Article rédigé par Roland Hureaux, le 27 novembre 2009
En inventant l'efficace slogan Travailler plus pour gagner plus , Nicolas Sarkozy avait su rallier à lui une catégorie de Français dont on peut se demander si elle ne sera pas en définitive sa principale victime.
Quelle catégorie ? Pas ceux qui ne travaillent pas, assistés de différents régimes (chômage, RMI, allocations d'adulte handicapé etc.), ni ceux qui n'ont pas besoin de gagner plus. La cible de ce slogan n'était pas non plus d'abord les cadres supérieurs et professions libérales qui n'ont pas attendu le sarkozisme pour savoir qu'on pouvait gagner plus en ayant plus de clients, de patients, en consultant davantage ; tout au plus pouvaient-ils espérer que l'impôt sur le revenu écrêterait moins leurs gains : comme le bouclier fiscal ne leur profite que peu, ils ont déchanté.
La cible principale, c'était l'armée des travailleurs moyens ou pauvres, ceux qu'on appelait autrefois la classe ouvrière, mais qui comprend aussi beaucoup d'employés, la plupart des agriculteurs et des artisans. Tous ceux-là sont les premiers touchés par l'érosion progressive du pouvoir d'achat au cours des dernières années et par les conséquences de la crise : fermetures d'usines, crise agricole, etc.
Ils sont doublement frustrés : de ne pas arriver à joindre les deux bouts, de voir que le niveau de vie de beaucoup d'assistés qui, eux, ne travaillent pas, les rattrape ou même les dépasse.
Cette catégorie sociale, occultée dans les préoccupations des élites politico-médiatiques par celle des exclus proprement dits : chômeurs de longue durée, SDF, sans-papiers etc., aucun parti politique ne s'y était vraiment intéressé. Les sociologues ne l'ont découverte que récemment. Les familiers des campagnes électorales savent pourtant combien ses doléances occupent la première place dans les réunions de quartier.
En réhabilitant la valeur travail, Nicolas Sarkozy fut le premier à prendre en compte cette sensibilité. Il en fut récompensé en 2007, arrachant une partie de cette clientèle à la gauche ou au Front national.
Que les intéressés n'aient pas obtenu grand-chose et soient même durement frappés par la crise, quoi d'étonnant ? On sait quel est le lot des promesses de campagne : se souvient –on encore de celle de réduire la fracture sociale ? Favoriser l'ouverture des magasins le dimanche ne leur apportait rien. La défiscalisation des heures supplémentaires pouvait être à la rigueur une solution pour les petits salariés en situation de surchauffe ; elle ne l'est naturellement pas en temps de récession.
Victimes de la taxe carbone et de la suppression de la taxe professionnelle
Mais ce que les intéressés n'attendaient sans doute pas, c'est d'être la principale victime de deux mesures phares de la rentrée : la taxe carbone et la suppression de la taxe professionnelle.
La taxe carbone ne touchera pas trop ceux qui ne sortent pas de chez eux, hormis les personnes âgées qui n'ont pas les moyens ou l'ardeur de rénover leur installation de chauffage, pas davantage les traders de l'Ouest parisien qui se rendent au bureau en vélib' ! Qui touchera-telle d'abord ? Les agriculteurs et la plupart des artisans (on leur promet des détaxations, à voir...), les salariés contraints d'habiter loin de leur lieu de travail soit parce qu'ils n'ont pu acheter leur logement que loin des villes centre, soit parce que, en situation de précarité ou d'intérim, ils ont du accepter un emploi éloigné de leur domicile. Les vrais pauvres, comme l'a montré une étude récente, ne sont plus dans la couronne parisienne, ils sont dans les villages de la périphérie de l'Ile-de France, quelquefois dans l'Oise, le Loiret, l'Eure-et-Loir etc. et aussi dans les départements ruraux particulièrement touchés par les délocalisations.
La suppression de la taxe professionnelle ne devrait pas avoir d'effets sur les particuliers avant 2012 puisque jusque là, l'État promet de compenser le manque à gagner des collectivités locales. Mais au-delà ? Les dépenses des dites collectivités, qui ont beaucoup embauché et titularisé du personnel — et emprunté — au cours des dernières années, sont très peu élastiques à la baisse : le prélèvement dont seront allégées les entreprises sera transféré vers les ménages redevables de la taxe foncière et de la taxe d'habitation. Alors que la moitié des foyers français est exonérée de l'impôt sur le revenu, presque tous payent la taxe d'habitation et tous les propriétaires, grands et petits, soit 70 % des ménages, payent l'impôt foncier. Parmi ces derniers beaucoup de petits revenus : salariés ayant acheté leur maison à crédit, retraités à qui leur maigre retraite ne permet plus de payer les charges d'une maison pour l'acquisition de laquelle ils se sont privés toute leur vie.
L'alourdissement extravagant de ces impôts dans une partie des communes — des départements et des régions — au cours des dernières années ( résultat d'une décentralisation débridée) fait que beaucoup de propriétaires payent l'équivalent d'un loyer en taxes et que certains , essoufflés, déménagent dans un logement plus petit ou une commune moins imposée. Il est notoire que c'est dans cette catégorie d'impôts que les difficultés de recouvrement sont les plus grandes.
Comme l'impôt sur les portes et fenêtres — ancêtre de la taxe d'habitation — instauré par l'Assemblée constituante en 1790 avait eu au XIXe siècle l'effet désastreux de pousser les Français à construire avec des ouvertures les plus petites possible, le poids des impôts locaux pousse aujourd'hui les Français à habiter de plus en plus petit.
Témoins amers des effets bénéfiques du bouclier fiscal pour les uns, du RSA (qu'il est question d'étendre aux moins de 25 ans) pour les autres, les petits salariés se diront sans doute que malgré les belles envolées tendant à réhabiliter le travail, ils continueront d'être les oubliés d'une République ploutocratique et compassionnelle mais de plus en plus dure à ceux qui triment.
***