succès incontestable
Une fois de plus, on déplorera la médiocrité des médias qui préfèrent s'appesantir sur les à-côtés et qui négligent le fond des choses, que ce soit par incompétence ou par paresse.
Bien sûr, les rencontres multilatérales se terminent par des textes longs (le communiqué et ses deux annexes comptent 17 pages), difficiles à lire parce que très techniques, rédigés dans le sabir propre à ces enceintes ; elles aboutissent rarement à des décisions immédiatement opérationnelles mais plutôt à des orientations générales qui appellent ensuite des mesures d'application dont le contenu précis reste à mettre au point. C'est la loi du genre. Ici la surprise vient de l'ampleur du champ balayé par les dirigeants du G20 et des missions qu'ils ont confiées aux diverses instances multilatérales pour mettre la partition en musique.
Une première conclusion s'impose : pour l'essentiel, les Européens ont obtenu gain de cause et obligé le gouvernement américain à en passer par leurs exigences ; ce qui explique peut-être le caractère mitigé des propos tenus par le président Obama, lui qui va devoir ensuite imposer le paquet aux lobbies et faire plier le Congrès appelé à le ratifier. Il est vrai que les Américains, par qui le scandale est arrivé, sont sur la défensive et qu'ils ont beaucoup à se faire pardonner.
Un paquet considérable de mesures
On s'est focalisé sur les montants engagés dans la relance des économies, en mélangeant d'ailleurs tous les chiffres. Les 5 000 milliards de dollars que d'aucuns ont évoqués sont le résultat d'une addition de choux et de carottes ; ils représentent l'ensemble des mesures de relance engagées ou envisagées par les États sur deux ans et n'ont pas d'autre signification.
Plus important est le triplement des ressources des organismes financiers multilatéraux (avec 850 milliards de dollars supplémentaires) sous forme de contribution directe des États membres, d'émission de Droits de tirage spéciaux (DTS) [1], ou de vente d'or, afin de permettre non seulement au FMI de secourir les nombreux États que la crise met en difficulté de balance des paiements, mais aussi de financer les programmes des banques multilatérales d'investissement [2] et de la Banque mondiale, notamment dans les pays pauvres. Accompagnée d'une promesse ferme de réformer la gouvernance de ces institutions en faveur des mêmes pays, cette mesure montre que les préoccupations dont le Saint-Siège s'était fait le porteur conjointement avec les gouvernements concernés, et dont le Premier ministre britannique, G. Brown, s'était aussi fait l'écho, ont été entendues.
L'énumération des très nombreuses mesures techniques de réparation du système financier mondial dépasse le cadre de cet article. Je me contenterai de passer en revue les têtes de chapitre :
- renforcement des pouvoirs du Forum de stabilité financière, avec un rôle nouveau d'harmonisation mondiale des normes et de supervision des superviseurs nationaux ;
- reformatage des systèmes de régulation pour identifier et contrôler les risques macro-prudentiels , c'est-à-dire les risques systémiques ;
- révision des normes comptables et prudentielles applicables aux banques, notamment pour renforcer la couverture de leurs engagements et réduire leur exposition aux risques ;
- extension de la réglementation financière aux agences de notation et aux hedge funds , encadrement des rémunérations des banquiers et financiers, et développement du rôle social des entreprises ;
- mise sous surveillance des paradis fiscaux et réglementaires, assortie d'une légitimation des mesures de rétorsion à l'encontre de ceux qui ne coopéreront pas.
Ces orientations devront être traduites en normes techniques et juridiques au cours de l'année 2009, les échéances fixées étant assez proches, ce qui laisse prévoir un intense travail de concertation et un important développement réglementaire dans les mois à venir. Le point sera fait par le G20 en septembre.
Un doute sur l'objectif
Si l'objectif est de restaurer le système, de remédier aux dysfonctionnements graves dont on a constaté les méfaits, on ne pouvait guère espérer davantage : la panoplie est complète, et probablement suffisante sous réserve qu'elle soit effectivement mise en œuvre. Mais c'est précisément dans cette hypothèse que se noue la question.
Ce disant, on ne succombe pas aux incantations idéologiques des altermondialistes et autres contempteurs du système. Je me suis seulement demandé si le diagnostic qui sous-tendait la médication était cohérent avec ce que l'on perçoit de la réalité quand on cherche à aller au fond des choses, ou s'il ne reflétait pas davantage une aspiration très forte à rétablir le statu quo ante afin de repartir comme avant. Il n'est que d'écouter les acteurs, les conseillers, les dirigeants pour ressentir un malaise : celui que suscite toute tentative de Restauration, au sens historique que nous connaissons bien.
Une erreur de diagnostic ?
En revanche, si ce n'est pas un accident de parcours, si le cataclysme trouve sa source dans une cause plus profonde, alors le risque est grand que la médication ne soit pas adaptée, que ces effets réparateurs soient de courte durée, voire qu'ils aggravent le mal. Or, à y regarder de près, on se convainc rapidement que cette cause profonde se trouve dans le surendettement général et massif des économies occidentales.
Il suffit de considérer l'ensemble des dettes contractées par les acteurs publics et privés des différents pays, et en premier lieu des États-Unis. À la fin de l'année 2008, la dette brute [3] de l'État fédéral représentait 64% du PIB ; elle doit aujourd'hui avoisiner 75% et continue de s'accroître à grande allure. Mais il ne faut pas s'arrêter là : bien que les estimations ne soient pas toujours précises, on peut évaluer la dette brute des particuliers à près d'une fois le PIB et celle des entreprises à environ 2 fois le PIB ; d'où un endettement brut total qui équivaut à plus de 3,5 fois le PIB.
En Europe, les niveaux sont moindres et disparates, mais importants : en moyenne, l'endettement brut total y représente entre 2 fois et 2,5 fois le PIB. La disproportion entre le passif des acteurs et la capacité de l'économie à générer des flux suffisants pour amortir la dette est considérable. On sait qu'aux USA et dans beaucoup de pays européens, le taux d'épargne des États est négatif. Quant au taux d'épargne des ménages, s'il est globalement positif en Europe, il tangentait zéro en Amérique jusqu'à ces derniers mois.
Quels que soient les dispositifs techniques adoptés, et fussent-ils bienvenus comme nombre de ceux qui ont été décidés à Londres, remédier à la crise par un surcroît d'endettement revient à traiter le drogué par une dose supplémentaire d'euphorisant alors qu'il a besoin d'une cure de désintoxication. Quand on est saturé de dettes, opérer de gigantesques transferts de risques comme on le fait des banques vers les États depuis un an n'est qu'un pis-aller ; sans doute nécessaire dans l'instant pour éviter une implosion comparable à celle de 1929, mais qui ne saurait constituer la solution. On n'a simplement déplacé le problème.
Au contraire, il est urgent de se préoccuper de tous ceux qui ne peuvent plus rembourser, notamment les plus pauvres ; de se donner les moyens de repartir sur des bases saines ; et de cesser de privilégier l'endettement au détriment des fonds propres, propres dans les deux sens du terme, comme mode de financement ordinaire de nos activités, même si cela implique de changer notre mode de consommation.
Comment ? c'est toute la question. Et précisément l'objet du colloque que l'Association des économistes catholiques et l'association pour la Fondation de Service politique organisent ce samedi 4 avril.
[1] Le DTS est une unité de compte créée par le FMI en 1969 pour pallier l'insuffisance de ses ressources. Elle représente du papier monétaire international non-convertible attribué par lui aux pays membres peuvent l'utiliser en cas de déficit de leur balance internationale des paiements pour régler leurs dettes avec un autre pays, ou avec le FMI.
[2] Banque africaine de développement (BAD), Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), Banque inter-américaine de développement.
[3] Il convient de se référer à la dette brute parce que c'est elle qui doit être refinancée. La dette nette (après déduction de l'épargne) est un concept de richesse qui ne tient pas compte de la désynchronisation inévitable entre l'actif et le passif. En outre, il faudrait déflater l'épargne de l'effondrement récent des bourses et des valorisations.
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