Article rédigé par Roland Hureaux*, le 20 mai 2011
Ne croirait-on pas que cette affaire sort tout droit d'une bande dessinée de Lauzier, le persifleur impitoyable de la génération de mai 68 ! On aurait tort d'imaginer que le traumatisme profond éprouvé par le parti socialiste à la suite de l'affaire Strauss-Kahn tienne au seul fait d'avoir perdu son meilleur candidat à la présidentielle. D'ailleurs, beaucoup d'observateurs, y compris dans son camp, pensaient qu'il ne se présenterait pas : déjà avant l'affaire de New York, la silhouette lasse et l'air blasé de l'ancien député de Sarcelles n'étaient pas ceux d'un candidat à la présidence. Non le choc, pour une certaine gauche, est plus profond.
Dominique Strauss-Kahn était, après trente ans d'idéologie libéral-libertaire, la figure emblématique de ce qu'est devenue la gauche soixante-huitarde, cela au degré le plus accompli, à un niveau dont ses camarades rêvaient sans espérer jamais l'atteindre.
Dans une société qui valorise l'absence de complexes (autre nom de l'antique scrupule ?), il avait dépassé depuis longtemps ceux que pouvaient avoir les gens de droite par rapport au sexe (non que la droite soit plus vertueuse sur ce chapitre ; elle est simplement plus honteuse) et ceux que pouvaient avoir les gens de gauche vis -à -vis de l'argent.
On ajoutera que, par ses fonctions passées et récentes, Strauss-Kahn enlevait à la vieille gauche un autre de ses complexes ; celui de ne pas être compétente en économie. Qu'importe que l'ancien directeur du FMI n'ait rien prévu de la crise : il était, par son savoir supposé, le preuve vivante qu'on pouvait combiner ce que toute une génération de militants s'était obstinée à chercher sans le trouver : être de gauche et économiquement crédible, comme l'avait été en sont temps, croyait-on, Mendès-France.
D'une certaine manière, Dominique Strauss-Kahn incarnait pour la génération post-soixante-huitarde, acquise à la morale (ou l'a-morale ?), libertaire et convertie aux valeurs de l'argent, l'homme accompli, comme avait pu l'incarner pour les hommes de la Renaissance l'Hercule de Michel Ange !
On ajoutera que cette gauche qui avait commencé par manifester contre l'impérialisme américain au Vietnam (nous ne savons pas si DSK l'a fait, mais qu'importe !) finit dans le culte de l'Amérique : dans la presse, le barreau, les hautes sphères de l'Etat, elle prêche depuis trente ans pour que la France moisie se modernise – entendez s'américanise : une revendication qui, il faut bien le dire, a largement déteint sur la droite. La découverte de l‘impitoyable système judiciaire américain – pour de vrai et non dans une série policière – a dû, sur ce chapitre aussi, en refroidir quelques uns !
Libéral et libertaire
Libéral et libertaire, Dominique Strauss-Kahn l'était plus que quiconque. De gauche, antiraciste, antisexiste, anti tout ce qui est mal aujourd'hui etc., il présentait une figure politiquement correcte sous tous les rapports - en parfaite harmonie avec son actuelle épouse qui avait été longtemps, sur les écrans français, la grande prêtresse de cette nouvelle orthodoxie.
Qui a oublié le rire carnassier et la morgue hautaine dont, de la tribune de l'Assemblée, il accabla, lors du débat sur le Pacs, la pauvre Christine Boutin ? L'homme sans complexes face à la femme coincée, la souveraineté d'un expert international face à la petite provinciale à principes !
Se trouvant en même temps à la tête de la plus importante des institutions financières internationales – et, accessoirement, d'une des grandes fortunes de France -, Dominique Strauss-Kahn n'était-il pas paré pour tous les triomphes : et pourquoi pas, pensaient certains, pour la présidence de la République ? Même si on pouvait se douter que tant de succès feraient, problème judiciaire ou pas, assez de jaloux pour être en fin de compte un point faible électoral : quitte à être à contretemps de l'opinion dominante, nous ne sommes pas loin de penser, en effet, malgré les sondages, que Sarkozy a perdu son opposant le plus facile à battre !
Et patatras : voilà qu'à Time square, la place la plus branchée du monde, tout s'effondre.
Nous parlions de mai 68 : je pense à ce militant trotskiste, activiste infatigable, mais pas autant que son frère qui, sur tous les terrains, le remplissait de complexes par ses surenchères, jusqu'au jour où le dit frère disjoncta et se retrouva à l'asile. Le choc fut rude.
Il est rude aussi aujourd'hui pour une certaine gauche, passée sans transition de l'internationalisme prolétarien au mondialisme économique et financier.
Pourra-t-on encore, après l'affaire Strauss-Kahn, sur la culpabilité duquel nous ne nous prononçons évidemment pas, proposer encore l'idéal de jouir sans entraves ? Ce n'est pas sûr.
L'esprit libertaire ainsi remis en cause, le libéralisme économique (disons l'ultralibéralisme) le sera-t-il à son tour ?
Il aurait dû l'être à la suite de la crise de 2008. Or il l'a été en définitive si peu. En attendant que le culte de l'argent, comme celui du sexe, aboutisse un jour, lui aussi à Rikers Island. Mais ce n'est peut-être pas pour tout de suite !
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