Article rédigé par Xavier Mirabel, le 03 mai 2002
LILLE, [DECRYPTAGE/analyse] - Présidentielles obligent, les partisans de l'euthanasie relancent le " débat sur l'accompagnement de la fin de vie " (le Monde du 12 novembre). Le ministre délégué à la Santé reconnaît dans le magazine La Vie du 31 octobre avoir "en temps de guerre" aidé à mourir "des personnes souffrant beaucoup et pour lesquelles la médecine ne pouvait rien".
Saisissant l'opportunité des évolutions législatives récentes aux Pays-Bas et en Belgique ainsi que la sortie du livre de François de Closets, la Dernière liberté(Fayard), plaidoyer en faveur de l'euthanasie, l'hebdomadaire l'Express (édition du 8 novembre) rappelle la réalité d'une pratique fréquente et silencieuse du geste euthanasique dans notre pays.
La confusion entre euthanasie (geste posé par le médecin dans l'intention de donner la mort) et refus de "l'acharnement thérapeutique" est entretenue avec complaisance tout au long du dossier ouvert à l'occasion. Le refus des "soins disproportionnés" ou d'une "obstination déraisonnable" est une constante qu'expriment les militants pro-euthanasie comme les opposants à cette pratique, ainsi que les soignants sensibilisés aux soins palliatifs. Cet amalgame volontaire entre euthanasie et interruption des soins disproportionnés permet d'obtenir spontanément l'adhésion du lecteur au concept euthanasique.
Le professeur Lemaire, du service de réanimation médicale de l'hôpital Henri Mondor, prétend que les personnes mues par des convictions religieuses refuseraient l'interruption des soins disproportionnés. Là encore, le débat prend une allure peu objective. Mais si le professeur Lemaire fait le constat que certains continuent à demander des prises en charges dont il est lui-même convaincu qu'elles sont disproportionnées, c'est sans doute parce qu'il n'a pas su expliquer cette disproportion entre les bénéfices espérés et le inconvénients certains ou probables du traitement. Il semble réclamer une loi qui éviterait des décisions " solitaires et impulsives ". On peut douter que la loi réponde à ce besoin. En effet, nul besoin de loi pour interrompre des soins disproportionnés, la déontologie médicale devrait suffire. Par contre, comme le rappelle le professeur Hoerni à ceux qui réclament une législation, la loi n'est pas faite pour régler les exceptions, on ne promulgue pas une loi pour autoriser les pompiers à brûler les feux rouges.
Les médecins s'opposeraient à "une reconnaissance légale d'une pratique que leur code de déontologie proscrit, mais à laquelle ils accèdent par humanité". Là aussi, la désinformation est évidente. La question est bien de savoir quelle est l'attitude la plus humaine. Si le code de déontologie proscrit l'euthanasie, c'est justement par humanité. Parce que nous ne pouvons nous résoudre à abandonner le souffrant, parce que la solution de facilité consiste à dire que nous ne pouvons plus rien faire pour lui, parce que l'attitude profondément humaine exige d'entendre l'appel au secours qui nous est lancé dans toute revendication euthanasique même si elle remet violemment en cause la prise en charge de la douleur et plus fondamentalement la qualité du regard posé sur le malade.
À ceux qui prétendent que la dignité est perdue lorsque survient la dépendance, qui nous assurent qu'ils revendiqueront alors la mort afin de "mourir dans la dignité", on omet de leur rappeler que, par une incroyable et scandaleuse prétention, ils s'arrogent ainsi le droit de juger et de nier la dignité de toute personne souffrante, de toute personne dépendante.
L'approche de la mort est un des moments où l'on vit le plus, où l'on vit le plus intensément. La quête de vérité et de réconciliation, l'interrogation philosophique et religieuse sont présentes avec une grande intensité et vont transformer le mourant et ses proches. La fin de vie doit donc être entourée et protégée, il faut tout faire pour soulager la douleur tout en préservant la conscience du mourant. Mais ce chemin est décapant et certains disent préférer mourir plutôt que vivre leur mort. Alors, " maîtriser sa mort " en la fuyant voilà encore un argument bien léger.
Xavier Mirabel est médecin cancérologue.
Le Dr et Mme Xavier Mirabel interviendront sur le thème " Vie handicapée : défi ou préjudice ? L'affaire Perruche, un an après. " au Centre Chaillot-Galliera, 28 av. George-V Paris VIIIe. Renseignements à l'Office chrétien des handicapés au 01 53 69 44 30.