L'Église et le don d'organes : les enjeux éthiques (I)
Article rédigé par Pierre-Olivier Arduin*, le 15 avril 2010

Le progrès dans les techniques de greffe d'organes pose des questions éthiques graves : les perspectives de guérison ou de sauvetage ne font-elles pas bon marché du consentement des personnes concernées ? N'est-il pas tentant de décider de la mort des donneurs en fin de vie pour sauver des organes utiles ?

La greffe d'organes consiste à remplacer un élément du corps humain défaillant qui ne fonctionne plus par un élément sain qui fonctionne de façon satisfaisante. L'objectif est non seulement d'améliorer les conditions de vie d'une personne malade, mais aussi de l'arracher parfois à la mort qui s'en suivrait inéluctablement si la transplantation n'était pas effectuée.
Don d'organe : un véritable acte d'amour
L'Église a accompagné positivement le développement de ce nouveau champ de la médecine en soutenant son principe même. Devant l'Académie pontificale pour la Vie qui a organisé en novembre 2008 un colloque spécifiquement consacré à la question, Benoît XVI a ainsi rappelé que les greffes de tissus et d'organes représentent une grande conquête de la science médicale et sont certainement un signe d'espérance pour de nombreuses personnes dont la situation clinique devient grave et parfois extrême [1] .
Il confirmait l'un des discours les plus emblématiques de Jean Paul II prononcé sur cette thématique devant plus de 5000 chercheurs et médecins réunis en 2000 pour un Congrès international sur les transplantations : Les transplantations représentent un grand pas en avant de la science au service de l'homme, et de nombreuses personnes doivent aujourd'hui la vie à une greffe d'organes. Les techniques de transplantation se sont révélées être de plus en plus un moyen efficace d'atteindre l'objectif fondamental de toute médecine : servir la vie humaine [2]. Le pape Wojtila n'a d'ailleurs pas hésité à préciser dans sa lettre encyclique Evangelium vitae que le don d'organe, accompli sous une forme éthiquement acceptable, qui permet à des malades parfois privés d'espoir de nouvelles perspectives de santé et même de vie était l'une des manières de promouvoir une véritable culture de vie [3].
Le magistère n'a cependant jamais cessé de rappeler que le critère de jugement éthique en la matière était la défense de la promotion du bien intégral de la personne humaine en harmonie avec la dignité unique qui est la nôtre en vertu de notre humanité [4] : autrement dit, précisait Jean Paul II toujours dans la même allocution, comme pour toute avancée sur le plan humain, ce domaine particulier des sciences médicales, malgré tout l'espoir de santé et de vie qu'il offre à de nombreuses personnes, induit certaines questions graves qu'il est nécessaire d'examiner à la lumière d'une réflexion anthropologique et éthique attentive .
Des interrogations majeures
Le questionnement éthique et l'encadrement juridique de l'activité de greffes diffèrent évidemment selon que le prélèvement est effectué sur des personnes vivantes ou décédées. Seule la pratique de transplantations à partir de cadavres de personnes sera l'objet de notre étude. Constituant 95 % de l'activité de prélèvement en France, c'est en effet elle qui est au centre des débats actuels, soulevant deux interrogations majeures portant sur le recueil du consentement du défunt avant sa mort et les modalités de constat de décès.
La problématique éthique générale repose sur le fait que pour être transplanté au bénéfice d'un malade, un organe doit être prélevé sur une autre personne, ici décédée, action qui implique une atteinte à l'intégrité du corps humain. Or, le respect dû à la personne s'impose également à son cadavre. L'article 225-17 du Code pénal dispose que toute atteinte à l'intégrité du cadavre, par quelque moyen que ce soit, est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende [...] [5] .
Le Conseil d'État a eu l'occasion de délivrer en 1993 un arrêt extrêmement intéressant quant à la question du respect de la personne humaine au-delà de sa mort :
Le Conseil d'État a consacré, à propos d'une expérimentation pratiquée par un médecin sur un patient en état de mort encéphalique, l'existence de principes fondamentaux qui s'imposent au médecin vis-à-vis de son patient, au-delà de la mort de celui-ci. À l'occasion d'un pourvoi en cassation introduit par le professeur Milhaud contre une sanction disciplinaire infligée par le Conseil national de l'ordre des médecins [...], le Conseil d'État a été amené à considérer que la tradition juridique française faisait passer au premier rang le principe du respect dû aux morts, sorte d'ultime prolongement du respect dû à la personne humaine, valeur essentielle de notre société au-delà des différences religieuses, philosophiques ou morales ; ce principe a de nombreuses manifestations dans la vie sociale, à travers, notamment le rituel des obsèques et la protection juridique assurée aux défunts au-delà de la mort... [6].

La décision d'offrir

La tension éthique induite par les transplantations d'organes naît du devoir de concilier d'une part le principe intangible de l'inviolabilité du corps humain, autrement dit le maintien de la dimension de la personne dans son cadavre de telle façon qu'il ne soit pas utilisé comme une simple source d'organes et d'autre part la survie de malades obtenue grâce aux greffes. Utiliser le corps d'une personne décédée comme une somme de pièces détachées, c'est violer la dignité de la personne humaine. Pour que l'acte revête une valeur éthique, il doit reposer sur la décision d'offrir sans aucune compensation une partie de son corps pour la santé et le bien-être d'une autre personne : c'est là précisément que réside la noblesse de ce geste [7] .
Pour Jean-Paul II, ce geste doit être regardé à bon droit comme un véritable acte d'amour , propos audacieux qu'a développé Benoît XVI devant l'Académie pontificale pour la Vie :
Le don d'organes est une forme particulière de témoignage de la charité. À une époque comme la nôtre, souvent marquée par différentes formes d'égoïsme, [...], il existe une responsabilité de l'amour et de la charité qui engage à faire de sa propre vie un don pour les autres [8].
Mais pour que le prélèvement ait la forme caractéristique d'un don et ne soit pas jugé comme un acte d'appropriation du cadavre, il est capital qu'il repose sur un véritable consentement.

À suivre :
Le consentement présumé est-il acceptable sur le plan éthique ?
Les prélèvements d'organes sur les donneurs en état de mort encéphalique
La question des prélèvements à cœur arrêté.

[1] Benoît XVI, Discours aux participants au congrès international sur le thème du don d'organes organisé par l'Académie pontificale pour la Vie, 7 novembre 2008.
[2] Jean-Paul II, Discours au 18e Congrès médical international sur les transplantations, 29 août 2000.
[3] Jean-Paul II, Evangelium vitae, 25 mars 1995, n. 86.
[4] Jean-Paul II, Discours au 18e Congrès médical international sur les transplantations, op.cit.
[5] Section 4 du code pénal : des atteintes au respect dû aux morts (ordonnance n. 2000-916 du 19 septembre 2000).
[6] Affaire Milhaud, CE 2 juillet 1993.
[7] Jean-Paul II, Allocution adressée aux participants d'un Congrès sur les transplantations d'organes, 20 juin 1991 et Jean-Paul II, Discours au 18e Congrès médical international sur les transplantations, op.cit.
[8] Benoît XVI, Discours aux participants au congrès international sur le thème du don d'organes organisé par l'Académie pontificale pour la Vie, op.cit.

 

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