L'explosion du stock d'embryons relance le débat
Article rédigé par Pierre-Olivier Arduin*, le 29 mai 2009

La question des embryons humains congelés en surnombre à l'issue des processus de fécondation in vitro n'est plus taboue. Occultée lors des discussions parlementaires qui précédèrent la rédaction de la loi du 6 août 2004, elle pourrait devenir aujourd'hui l'un des sujets phares débattus pendant les Etats généraux de la bioéthique.

LE SUJET a fait irruption lorsqu'il s'est agi de dessiner les nouveaux contours de l'assistance médicale à la procréation (AMP), l'un des grands thèmes qui mobilise la réflexion des députés de la mission parlementaire de révision de la loi bioéthique.
D'abord à la faveur d'enquêtes journalistiques relatant les doutes qui assaillent les parents lorsqu'ils doivent décider du sort de leurs embryons en trop , ceux qui ne font plus l'objet d'un projet parental au terme de la période légale des cinq ans, les frères et sœurs potentiels de leurs enfants déjà nés selon les mots du Dr Jean-Marie Kunstermann, en charge du Cecos de l'hôpital Cochin à Paris [1]. Les parents doivent en effet se résoudre à jeter leur dévolu sur l'une des trois possibilités mentionnées explicitement par le Code de santé publique : les donner à la science, les confier à un autre couple ou arrêter leur conservation [2].
Sur les 176 523 embryons conservés au 31 décembre 2006 (49 618 couples concernés), seuls 93 116, soit 52,8 % du stock total, sont encore couverts par un projet parental valide. Pour 45 972 d'entre eux (26 %), le couple ne répond pas ou est divisé, ce qui en pratique revient au même, puisque la loi prévoit purement et simplement la destruction des embryons en cas d'extinction du projet parental par défaut de réponse ou désaccord entre les deux parents.
Explosion des stocks
Qu'il y ait conflit ou volonté de ne pas donner signe de vie, ces statistiques révèlent les difficultés pour les parents à assumer un choix vécu comme impossible à trancher. Enfin, en ce qui concerne les 37 435 embryons (21,2 % du total) qui ont été abandonnés par consentement écrit des deux géniteurs, Le Figaro nous apprend que 9139 ont été donnés à la recherche, 10 239 à d'autres couples et 17 877 feront l'objet d'une procédure de destruction par décongélation.
Lorsque nous avons abordé spécifiquement cette problématique avec Jean Leonetti le 28 mars dernier à Hyères, ce dernier a reconnu publiquement qu'il comprenait la souffrance des pères et mères confrontés au devenir de leurs embryons. Un nombre croissant de biologistes de la reproduction avoue en outre être mal à l'aise lorsqu'il s'agit d'aborder le sujet avec les parents.
Autre élément qui montre que la question vient sur le devant de la scène : les chiffres publiés par l'Agence de la biomédecine commencent à faire du bruit, en particulier l'augmentation de 25 % des embryons stockés entre 2005 et 2006. Pour tenter d'éclaircir cette démultiplication faramineuse, les praticiens de terrain que nous avons interrogés nous ont fourni un début d'explication. Les équipes continuent à féconder un très grand nombre d'ovocytes pour obtenir un maximum d'embryons de bonne qualité (les scores de classification morphologique s'étendant de 1 à 4) tandis que les sociétés savantes recommandent de plus en plus ce que l'on appelle le TEU, le transfert d'embryon unique. Mathématiquement, on observe donc une explosion exponentielle des stocks d'embryons congelés qui n'est d'ailleurs pas prête d'être endiguée si rien n'est fait pour changer les pratiques des biologistes de la reproduction.
Vers un moratoire ?
Enfin, dernier signe qui ne trompe pas, deux auditions ont abordé clairement le sujet ces dernières semaines devant les députés. En premier lieu, celle du docteur Xavier Mirabel, président de l'Alliance pour les droits de la vie, qui a proposé un moratoire sur la congélation embryonnaire [3]. Puis celle de Jean-René Binet, maître de conférences à la faculté de droit de l'université de Besançon, qui a mis en avant des arguments juridiques et scientifiques extrêmement intéressants pour surseoir à cette pratique [4].
Mgr d'Ornellas, président du groupe de travail de bioéthique des évêques de France, a été le premier à souligner que les pouvoirs publics commençaient à s'interroger sur les dérives de cette pratique. De manière très pertinente, il rappelle que l'arrêté du 11 avril 2008 recommande une limitation du nombre d'embryons constitués à la suite de tentatives de FIV ; il impose de ne chercher à recueillir que peu d'ovocytes et qu'il n'y ait pas recours à la congélation, lorsque le couple le demande, conformément à ce qui était prévu dans la loi [5] .
Pour l'archevêque de Rennes, ce texte réglementaire témoigne d'un début de prise de conscience du caractère inacceptable d'un tel manque de respect de l'embryon humain . Et de demander fort justement que l'on poursuive dans cette voie, limitant le nombre d'ovocytes fécondés au nombre d'embryons qui pourraient être transférés .
Vitrification
La technique pourrait-elle ici venir au secours de l'éthique ? L'on parle en effet de plus en plus d'une nouvelle méthode dite de vitrification ovocytaire. Les ovocytes étant de volumineuses cellules contenant une forte proportion d'eau, les biologistes obtiennent des résultats singulièrement médiocres lorsqu'ils veulent les congeler. Avec la procédure classique se forment des cristaux de glace provoquant des dégâts cellulaires irréversibles.
Depuis la fin des années quatre-vingt-dix, des équipes ont mis au point une nouvelle technique qui consiste, en augmentant les concentrations des cryoprotecteurs, à utiliser une vitesse de refroidissement ultrarapide (de – 2.000 à – 20.000 degrés Celsius par minute) qui induit un état vitrifiant des cellules sans formation de cristaux. Un récent colloque auquel nous avons assisté montre que des équipes belges et japonaises, particulièrement en pointe sur ce procédé, réussissent à vitrifier les ovocytes sans les abîmer [6].
Ne pourrait-on pas promouvoir cette méthode pour tarir l'afflux d'embryons dans nos congélateurs ? La question mérite d'être posée même s'il n'est pas du tout évident que cette technique soit la solution idéale pour sortir de l'impasse.
D'abord, les chercheurs l'emploient aussi bien pour vitrifier des ovocytes que des zygotes (embryon humain au stade unicellulaire), des morula (stade 8 cellules) ou des blastocystes (embryon de 5 jours). Les équipes japonaises ou belges ont d'ailleurs obtenu des grossesses après implantation d'embryons préalablement vitrifiés. Certains scientifiques ont même rapporté une supériorité de la méthode de vitrification sur celle de congélation lente en terme de survie embryonnaire. Si le législateur ne pose pas au préalable l'interdit de la cryoconservation embryonnaire, il est fort à parier que l'on se dirigera très rapidement vers la constitutions de deux stocks distincts alimentés en parallèle : en ovocytes et en embryons.
Par ailleurs, on imagine aisément les dérives qui ne manqueraient pas de se greffer sur cette pratique si le législateur n'est pas drastique dans son encadrement.
L'Agence de la biomédecine a pouvoir réglementaire pour organiser en France la promotion du don d'ovocytes dont la pénurie chronique, dénoncée en choeur par les spécialistes, ne permet pas de répondre aux demandes de nombreux couples infertiles. Avec un surstock d'ovocytes à portée de main, on peut penser que les femmes engagées dans des cycles classiques de fécondation in vitro seraient fortement encouragées à donner une ou plusieurs de leurs précieuses cellules. Ce qui bloque aujourd'hui la filière du don d'ovocytes est la pénibilité de leur recueil, qui plus est non dépourvue de complications médicales. En autorisant la vitrification des gamètes féminins au détour de n'importe quel parcours de FIV, il sera facile de proposer à chaque femme de faire un geste de générosité en faveur d'une autre moins chanceuse qu'elle, la promotion risquant de se transformer bien vite en incitation. La méthode de vitrification pourrait ainsi alimenter la constitution de banques d'ovocytes et participer à élargir le fossé entre maternité biologique et sociale.
De plus, une des revendications récurrentes des biologistes de la reproduction est la possibilité d'obtenir des dérogations pour effectuer des travaux sur des embryons conçus uniquement à des fins de recherche [7]. Estimant en avoir besoin pour mieux comprendre les mécanismes de fécondation et de développement embryonnaire, et améliorer ainsi leurs résultats en AMP, ils plaident donc pour un assouplissement de la loi qui interdit strictement la création d'embryons in vitro sans projet procréatif. La méthode de vitrification pourrait vite devenir une aubaine pour eux.
Enfin, même si celui-ci n'a plus le vent en poupe depuis la découverte des cellules iPS qui le rendent complètement inutile, le clonage scientifique pourrait revenir à la mode si l'on dispose de stock d'ovocytes conséquents puisque ils sont le principal matériau dont les chercheurs manquent pour pouvoir l'effectuer à grande échelle.

  • Pour en savoir plus

Que penser vraiment de cette méthode de vitrification des ovocytes ? Peut-on en faire un argument de moindre mal pour parvenir à stopper la cryoconservation des embryons humains ? Lire l'entretien que nous a accordés Mgr Jacques Suaudeau, de l'Académie pontificale pour la Vie.
[1] Delphine de Mallevoüe, Embryons congelés : le choix délicat des parents , Le Figaro, 12 mai 2009.
[2] Article L. 2141-4 CSP.
[3] Xavier Mirabel, audition du 7 avril 2009.
[4] Jean-René Binet, audition du 13 mai 2009.
[5] Mgr d'Ornellas, Bioéthique, propos pour un dialogue, Lethielleux/DDB, Paris, 2009, p. 93.
[6] La vitrification des ovocytes, Hôpital saint Joseph, Marseille, 28 novembre 2008.
[7] De très nombreuses personnalités ont réclamé cette autorisation lors des auditions devant la mission parlementaire. Entre autres Axel Kahn, 5 novembre 2008 ; Claude Sureau, 28 janvier 2009 ; René Frydman, 3 février 2009 ; Jacqueline Mandelbaum, 11 février 2009 ; Jean-Luc Bresson, Jean-Marie Kunstermann, Dominique Regnault, audition du 18 février 2009,...
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