Article rédigé par François Martin*, le 20 avril 2011
Le contraste actuel saisissant entre la guerre civile qui fait rage, en ce moment-même, en RCI (1) et l'excellente tenue du Ghana tout proche, un pays démocratique, bien géré, stable, qui intéresse tous les investisseurs (2), est sans doute emblématique de la situation de l'Afrique, avec drames d'un côté et perspectives florissantes de l'autre.
Ce qui est le plus intéressant à remarquer, c'est que la situation, il y a 25 ans, était exactement inverse, la RCI jouissant à l'époque, grâce au partenariat avisé que son président Houphouët-Boigny avait su nouer avec la France, d'une insolente réussite (on l'appelait alors la vitrine de l'Afrique ), pendant que le Ghana, misérable, rongé par une inflation galopante, en était plutôt la honte , juste avant que Jerry Rawlings n'en prenne, d'une main très autoritaire, la direction (3).
Entretemps, que s'est-il passé ? D'un côté, au Ghana, une remise en ordre économique très courageuse et durable, une gestion sage et prudente, un pari politique (en 2000) pour la démocratie parfaitement réussi, de l'autre, en RCI, l'aventurisme politique, avec l'invention du concept d'ivoirité, créé pour barrer la route en 95 au candidat Ouattara puis, à partir de la Présidence Gbagbo en 2000, onze ans de finasseries, de promesses non tenues, de reports de l'élection présidentielle et, en fin de compte, d'appauvrissement, avec le résultat désastreux d'aujourd'hui.
Pendant ces 26 ans, de 85 à aujourd'hui, qui ont inversé la grandeur et la décadence des deux pays, les conditions économiques et politiques du continent n'étaient ni plus ni moins compliquées qu'elles ne le sont aujourd'hui, et de plus, les deux pays les ont ressenti à peu près de la même façon, puisqu'ils jouissaient de tailles, de localisations, de peuples, de conditions climatiques, de productions (cacao) à peu près similaires. La différence, c'est que l'un a pris son destin en main, et ne l'a jamais lâché, alors que l'autre, bien mieux doté au départ par les bons choix stratégiques de son fondateur, a joué ensuite le sien aux dés, en misant et en perdant de plus en plus gros, jusqu'au drame.
Ce n'est donc ni la fatalité, ni la malchance, en l'occurrence, qui ont fait la différence, mais bien les qualités des hommes, et des dirigeants en particulier. Les mêmes risques, les mêmes événements, les mêmes fluctuations des marchés ont constitué pour les uns de tragiques menaces, pour les autres de belles opportunités.
Un autre bon exemple de cette dualité menaces/opportunités qui se présente aujourd'hui pour l'Afrique, c'est la Chine.
Chacun sait en effet ce qu'est l'activisme chinois sur ce continent. Partout, la Chine cherche à nouer des partenariats à long terme, pour s'assurer soit un approvisionnement durable en matières premières (surtout pétrolières) dont elle a un besoin absolu pour son développement, soit des investissements (terres, infrastructures portuaires) qui seront autant de relais de croissance lorsque l'Afrique, le moment venu, décollera (4).
Et pourtant, selon les interlocuteurs avec qui elle traite, ces partenariats constituent, à proprement parler, deux types de politique fort différents :
- Pour certains, des pays forts et sûrs d'eux-mêmes, comme l'Angola par exemple (5), ce partenariat sera une excellente affaire, puisqu'il lui assurera, avec un prestataire de premier plan, le développement de ses infrastructures à un coût très modique, sans obérer pour autant son indépendance économique (6). Bien plus, en faisant ainsi monter les enchères vis-à-vis de ses partenaires traditionnels, l'Angola s'assure aujourd'hui une position commerciale très enviable, dont il tirera tous les fruits.
- Pour d'autres, au contraire, comme le Cameroun, un pays notoirement corrompu et politiquement affaibli (7), le partenariat avec la Chine créera, à n'en pas douter, des liens de dépendance durables, dont le pays aura beaucoup de mal à sortir (8).
Mauvaise affaire pour les uns, bonne opportunité pour les autres, ici aussi, avec la même donne de départ, l'irruption d'un nouveau partenaire sur la scène africaine, ce sont les qualités des hommes, peuples et dirigeants politiques confondus, qui feront la différence. Demain, certains pays en sortiront bien plus riches, et d'autres bien plus pauvres. En Afrique comme ailleurs, il n'y a pas de fatalité. Il y a des hommes, sachant ou ne sachant pas ce qu'ils veulent.
(1) République de Côte d'Ivoire
(2) Au moment où, ces dernières semaines, y commençait l'exploitation du pétrole, le Ghana a ouvert une adjudication de bons du Trésor. Celle-ci a été souscrite en une seule journée...
(3) Cf article Le Ghana, un pays qui n'a pas cru à la fatalité du sous-développement , Liberté Politique, 27/03/2008
(4) Les fondamentaux de l'Afrique, en effet, sont loin d'être mauvais : une démographie excellente (4,5 enfants par femme), un taux de croissance moyen du continent très honorable (5 à 6%). On ne le sait pas !
(5) L'Angola a eu depuis 10 ans une croissance extrêmement forte (+ 27% uniquement pour l'année 2007 !!). Politiquement, c'est un pays très stable et excellemment armé.
(6) La plupart des contrats de construction de routes ont été donnés aux chinois, contre du pétrole. Mais l'Angola garde des relations fortes avec ses prestataires pétroliers traditionnels, USA et France en particulier.
(7) En 41 ans, depuis l'indépendance, seuls deux hommes, Ahmadou Ahidjo et Paul Biya, ont dirigé le pays. On imagine sans peine les habitudes qui y ont été prises...
(8) Un reportage télévisé sur le Cameroun montrait récemment que sur de grandes exploitations agricoles concédées aux chinois, le riz produit, supposé être vendu sur les marchés locaux, était emballé dans des sacs export, avec inscriptions en idéogrammes. De plus, les variétés produites n'étaient pas celles habituellement consommées par les camerounais. Qui profitera de cette affaire ?
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