Article rédigé par Pierre-Olivier Arduin*, le 17 octobre 2008
La pratique de l'avortement rencontre de plus en plus d'oppositions. L'arme de l'IVG médicamenteuse suffira-t-elle à endormir les consciences? Des sages-femmes tirent la sonnette d'alarme.
UN AVORTEMENT toutes les 25 secondes dans l'Europe des Vingt-sept, soit un enfant à naître sur cinq, c'est le chiffre avancé par l'Institut de politique familiale (Zenit, 19 mai 2008). Avec le cancer, c'est la première cause de mortalité des Européens. Pourtant, chez nous, le Planning familial a saisi la présidence française de l'Union européenne pour dénoncer un mouvement de recul . La pratique de l'avortement à l'échelon européen serait plombée (Quotidien du médecin, 17 septembre 2008) [1].
Même constat pour la branche européenne de la Fédération internationale des plannings familiaux qui s'est émue d'un glissement perceptible sur le terrain en évoquant un droit intrinsèque des femmes de plus en plus bafoué . Malgré les chiffres accablants que l'on vient de rappeler, on peut en effet déceler une amorce de virage dans les mentalités. Plusieurs facteurs se conjuguent pour expliquer un possible délitement de l'hégémonie idéologique passée : la souffrance post-IVG, l'accès au progrès technologique et la montée de l'objection de conscience.
Un virage dans les mentalités ?
D'abord la reconnaissance d'une souffrance post-IVG des femmes faisant l'objet de nombreuses publications de niveau international. Le syndrome post-avortement est un sujet d'études des chercheurs universitaires, au grand dam des plannings familiaux qui ont toujours nié implacablement cette douleur, la mettant sur le dos de femmes victimes d'une culpabilité pathogène.
Par ailleurs, une imagerie très performante, permettant de visualiser toujours mieux in utero celui qui est potentiellement en sursis, dissuade de plus en plus de femmes. Cela participe incontestablement à ce changement de mentalité que regrette Marie-Laure Brival, présidente de l'Association nationale des centres d'interruption de grossesse et de contraception (ANCIC) : Une femme enceinte découvre à l'échographie, dès la 12e semaine d'aménorrhée, un être humain en miniature. Le président de la région Lombardie, Roberto Formigoni, l'a bien compris en imposant par décret – la santé publique en Italie est régie en grande partie par les autorités régionales – une échographie et un délai de réflexion de sept jours avant tout passage à l'acte. Résultat : dans le plus gros hôpital milanais, qui a vu passer l'année dernière près de 1400 femmes pour consultation pré-IVG, 90% d'entre elles ont finalement renoncé au pire.
Enfin, il existe un mouvement d'objection de conscience de la part des soignants qui semble avoir pris de court tout le monde. Cas emblématique de ce phénomène, la situation italienne :
La loi italienne 194 du 22 mai 1978 autorisant les IVG dans les 90 premiers jours de la grossesse avait débouché sur des chiffres sans appel : 230 000 avortements annuels. Taux d'avortement équivalent peu ou prou à la France d'aujourd'hui (220 000 par an) pour une population sensiblement égale. Or, le ministère de la Santé transalpin vient de révéler qu'un quart de siècle plus tard, le nombre d'IVG plafonne à 127 000, avec une baisse de 40 % observée sur cette période. Que s'est-il passé ? [...] 7 gynécologues sur 10 et 1 anesthésiste sur 2 sont objecteurs. Soit une augmentation de 25 % de praticiens en 5 ans. Des provinces entières ne pratiquent quasiment plus l'IVG, telles la Sicile, les Marches, la Calabre et une grande partie du Latium. Et ce n'est pas prêt de s'arrêter, 80% des internes en obstétrique sont des femmes qui se déclarent toutes opposées à l'avortement [2].
Ce phénomène de résistance morale du corps médical qui est loin d'être cantonné à la péninsule italienne. Au Portugal, l'ordre des médecins portugais donne du fil à retordre au gouvernement socialiste depuis l'entrée en vigueur de la nouvelle loi en janvier 2007. Les soignants slovaques, comme nous avons pu nous en rendre en compte lors d'un séjour dans ce pays début septembre, sont également régulièrement montrés du doigt par les lobbies pro-avortement [3]. Même en France, on constate une désaffection des jeunes médecins pour cet acte. Sans être forcément le fruit de convictions appuyées, cette attitude témoigne tout de même d'un refus larvé plus répandu qu'on ne le pense.
C'est une des clés de lecture de la résolution adoptée par le Conseil de l'Europe le 16 avril dernier qui réclame dans ses conclusions que l'exercice effectif du droit des femmes à l'avortement [soit garanti] dans les pays qui l'ont dépénalisé. Autrement dit que la clause de conscience des médecins n'en restreigne pas la portée. Nul doute qu'il faille exercer une vigilance accrue dans les semaines à venir sur le droit des professionnels de santé à bénéficier intégralement de cette liberté de conscience.
L'arme de l'avortement médicamenteux
Mais le lobby pro-avortement dispose d'une arme autrement plus dangereuse pour passer outre l'opposition sourde des soignants : l'IVG dite médicamenteuse par RU-486.
Nous avions ici même longuement présenté la procédure émanant de la loi du 4 juillet 2001 et de ses textes d'application parus en juillet 2004 autorisant les femmes à y recourir dans le cadre de la médecine de ville [4]. Pratiqué en cabinet jusqu'à sept semaines d'aménorrhée, l'avortement chimique présente trois avantages . 1/ il permet de contrer l'effet dissuasif de l'échographie en se passant du cliché d'un enfant trop bien constitué morphologiquement ; 2/ il banalise l'acte – une simple prise de comprimés – en laissant accroire qu'il ne laissera pas de traces, donc qu'il est sans conséquences psychologiques. Exit le syndrome post-avortement ; 3/ enfin, il s'appuie sur la mobilisation d'un maximum de médecins en recrutant chez les gynécologues de ville et les médecins généralistes. Une manière de compenser l'indifférence de la majorité.
Aujourd'hui, le RU-486 est déjà devenu d'après l'Institut de politique familiale le système de contrôle des naissances le plus diffusé en Europe même si certains Etats le prohibent encore comme l'Italie.
En France, le dernier rapport de la DRESS (Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques) publié il y a un mois, révèle que la part des IVG médicamenteuses ne cesse de croître depuis 10 ans pour atteindre 46 % de l'ensemble des avortements en 2006, dont 7 % en ville. En 2006, chacun des 618 établissements de métropole pratiquant des IVG a réalisé des IVG médicamenteuses alors qu'en 2005 17 % n'effectuaient que des IVG chirurgicales [5]. Cette pratique est en passe de devenir le fer de lance de la politique de santé publique de notre pays en matière d'avortement. Nous avions déjà dénoncé la loi de financement de la Sécurité sociale pour l'année 2008 modifiant le Code de santé publique autorisant les centres de santé et de planning familial à pratiquer des interruptions volontaires de grossesses par voie médicamenteuse [6] . Une façon de mailler le territoire en intégrant dans le dispositif plus de 1100 structures nouvelles. Et d'assurer une progression exponentielle du RU-486 qui pourrait devenir à terme l'arme de santé reproductive parfaite.
Ce n'est pas tout. Dans le but d'obtenir l'adhésion du maximum de professionnels, certains préconisent de faire exécuter les protocoles d'administration de la pilule abortive par les sages-femmes comme cela nous a été rapporté. L'une d'entre elles qui se mobilise contre cette éventualité, nous donné son témoignage. Elle confirme les pressions discriminatoires qui s'exercent sur leur liberté de conscience.
[1] Colloque européen du Planning familial français, Liberté, égalité, sexualités, Paris, Mutualité, 19-20 septembre 2008.
[2] Pierre-Olivier Arduin, Italie : fronde contre l'avortement , La Nef, juin 2008, n. 194.
[3] Congrès international pour le respect de la famille et de la vie dans les médias, Université catholique de Ruzomberok, 5-7 septembre 2008.
[4] L'avortement chimique, nouveau dogme de la santé reproductive à la française, Décryptage, 18 octobre 2007.
[5] Dress, Les interruptions volontaires de grossesse en 2006 , Etudes et Résultats, n. 659, septembre 2008.
[6] Articles L. 2112-2 et L. 2311-3 du CSP.