L'intervention en Libye : escalade dans le brouillard
Article rédigé par Philippe Oswald, le 11 juin 2011

Faute de résultats probants des frappes aériennes, l'Otan fait intervenir des hélicoptères de combat contre Tripoli dans un remake de  Apocalypse Now .

Les bombes pleuvent sur Tripoli : c'est à peu près la seule certitude quant à la situation en Libye au bout de presque trois mois de guerre. Une drôle de guerre, sans résultat décisif de l'aveu de l'Otan, puisque les alliés ont décidé l'intervention d'hélicoptères de combat pour fignoler, si l'on ose dire, le travail des avions et des missiles inadaptés aux combats en milieu urbain.

La France et le Royaume uni toujours en première ligne.

Pas de grand changement non plus du côté des exécutants du  sale boulot  : la moitié des frappes aériennes (plus de 1800 !) a été l'œuvre de la  France et du Royaume uni dont une vingtaine d'hélicoptères de combat sont à présent engagés dans un remake de  Apocalypse Now . C'est bien le scénario  présenté le 8 juin par le secrétaire général de l'Otan, Anders Fogh Rasmussen, au terme d'une réunion avec les ministres de la Défense alliés qui ont validé la décision de concentrer les tirs sur la capitale libyenne :  Nous allons faire monter la pression aussi longtemps qu'il faudra, a-t-il déclaré, et l'effort finira par conduire à l'effondrement du régime. Peut-être, mais à quelle échéance et à quel coût tant humain que financier ?

 La campagne s'éternise 

Le prix à payer ne tardera pas à paraître exorbitant si la guerre devait se prolonger au-delà des quelques  semaines  témérairement annoncées par le secrétaire général de l'Otan, alors que le ministre français de la Défense, Gérard Longuet, estime, lui, que l'affaire est loin d'être réglée : Oui, a-t-il reconnu, la campagne s'éternise, mais c'est parce que nous avons choisi la voie des airs (plutôt qu'une intervention terrestre) ; il ajoute ne pas croire à l'imminence de la chute de Kadhafi, en raison d'une irrationalité qui le conduit à des comportements imprévisibles -un trait de caractère connu depuis des décennies, y compris les années récentes où Paris déployait le tapis rouge pour le dictateur !

Parions que l'opinion publique va perdre patience au moins dans les deux pays qui portent le gros du fardeau, à savoir la France et le Royaume Uni, certes épaulés à des degrés divers par l'Italie, la Belgique, le Danemark, la Norvège, le Canada, les Etats-Unis (plus, hors Otan, les Emirats arabes unis, le Qatar et la Jordanie). Il reste que sur les 28 pays membres de l'Otan, seulement huit participent aux frappes aériennes, multipliant les victimes, mettant en jeu la vie de leurs soldats, vidant leurs stocks de munitions et grevant leurs finances déjà très mal en point.  Si le coût de cette guerre reste un mystère bien gardé, on peut néanmoins être certain qu'il restera léger pour le pays le plus prospère de l'Union européenne, l'Allemagne, qui campe sur son opposition à l'intervention en Libye. Quant aux autres membres du club, ils s'en tiennent à un soutien à géométrie variable, mais sans tirer un coup de feu. C'est donc abusivement que l'Otan a baptisé cette opération  Protecteur unifié  : non seulement elle ne protège pas, loin de là, tous les Libyens bien plus divisés qu'on ne l'a dit en clans pro et anti Kadhafi, mais elle reste une pomme de discorde entre les alliés usés par la ténacité jusqu'au-boutiste du dictateur. Lequel a crânement fêté son 69e anniversaire, mardi dernier.  Je suis à proximité des bombardements, mais je résiste toujours , a-t-il lancé dans un message audio. Il avait aussi déclaré :  Malgré les bombardements, nous ne nous soumettrons jamais. Mort, vie, victoire, qu'importe. Nous n'allons pas quitter notre pays, nous n'allons pas le vendre, nous ne nous soumettrons pas

L'heure de vérité approche

Qui se souvient encore que la résolution 1973 du Conseil de sécurité l'ONU donnait mandat aux alliés non d'éliminer Kadhafi mais de  protéger les civils et les zones peuplées de civils , en excluant toute forme d'occupation étrangère du territoire libyen ? Certainement la Russie et la Chine qui se posent en recours et ménagent les deux camps anti et pro Kadhafi, mais pas le secrétaire général de l'Otan qui déclarait le 7 juin à Bruxelles :  La question n'est pas de savoir si Kadhafi partira, mais quand .

Si le dictateur libyen n'est pas mis hors d'état de nuire d'ici l'été, la question d'une intervention au sol ne pourra plus être éludée. Ce sera l'heure de vérité. Elle risque d'être cruelle pour les alliés de l'Otan qui ont refusé le cessez-le-feu réclamé tant par l'Union africaine que par le Saint-Siège, demande pourtant soutenue par le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon. N'est-ce pas désormais le seul moyen raisonnable d'épargner les populations et de donner une chance à des négociations ouvrant la voie au départ de Kadhafi et de sa famille, puis à l'organisation d'une nouvelle Libye ?

 

Lire à ce propos le rapport de International crisis group (ICG)  "Making sense of Libya" rédigé sous la direction de Robert Malley, ancien conseiller de Bill Clinton pour le Proche-Orient :  Au lieu de poursuivre la politique actuelle et de courir le risque d'aboutir à un chaos dangereux, [la communauté internationale] devrait désormais rendre possible une issue négociée de la guerre civile et un nouveau départ pour la vie politique de la Libye", écrit ce dernier.

 

Sources : Le Figaro fr, Le Parisien.fr, Le Nouvel Observateur.fr

 

 

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