Journées du Patrimoine. Jean-Jacques Aillagon : "La véritable laïcité nous fait aimer le patrimoine chrétien"
Article rédigé par Entretien avec Jacques Aillagon, le 19 septembre 2003

Monsieur le ministre, quelle était votre intuition en choisissant le thème des Journées du patrimoine 2003 ?

Le patrimoine spirituel représente une part essentielle de notre patrimoine, qu'il s'agisse du patrimoine français ou européen.

Nous assistons cependant en France, et plus généralement en Europe, à un recul de la culture religieuse qui amoindrit la compréhension et l'appréciation des monuments religieux et des messages qu'ils portent.

De ce fait, le patrimoine spirituel devient presque mystérieux pour nombre de français. J'ai donc souhaité que ces Journées du Patrimoine soient l'occasion de redécouvrir notre patrimoine spirituel, en donnant à nos concitoyens les clefs de lecture nécessaires pour mieux l'aborder.

Pendant des siècles, l'Église fut motrice de la culture par son mécénat. L'État est-il aujourd'hui en mesure de jouer ce rôle seul ?

Certes, notre histoire nous enseigne que les grands mécènes des arts à travers les siècles, dans notre civilisation occidentale, sont les souverains, les riches marchands et l'Église dont le pouvoir temporel et spirituel imprimait les créations.

Je crois qu'aujourd'hui chaque Français, qu'il s'agisse des particuliers ou des entreprises, doit pouvoir s'impliquer dans la culture de son pays. C'est tout le sens de la loi sur le mécénat que j'ai fait adopter au Parlement en juillet. Il n'est pas question, évidemment, que les initiatives privées se substituent aux politiques publiques. Elles viennent, au contraire, en complément de l'action de l'État.

Promouvoir le patrimoine spirituel, n'est-ce pas trahir une laïcité issue d'un conflit ouvert avec l'Église ?

La laïcité n'a jamais été la négation de la foi ou de la religion mais le refus, en France, d'une religion d'État. Cette laïcité crée un espace neutre qui est en réalité un espace de partage et d'échanges entre différentes croyances. Ce faisant, elle permet d'intégrer à l'ensemble de notre patrimoine culturel les productions de la vie religieuse, les églises, les synagogues, les temples, les mosquées. La grande mosquée de Paris, par exemple, fait bien partie de notre patrimoine national. C'est grâce à la laïcité que chacun peut apprécier l'ensemble de ces productions, que l'on soit croyant ou non.

L'ouverture de la laïcité à toutes les religions n'est-elle pas un moyen de tenir à distance un patrimoine chrétien jugé trop écrasant ?

Comme je viens de vous le dire, vivre dans la laïcité est ce qui nous met en mesure d'apprendre à connaître et à aimer le patrimoine chrétien sans être écrasé par lui, et ce, qu'elle que soit notre croyance. La laïcité est ce qui fait de notre patrimoine religieux un patrimoine commun. C'est grâce à elle que nous pouvons partager l'héritage des religions constitutives de notre histoire.

Comment jugez-vous la gêne actuelle de certains politiques vis-à-vis de la reconnaissance des "racines chrétiennes de l'Europe" ?

Le christianisme a marqué pendant des siècles la culture de l'Europe, c'est un fait. Tout notre héritage intellectuel, moral, social et artistique en témoigne. Le christianisme en a très profondément marqué la formation. Je comprends ceux qui n'ont pas voulu écarter le principe de laïcité par une référence trop exclusive à cet héritage. Vouloir en taire la spécificité et la force peut cependant, à mon sens, être perçu aussi comme une marque d'oubli, d'ingratitude, voire d'hostilité. J'aurais pour ma part été plus satisfait par une rédaction plus généreuse, plus réaliste, plus dynamique.

Récemment, une polémique s'est élevée autour du Mont Saint-Michel entre l'évêché et le Centre des monuments nationaux sur la part à réserver au culte monastique. On accuse parfois l'État de vouloir transformer les églises en musée. Qu'en pensez-vous ?

S'agissant du Mont Saint-Michel, il est vrai que des discussions s'étaient engagées entre le Centre des monuments nationaux et l'évêché pour préciser les modalités contractuelles assurant une présence de prière à l'abbaye avant l'arrivée des Fraternités monastiques de Jérusalem. Le cadre juridique de cette première convention signée en juillet 2001, s'est révélé insuffisant. C'est pourquoi de nouvelles discussions associant le Centre des monuments nationaux, l'évêque et les communautés ont permis d'aboutir à un équilibre jugé très satisfaisant, traduit dans une convention signée en avril 2003. J'avais moi-même pris le soin de rencontrer et de saluer, au Mont, l'ensemble de ceux qui ont la charge du site.

En ce qui concerne la seconde partie de votre question, si vous faîtes allusion aux églises transformées en musées, ce qui, par exemple, est le cas de l'ancienne abbaye Toussaint à Angers devenue musée de la ville d'Angers il s'agit bien d'une démarche respectueuse de la mémoire religieuse, lorsque l'édifice, naturellement, est désaffecté. L'église ne perd pas sa valeur spirituelle quand une utilisation est aussi franche et digne.

Si votre question concerne les programmes de mobiliers liturgiques ou de vitraux contemporains réalisés dans les églises, je précise que l'aide apportée par l'État, lorsque l'église est protégée au titre des monuments historiques, traduit une volonté d'enrichissement et de mise en valeur d'un édifice affecté au culte. Les artistes, toujours amenés à dialoguer avec le clergé, sont motivés par la dimension spirituelle du lieu et essaient - et parviennent le plus souvent - à l'enrichir. C'est ainsi que le patrimoine artistique religieux reste un patrimoine vivant.

Comment analysez-vous le besoin de sens et de spiritualité de nos contemporains ?

Le besoin de sens et de spiritualité est, me semble-t-il, une constante de la vie humaine, et cela dès l'aube de l'humanité. Il est heureux que ce besoin toujours se manifeste, malgré le poids et parfois l'écrasement des activités et des valeurs matérielles.

Qu'est-ce qui vous touche le plus dans le message chrétien ?

L'amour, il n'y a rien à ajouter ....

Vous avez enseigné l'histoire et la géographie. Que pensez-vous du débat sur l'enseignement des religions à l'école ? Est-ce un remède contre l'amnésie culturelle ou le signe d'une mutation des valeurs républicaines ?

L'enseignement des cultures religieuses n'est nullement le signe d'une mutation des valeurs républicaines, bien au contraire. L'enseignement des cultures religieuses à l'école donne les clefs de lecture nécessaires pour accéder à notre patrimoine spirituel qui, comme je vous le précisais, constitue une part essentielle de notre patrimoine culturel. Il permet donc de comprendre, au-delà des simples symboles religieux, une histoire commune. Vous le voyez, l'enseignement des cultures religieuses n'est pas uniquement un remède contre l'amnésie culturelle, il est bien plus encore. Il est le garant de notre mémoire collective et de son enrichissement.

Qu'est-ce que la culture peut apporter à la politique ?

Elle y apporte la conscience qu'on s'inscrit dans l'épaisseur d'une histoire, ce qui commande une certaine humilité, une certaine dignité, et en même temps une certaine ambition. Elle donne la certitude que rien n'est jamais fini, que tout est à réinventer, que les créateurs ont une part immense à prendre au destin du monde. Elle nous invite au partage. La culture est un bien généreux. Tous doivent pouvoir y accéder avec liberté et bonheur. Voilà, pour l'action politique dans ce domaine, quelques objectifs.

© Propos recueillis par Louise Grau et Jean-Paul Sartoris pour France Catholique. L'entretien complet est paru dans le n° 2896, du 19 septembre 2003.

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