L'Afrique et la guerre : comment résister à l'afro-pessimisme ? (I)
Article rédigé par Jean Flouriot, le 18 juillet 2003

L'Afrique est un continent ravagé par les guerres civiles ou étrangères. Il est vrai que les conflits armés sont nombreux, conflits le plus souvent internes mais impliquant de façon plus ou moins explicite les voisins.

Pour prendre la mesure de la situation, nous proposons un passage en revue des points chauds du continent (I) avant de dégager des perspectives (II).

Au Maghreb, l'Algérie est touchée par plusieurs conflits. La guerre civile a baissé d'intensité mais demeure bien réelle. Des groupes islamistes, ou réputés tels, sévissent principalement dans l'ouest du pays mais aussi dans l'environnement rural d'Alger. Ils infligent ponctuellement de sévères coups à l'armée, sans cesser leurs assassinats sauvages de civils. La Kabylie est en rébellion ouverte contre le pouvoir central : elle exige la reconnaissance de son particularisme culturel mais exprime surtout la désespérance de ses jeunes générations devant le non-développement. Au Sahara, l'Algérie soutient le Front Polisario qui revendique l'indépendance du Sahara occidental, conquis par le Maroc au terme de la "Marche verte", il y a bientôt trente ans. Les Sahraouis détiennent dans les camps de Tindouf plusieurs centaines de prisonniers marocains capturés lors de raids audacieux menés il y a vingt ans. Le Maroc est maintenant solidement installé et les efforts de l'ONU pour mettre fin au conflit se heurtent à des manœuvres dilatoires. Le Maroc ne permettra jamais à l'Algérie d'atteindre l'Atlantique par Sahraouis interposés ; c'est vital pour lui.

La Tunisie et la Libye ne connaissent pas de conflit ouvert mais vivent sous des régimes "forts" ne tolérant aucune opposition politique. Les interventions extérieures de la Libye sont moins voyantes mais elle est toujours considérée comme menaçante, parfois même loin de ses frontières. L'Égypte est agitée par l'islamisme et les groupes chrétiens coptes (6 millions de personnes ?) font l'objet d'une persécution larvée connaissant quelques épisodes sanglants.

Les États de la bordure méridionale du Sahara sont sporadiquement agités par des oppositions armées à coloration ethnique : le Sénégal et la Mauritanie se sont heurtés à propos du contrôle de la vallée du fleuve ; le Mali et le Niger ont eu maille à partir avec leurs populations touaregs. Le Sénégal doit toujours faire face à l'irrédentisme de la Casamance : des groupes armés sillonnent la brousse malgré plusieurs tentatives d'accord avec les chefs "historiques" de la rébellion.

Afrique occidentale. La paix civile revient peu à peu en Sierra Leone grâce à un effort militaire, administratif et financier britannique appuyant une opération de l'ONU. Par contre la situation reste anarchique au Liberia où le pouvoir brutal de Charles Taylor est périodiquement remis en cause. L'anarchie libérienne déborde sur les pays voisins : la frontière avec la Guinée a été le théâtre de violents combats il y a deux ans et l'Ouest de la Côte d'Ivoire en fait les frais. C'est au Liberia qu'on attend une intervention de l'armée américaine, en raison des responsabilités historiques des États-Unis vis-à-vis de ce pays, plutôt qu'en Irak.

Mais c'est la situation nigériane qui apporte les plus grandes inquiétudes. La mise en place de la "charia", la loi islamique, dans les états du Nord s'accompagne de grandes violences entre populations autochtones et migrants venus du Sud du pays et le plus souvent chrétiens. L'opposition entre les cultures islamo-sahéliennes du Nord et les peuples forestiers du Golfe de Guinée avait valu au Nigeria la terrible guerre du Biafra, il y a plus de trente ans, lorsque les Ibos tentèrent de quitter la Fédération. Au XIXe siècle, la colonisation avait arrêté le mouvement de conquête des émirats musulmans peuls vers l'Est et le Sud. Reprend-il aujourd'hui ? Le Nigeria, fort de plus de 100 millions d'habitants, riche de son pétrole et d'une industrie naissante, est le "stabilisateur" de l'Afrique de l'Ouest ; il fournit l'essentiel des troupes de l'Ecomog, la force de paix ouest-africaine. Mais son gouvernement fédéral n'arrive pas à dominer l'islamisation des États du Nord, tenue pourtant pour illégale, ni à réduire la corruption qui détourne les revenus du pétrole vers la constitution de grandes fortunes privées. Dans la zone pétrolière, les populations ne récoltent pratiquement rien des revenus perçus par l'État sur les exploitants pétroliers. Des mouvements sporadiques de révolte amènent de plus en plus fréquemment l'occupation d'installations pétrolières. En février-mars 2003, ces mouvements ont provoqué une quasi interruption des exportations pétrolières du Nigeria.

La Côte d'Ivoire est coupée en deux. À Noël 1999, Konan Bédié, le successeur d'Houphouët-Boigny, a été chassé par le général Guei. La population a appuyé le militaire, lassée de la corruption du pouvoir en place. Mais celui-ci a laissé derrière lui le concept empoisonné "d'ivoirité" : les populations d'origine étrangère (au moins 30% de la population ivoirienne) n'ont pas de droits civiques ; cela permettait d'éliminer le principal adversaire politique, Ouattara. Mais la population a de plus en plus mal supporté le rançonnage organisé par les troupes de Guei. Celui-ci avait promis des élections après avoir promulgué une constitution nouvelle entérinant "l'ivoirité". Poussé par ses troupes, Guei a tenté de se maintenir ; sous la pression de la rue, c'est finalement Gbagbo, vieil opposant, qui a été élu, en quelque sorte "par défaut", Ouattara n'ayant pu se présenter. Depuis, une alliance objective s'est nouée entre les militaires, réfugiés au Burkina-Faso, et Ouattara. Le pouvoir d'Abidjan a été plusieurs fois l'objet de tentatives de renversement, la dernière en date (septembre 2002) aboutissant à la situation actuelle. L'avenir reste très incertain : les populations du Sud craignent l'expansionnisme musulman et Gbagbo joue de cette peur pour s'accrocher au pouvoir. La fragilité de la situation ivoirienne retentit sur ses voisins francophones qui en dépendent économiquement.

En Afrique centrale, le Cameroun fait figure de havre de paix malgré des tensions internes très fortes et un conflit latent avec le Nigeria pour le contrôle de la péninsule de Bakassi, à la frontière maritime des deux pays ; mais il y a aussi des problèmes sur la frontière terrestre, au Nord. Le Tchad connaît plusieurs conflits internes : le pouvoir est exercé à N'Djamena par des hommes du désert, musulmans, très mal supportés par les Noirs animistes et chrétiens du Sud et ce d'autant plus que la mise en exploitation de gisements pétroliers dans le Sud va surtout profiter au gouvernement. Les organismes internationaux ont imposé un partage des revenus dont on verra, à l'usage, s'il est respecté. Le pouvoir a écrasé toute velléité de rébellion au Sud mais doit faire face à divers mouvements armés au Nord. La Libye n'est jamais loin des opposants, quels qu'ils soient.

La Centrafrique continue à s'épuiser dans des conflits internes plus ou moins sanglants. Ce petit pays ne manque pourtant pas de ressources agricoles, forestières et minières (et bientôt, sans doute, pétrolières...) mais l'incurie de ses dirigeants est caricaturale. Aujourd'hui, c'est un militaire qui a pris le pouvoir : il va nourrir les siens jusqu'à ce que l'exaspération des populations pressurées lui suscite un opposant... Au moins, son arrivée au pouvoir signifie le départ des Libyens qui assuraient la sécurité de son prédécesseur et des bandes congolaises de Bemba venues de l'autre rive de l'Oubangui.

Le Gabon et le Congo (Brazzaville) sont riches de pétrole et pauvres de population. Si le Gabon est calme (mais en état de non-développement et peut-être à la veille d'un affrontement avec la Guinée Équatoriale pour le contrôle de champs pétrolifères), le Congo a connu plusieurs épisodes de guerre civile au cours des dix dernières années. Évincé du pouvoir par les processus électoraux, Sassou Nguesso y est revenu par la force mais ne réussit pas à pacifier le pays : une rébellion violente sévit dans la région du Pool, aux portes de la capitale et ici aussi, malgré les revenus du pétrole, le non-développement est flagrant. La Guinée équatoriale, ancienne colonie espagnole, "nage" sur le pétrole et le gaz et pourrait devenir le deuxième producteur africain après le Nigeria et l'Angola d'ici peu de temps. Une aubaine pour assouvir les phantasmes urbanistiques de son président-dictateur plutôt que pour sortir sa population du sous-développement.

La République Démocratique du Congo (ex-Zaïre) est le grand malade de l'Afrique centrale. Ce très vaste pays (2,5 millions km2), est peuplé d'environ 40 millions d'habitants. C'est potentiellement le plus grand pays francophone du monde. Ses richesses naturelles sont considérables : forêt, plantations, mines. Ruiné par les prédations de Mobutu, le Congo est devenu la proie de ses voisins : à l'Est, Ouganda et Rwanda se sont comportés en envahisseurs, contrôlant directement pendant plusieurs années un bon tiers du pays. Au Sud et à l'Ouest, en échange de leur soutien à Kinshasa contre ces envahisseurs, Zimbabwe, Namibie et Angola se sont emparés de la production de diamants et de minéraux rares. L'assassinat de Laurent Kabila et la venue au pouvoir de son fils, conjugués avec des pressions internationales, ont permis le retrait de l'armée rwandaise et des occupants ougandais mais ceux-ci ont laissé derrière eux des "mouvements" hostiles à Kinshasa dont le plus connu est celui de Jean-Pierre Bemba qui tient le nord-ouest du pays. Les "alliés" de Kinshasa se sont aussi retirés et le dialogue inter-congolais, soutenu par l'Afrique du Sud, est parvenu péniblement à une solution de partage du pouvoir : ce n'est pas la paix mais ce n'est plus la guerre, bien que des violences ethniques perdurent dans la région de l'Ituri, à la frontière avec l'Ouganda. L'ONU entretient une mission (MONUC) d'interposition aux trop faibles moyens. L'intervention française à Bunia est un premier geste de pacification : pourra-t-il faire tache d'huile sur tout l'Est du Congo ?

L'Angola sort d'un quart de siècle d'une guerre civile particulièrement cruelle. Tout est à reconstruire. Le pays est riche : pétrole, diamants, potentiel agricole. La population est exsangue et les cercles du pouvoir ne se préoccupent guère de reconstruction. Sa compétence militaire amène l'Angola à intervenir à l'extérieur de ses frontières : on a vu son rôle en RDC mais il s'est aussi manifesté à Brazzaville et Gbagbo lui a fait appel lorsque ses forces se sont débandées devant les rebelles.

Afrique orientale. Le Soudan établit un lien géographique entre l'Afrique du Nord musulmane et l'Afrique orientale. Ce pays n'a pratiquement jamais connu la paix depuis son indépendance à la fin des années cinquante. La guerre entre le Nord musulman, et maintenant islamique (la charia est la loi nationale), et le Sud animiste et chrétien ne s'est arrêtée qu'entre 1978 et 1983, lorsque ce dernier connu un semblant d'autonomie. Cette guerre s'est doublée de conflits internes entre les groupes du Sud. La découverte de pétrole dans les provinces du Sud a attisé le conflit. Après le 11-septembre, le Soudan, assimilé à "l'Axe du mal", a dû consentir quelques efforts pour complaire aux Américains : des accords de paix ont été finalement conclus au Kenya avec les représentants du Sud mais sur le terrain la guerre reste active.

L'Éthiopie et l'Érythrée se sont livrées à une guerre très meurtrière et l'antagonisme reste fort entre les deux pays pour des raisons culturelles et géopolitiques. L'Éthiopie est un pays refuge, continental, sans accès à la mer. L'Érythrée en constitue le débouché naturel sur la Mer Rouge. Celle-ci est musulmane alors que le pouvoir est détenu à Addis-Abbeba par des chrétiens depuis toujours en lutte contre l'islam.

Djibouti a connu des périodes de troubles armés ; aujourd'hui ce petit pays est calme. La France y entretient une présence militaire importante désormais battue en brèche par les Américains qui s'installent en force en raison de la guerre irakienne. La Somalie est le terrain de guerres tribales acharnées et serait un refuge pour certains islamistes chassés d'Afghanistan. Elle n'existe plus en tant qu'État. La communauté internationale reste marquée par l'échec sanglant de son intervention précédente et se contente d'observer la situation pour contenir les débordements éventuels sur les pays voisins. Le doute persiste quant à une implantation permanente de bases terroristes.

Toute la côte africaine de l'Océan Indien est sous influence islamique. Les relations commerciales entre la péninsule arabique et cette côte sont très anciennes et relayées par les moyens de transport modernes : les aéroports de Dubaï, Qatar et Doha sont les points de départ de trafics en tout genre vers l'Afrique orientale. Les communautés musulmanes bouillonnent et il n'est pas étonnant que Nairobi ait été le théâtre de l'un des plus violents attentats anti-américains de ces dernières années.

Le Kenya vient de vivre une alternance politique relativement paisible. L'Ouganda, considéré comme l'un des "meilleurs élèves" des organismes internationaux de financement se remet lentement d'une très longue période de troubles. Il ne connaît pas vraiment la paix : une rébellion violente et cruelle sévit dans le Nord du pays. Les relations sont très fraîches avec le Rwanda. Il y a une rivalité de personnes entre Museveni et Kagamé. Le Rwandais Kagamé a conquis le Rwanda à partir de l'Ouganda en 1994, après avoir été très proche de Museveni dans sa propre conquête du pouvoir. Ils se sont partagés la conquête du Congo mais s'y sont également violemment heurtés à plusieurs reprises et les soldats de Museveni n'ont pas fait bonne figure face à ceux de Kagamé.

Au Burundi, la guerre ne cesse pas malgré des négociations et des accords entre le pouvoir tutsi et les rebelles. Armée et rebelles rivalisent de massacres. Il est prévu une alternance à la tête de l'État entre Tutsis et Hutus ; un bataillon sud-africain veille sur la sécurité de quelques opposants revenus d'exil.

Le reste de l'Afrique orientale et australe (Tanzanie, Zambie, Botswana, Malawi, Swaziland, Lesotho, Mozambique, Namibie et Afrique du Sud) connaît une certaine paix, traversée de temps à autre par des violences internes. Le Zimbabwe s'effondre sous la conduite de Mugabe. Accroché au pouvoir, celui-ci précipite son pays dans la ruine par une pseudo-réforme agraire qui chasse les fermiers blancs de leurs terres pour les donner d'abord à ses proches, à leurs amis puis anciens combattants de l'indépendance. Le résultat le plus visible est que ce pays grâce auquel l'Afrique australe ne connaissait pas la famine est aujourd'hui dans une situation désespérée : plus de la moitié de sa population manque de l'approvisionnement le plus élémentaire.

Enfin, pour terminer ce tour des points chauds du continent, il faut rappeler que l'Afrique au Sud du Sahara est ravagée par le sida. On y compte déjà plus de 16 millions de victimes et 25 millions de personnes séropositives. L'Afrique australe est particulièrement touchée. La prévention est faible et les soins pratiquement nuls. La maladie frappe principalement les jeunes actifs, déséquilibrant les pyramides des âges et faisant des millions d'orphelins. Et puis il y a aussi les catastrophes naturelles ou technologiques (sécheresses, séismes, éruptions volcaniques, naufrages ...) dont les conséquences sont aggravées par l'incurie des gouvernants.

La semaine prochaine :

"Comment résister à l'afro-pessimisme?"

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