Article rédigé par François de Lacoste Lareymondie, le 02 mars 2007
Ce n'est pas nouveau. Nombreux ont été les candidats à l'élection présidentielle qui ont emprunté la troisième voie , autrement dit le chemin qui tente de se faufiler entre la droite et la gauche : l'occasion d'une confrontation directe avec l'électeur est tellement tentante qu'aucun scrutin n'y a échappé.
François Bayrou peut même se prévaloir d'un précédent réussi avec Valéry Giscard d'Estaing. À dire vrai c'est le seul, et encore...
Réglons sans attendre l'exception de 1974 : la mort de Georges Pompidou a ouvert une campagne électorale trop brève pour que les lourdes machines des grands partis aient le temps de se mettre en branle ; tandis que Valéry Giscard d'Estaing, en voltigeur habile, a su s'engouffrer dans la brèche d'une succession non préparée, tout en profitant de la trahison de Jacques Chirac. Ce précédent n'en est donc pas un.
Pourquoi la troisième voie conduit-elle à une impasse ?
1/ La loi du scrutin
La première raison est mécanique. Le scrutin uninominal lamine les centres ; surtout quand ne sont autorisés à concourir au second tour que les deux candidats arrivés en tête au premier. Les autres n'ont plus qu'à se rallier, ou à se mettre hors-jeu.
Se mettre hors-jeu a été tenté une fois par le candidat du PC, Jacques Duclos, à qui l'on doit le célèbre bonnet blanc/blanc bonnet par lequel il s'était refusé à choisir entre Georges Pompidou et Alain Poher. C'était en 1969, à une époque où le parti pesait pourtant plus de 20% des voix et tenait la dragée haute aux socialistes. Résultat ? Rien de positif pour le PC qui n'a pas été suivi dans son abstention, puisque les deux tiers des électeurs de gauche ont quand même participé au second tour. Quant au candidat centriste, il a été largement battu avec moins de 42%.
Reste à se rallier, ce que les usagers de la troisième voie ont toujours fini par faire, parce que on ne peut pas aller contre son camp : que ce soit Jean Lecanuet en 1965 (15%, rallié à De Gaulle malgré tout, contre Mitterrand), ou Raymond Barre en 1988 (16,5%, rallié à Jacques Chirac, mais oui !, pour le même motif), ou François Bayrou lui-même en 2002 (6,8%, bis in idem...). Le ralliement peut être donné du bout des lèvres et se révéler inefficace, surtout quand on a copieusement conspué le concurrent auparavant : on est alors deux à sombrer au lieu d'un seul (cf. 1981 et 1988), dans un naufrage collectif dont le rallié-réticent porte évidemment la responsabilité politique, assortie éventuellement de mesures de représailles lors du scrutin législatif qui suit.
Tant que le président de la République sera élu au suffrage universel, il ne pourra pas en être autrement.
2/ La nécessité politique
Si la mécanique seule expliquait l'impasse, peut-être y aurait-il moyen d'y remédier. Mais la démocratie électorale ne fonctionne bien que si l'alternance est claire. L'électeur a besoin de choisir entre deux options distinctes dont il identifie les différences qui motivent son choix.
Que cache donc l'idée centriste ? Plus ou moins confusément l'aspiration à une unanimité débarrassée des pollutions extrémistes, qui permettrait de gouverner de façon consensuelle autour de solutions techniques avec des majorités d'idées ou de convergence .
En réalité, nous avons déjà fait cette expérience, et à trois reprises en vingt ans : elle s'est appelée cohabitation , de 1986 à 1988, de 1993 à 1995, et de 1997 à 2002. Elle a effectivement fonctionné ainsi, notamment la troisième, dans un compromis permanent entre les deux branches de l'exécutif, chacun mettant de l'eau de son vin pour demeurer acceptable par l'autre. A-t-on été satisfait du résultat ? Chaque épisode s'est terminée de la même façon, par une poussée des extrêmes, d'abord à droite, puis à gauche, finissant par donner à la France le triste privilège de compter 40% d'électeurs ayant voté en dehors des partis de gouvernement en 2002 (20% de chaque côté).
Quand droite et gauche se mélangent pour gouverner ensemble, l'alternance n'est plus claire, et l'électeur ne s'y retrouve pas ; ayant un sentiment d'inanité de son vote, d'un méli-mélo où les protagonistes sont interchangeables, il n'a pas d'autre possibilité d'exprimer son insatisfaction qu'en se portant aux extrêmes pour que cela change vraiment .
A contrario, c'est à tort que les centristes se prévalent des grandes coalitions du type de celle qui gouverne l'Allemagne : subie plutôt que voulue en raison de l'absence de majorité au Bundestag, elle n'est pas conduite par les libéraux mais par les deux grands partis eux-mêmes, sur un programme négocié pied à pied, et pour une durée limitée, jusqu'à ce qu'un nouveau scrutin ne les départage.
3/ Les pesanteurs idéologiques
Tant que la France comptera des partis politiques dont la philosophie et le programme seront d'essence idéologique et révolutionnaire, la tentation du centre perdurera.
Le problème ne se situe pas à droite. L'extrême droite n'est pas fondée sur une idéologie de caractère révolutionnaire ; elle repose sur des comportements, sur des sentiments, et plus encore sur le besoin de s'identifier à un chef. Ce qui fait sa force quand celui-ci a du charisme et du sens politique comme Jean-Marie Le Pen ; et ce qui fait aussi sa faiblesse car, le chef disparu, il ne reste pas grand-chose qui soit politiquement durable.
Le problème se situe à gauche. Depuis plus de quatre-vingt ans, le PC empêche les socialistes de procéder à leur aggiornamento idéologique, d'une part en les menaçant de sanction électorale, d'autre part en leur rappelant leurs origines et donc en entretenant leur mauvaise conscience. Le relais sera-t-il pris par les trotskistes et autres alternatifs ? Peut-être pas. Mais en attendant que le constat final de décès du PC puisse être dressé, et que l'émiettement de l'extrême-gauche n'ait fini par avoir raison des meilleures volontés, le PS a encore besoin d'eux à chaque élection.
Un espace existe donc entre la gauche socialiste et la droite gaulliste (ou plutôt bonapartiste pour la situer dans une continuité historique longue), où les centristes se sont continûment installés depuis 1965. Mais de là à en faire le pivot de la vie politique et le lieu d'une majorité, c'est peine perdue, quelle que soit la qualité des hommes ou des femmes qui s'y emploient ou la pertinence de leurs questions et positions. Si toutes les tentatives ont échoué, c'est toujours pour la même raison : cet espace est incertain par nature, et variable selon le positionnement de ses voisins, de sorte qu'il ne peut pas fournir une base stable et suffisante. Et le jour où le PS fera sa conversion, l'espace se refermera.
Voilà pourquoi les centristes sont rattrapés par la réalité électorale : ils partagent l'essentiel de leur électorat avec la droite, et les parlementaires UDF le savent bien qui s'inquiètent d'autant plus du penchant à gauche de François Bayrou que leurs circonscriptions sont plus fragiles.
4/ L'atavisme gaulois
Reste un facteur que l'on hésite à évoquer mais qui semble, hélas, puissant.
Plus d'un leader politique préfère être le premier dans son village que le second à Rome . Bien entendu, cette préférence est correctement emballée dans des justifications politiques respectables. Mais le comportement de ceux qui ne se conçoivent qu'en s'opposant à leur voisin politique le plus proche fait plus qu'alimenter le soupçon. Les médias entretiennent assidument ce travers en le flattant parce qu'il leur permet d'alimenter les chroniques. L'élection du président de la République au suffrage universel, enfin, ne peut que l'accentuer, avec sa personnalisation excessive et l'idée reçue qu'il faut s'y présenter pour être visible.
Le mauvais fonctionnement des partis politiques n'y est pas pour rien non plus, lorsque les débats internes sont escamotés, que la démocratie y est davantage d'acclamation que de participation, et que les positions et projets s'y élaborent de façon hasardeuse ou obscure. Surtout à droite où l'on a du mal à se départir des mauvaises habitudes ; ceci expliquant peut-être cela.
Quoi qu'il en soit, l'impasse est là, n'en déplaise à François Bayrou et à ceux qui le soutiennent. Le passage en revue de cinquante ans de Ve République et de sept scrutins présidentiels suggère que les sondages le positionnent aujourd'hui au maximum de ce qu'il peut atteindre en l'état actuel de la structure politique du pays. Comme il n'y aura pas d'effet d'aubaine ou de surprise, mais que PS et UMP vont maintenant s'employer à récupérer leurs électeurs égarés, il lui faut préparer ses arrières et admettre qu'il a davantage d'avenir politique dedans que dehors : tous ceux qui se sont imaginés ailleurs y sont restés. À moins qu'il ne veuille prendre le risque du naufrage à deux ; mais on remarquera que, jusqu'à présent, il a évité l'irréparable.
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