Journée mondiale de la paix : Benoît XVI, l'écologie et la vocation supérieure de l'homme
Article rédigé par Jean-Yves Naudet*, le 23 décembre 2009

Le traditionnel message du pape pour la Journée mondiale de la paix a cette année une particulière importance. Déjà, dans son message de l'an dernier, consacré à la pauvreté, Benoît XVI abordait des questions économiques et annonçait certains des thèmes de Caritas in veritate. En abordant cette année la question de l'environnement, il prolonge cette même encyclique sur un point précis : la question écologique, celle des rapports de l'homme et de la nature.

Publiée en pleine conférence de Copenhague, le document montre toute la différence entre les querelles politiciennes, les visions matérialistes des États et la hauteur de vue du pape, qui se préoccupe, lui, du développement intégral de l'homme, créé à l'image de Dieu. D'emblée, on ne se situe pas sur le même plan, ou plutôt les chefs d'Etat n'ont pas été à la hauteur du message de l'Église.
La tonalité de départ du message aurait pourtant dû attirer l'attention d'hommes politiques en principe chargés du bien commun : Si tu veux construire la paix, protège la création (n. 1). Pendant plusieurs paragraphes, le pape parle très clairement du nécessaire respect de la nature, des atteintes inadmissibles à l'environnement. Il fait part de sa préoccupation face aux menaces qui pèsent sur les biens naturels. Mais on sent déjà qu'en parlant d'emblée de création et de la Terre comme un don de Dieu, il ne va pas en rester aux préoccupations écologiques habituelles, auxquelles les hommes politiques se limitent en général.
La crise écologique est d'abord éthique
Le développement humain intégral est étroitement lié aux devoirs qui découlent du rapport de l'homme avec l'environnement naturel, considéré comme un don de Dieu fait à tous . Nous avons donc des responsabilités vis-à-vis de tous les hommes comme vis-à-vis des générations à venir. Mais Dieu est toujours présent et contempler la beauté de la création nous aide à reconnaître l'amour du créateur (n. 2). Certes, l'Église n'a pas à entrer dans des solutions techniques spécifiques (n. 4), mais elle doit parler comme experte en humanité et elle doit rappeler la relation entre le Créateur, l'être humain et la création . Et de même que la crise économique est d'abord d'ordre éthique, la crise écologique est d'abord éthique. Il serait irresponsable de ne pas prendre cette dimension en considération.
On ne peut donc aborder les problèmes cruciaux de la planète séparément de la conception de l'homme et de son développement, contrairement à la démarche des politiques. Tous les aspects de la crise (économique, alimentaire, écologique ou sociale) sont au fond des crises morales liées les unes aux autres (n. 5). C'est toute notre manière de vivre qui est à revoir, le pape parlant d'une manière de vivre basée sur la sobriété et la solidarité . C'est autrement plus radical que de discuter technique sur la façon de limiter la hausse des températures de 1, 2 ou 3 degrés.
Le lien entre ce texte du 1er janvier sur la paix et l'encyclique Caritas in veritate est permanent. Benoît XVI rappelle qu'à l'origine de la nature, au sens large, il y a un dessein d‘amour et de vérité (n. 6). Et il fait comprendre le dessein de Dieu, que nous devons respecter, en commentant le début de la Genèse, l'homme et la femme étant au sommet du cosmos, car créés à l'image de Dieu, pour remplir la Terre et la soumettre comme des intendants : le mode d'emploi est donc donné dès l'origine ; l'homme peut et doit se servir de la terre, mais avec sagesse et en pensant aux autres, présents et à venir.
C'est cela que notre monde a oublié, d'autant plus que, dès l'origine, le péché a corrompu ce lien entre l'homme, le Créateur et la création. La vraie signification du commandement premier de Dieu ne consistait pas en une simple attribution d‘autorité, mais plutôt en un appel à la responsabilité . La nature est un don du Créateur qui en a indiqué les lois intrinsèques , alors que l'homme finit par la tyranniser au lieu de la gouverner sagement. L'activité économique elle-même doit donc respecter l'environnement (n. 7).
Le pape n'entre pas, on le remarquera, dans les débats techniques, par exemple dans le débat sur le réchauffement, son ampleur, ses causes exactes, son impact, les solutions techniques ou financières éventuelles. En revanche, il est très net sur les principes, à commencer par la solidarité intergénérationnelle (n. 8) et aussi sur la solidarité dans l'espace (et pas seulement dans le temps).
Une opportunité historique
Son analyse est très équilibrée, dénonçant la responsabilité historique des pays industrialisés , mais aussi des pays émergents, qui ne sont pas exonérés de leur propre responsabilité . Mais la crise écologique, qui touche aussi la question des ressources naturelles, doit être vue comme offrant une opportunité historique (n. 9) pour élaborer une vraie réponse, allant jusqu'au développement humain intégral, s'inspirant des valeurs propres de la charité dans la vérité. Il n'est pas sûr que ce soit ainsi qu'on ait compris les choses à Copenhague.
Le pape fait d'ailleurs preuve d'un optimisme certain face à la capacité de l'homme de s'adapter et de résoudre les problèmes, car nombreux sont aujourd'hui les possibilités scientifiques et les chemins d'innovations potentiels (n. 10). Mais il faut pour cela que chacun s'engage, à tous les niveaux, avec une authentique solidarité à l'échelle mondiale, inspirée par les valeurs de la charité, de la justice et du bien commun .
Au-delà des politiques nécessaires et des engagements des États, il apparaît toujours plus clairement que le thème de la dégradation environnementale met en cause les comportements de chacun de nous, les styles de vie et les modèles de consommation et de production (n. 11). Nous sommes tous interpellés, même dans notre vie la plus quotidienne. Ce sont les mentalités qu'il faut changer et pour cela un sommet mondial ne saurait y suffire. C'est ici l'éducation qui est première. Nous sommes tous responsables de la protection et du soin de la création. Et de rappeler le principe de subsidiarité et le rôle de la société civile dans l'éducation, la sensibilisation et la formation.
Écologie humaine
C‘est donc une écologie humaine (n. 12) que propose le pape : sans elle, il n'y a pas de respect de l'écologie tout court. A-t-on vu les choses ainsi à Copenhague ?
On ne peut exiger des jeunes de respecter l'environnement, si on ne les aide pas, en famille et dans la société, à se respecter eux-mêmes. Les devoirs vis-à-vis de l'environnement découlent des devoirs vis-à-vis de la personne considérée en elle-même . On est au cœur du message de Caritas in veritate : La question sociale est devenue radicalement anthropologique : elle concerne l'homme tout entier ; on ne peut le découper en morceaux . L'écologie, l'inviolabilité de la vie humaine, la dignité de la personne, la famille, tout cela forme un tout, repose sur la loi morale naturelle, et on ne peut en accepter un aspect et en rejeter les autres. On ne peut défendre l'écologie et mépriser la vie humaine.
C'est là qu'intervient le sommet du texte de Benoît XVI :

Une conception correcte de la relation de l'homme avec l'environnement ne conduit pas à absolutiser la nature ni à la considérer comme plus importante que la personne humaine. Si le Magistère de l'Église exprime sa perplexité face à une conception de l'environnement qui s'inspire de l'éco-centrisme et du bio-centrisme, il le fait parce que cette conception élimine la différence ontologique et axiologique qui existe entre la personne humaine et les autres êtres vivants.
De cette manière, on en arrive à éliminer l'identité et la vocation supérieure de l'homme, en favorisant une vision égalitariste de la "dignité" de tous les êtres vivants. On se prête à un nouveau panthéisme aux accents néo-païens qui font découler le salut de l'homme de la seule nature, en son sens purement naturaliste.
L'Église invite au contraire à aborder la question de façon équilibrée dans le respect de la "grammaire" que le Créateur a inscrite dans son œuvre, en confiant à l'homme le rôle de gardien et d'administrateur responsable de la création, rôle dont il ne doit certes pas abuser, mais auquel il ne peut se dérober (n. 13).

Nous voilà loin de la deep ecology, l'écologie radicale, omniprésente dans les rues de Copenhague, qui considère l'homme en général, et l'enfant à naitre en particulier, comme le gêneur de la création, alors qu'il en est le sommet et qu'il est même la seule créature que Dieu ait voulue pour elle-même , selon l'expression de Gaudium et Spes : si l'homme doit respecter la nature, on ne peut pour autant mettre sur le même plan l'homme, image de Dieu, et le reste de la création.
Certains voudraient nous faire croire que c'est l'homme qui est de trop sur la terre. Benoît XVI remet les choses à l'endroit : il faut respecter la création, mais pour le bien de l'homme et non pas en cherchant à l'éliminer ou à le réduire. Cela nous donne des droits, mais aussi des devoirs : celui de faire un usage responsable de notre liberté, en considérant la nature comme un don, et un don, cela se respecte. Su tu veux construire la paix, protège la création : commence donc par protéger et respecter l'homme lui-même, sommet de la création, et par défendre la vie humaine.
*Jean-Yves Naudet est professeur à l'université Paul-Cézanne, président de l'Association des économistes catholiques, vice-président de l'Association internationale pour l'enseignement social chrétien.

 

Pour en savoir plus :

Illustration : Le Jardin d'Eden, par Jacob de Backer (v.1555-1585, Flemish), huile sur toile (détail), Groeninge Museum, Bruges.

 

 

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