Jean-Paul II de sa fenêtre du ciel : "Quo vadis, Benedicte ?"
Article rédigé par Hélène Bodenez, le 27 mars 2009

C'était hier et pourtant quatre ans nous séparent déjà de ces jours d'avril 2005 où Jean-Paul II rejoignait la Maison du Père ainsi que l'avait formulé le cardinal Ratzinger lors de la messe des funérailles. Par grand vent. Admettre, sans attendre la décision d'un procès en béatification, que Jean-Paul II puisse bénir de la fenêtre du ciel, c'était la manière du futur Benoît XVI de rejoindre la foule qui acclamait le défunt pape d'un Santo subito prophétique.

L'homme en blanc, l'homme qui venait de bien loin, le frère des peuples autant de titres qui avaient essayé d'approcher l'identité de toute façon inclassable d'un géant de l'Église, d'un maître spirituel pour l'histoire [1].

À l'heure où certains se rient de Benoît XVI en imaginant des dialogues fictifs entre sœur Emmanuelle et Jean-Paul II, il nous plaît à notre tour d'imaginer Jean-Paul II se pencher de cette fenêtre du ciel pour embrasser aujourd'hui comme hier l'Église qu'il a quittée ragaillardie, quoique encore bien faible après longue maladie.

De cette fenêtre, n'accompagne-t-il pas plus proche que jamais l'ami des combats et des joies qui a mission divine de le remplacer ? Ne voit-il pas à sa place l'évêque vêtu de blanc monter sur une montagne escarpée , ne l'aide-t-il pas même à rejoindre comme lui ces sommets pentus où se trouve une grande Croix ? Il essaie bien, mais ne peut dévier toutes les flèches acerbes des ennemis de toujours, comme celles de ceux venant de chez nous [2]. Elles feront naître tellement de bien aussi. Parce qu'offertes pour l'amour de Dieu... Il l'aide à suivre l'Agneau partout où il va (Jn, 14 ; 4 ) comme tant de papes l'ont fait jusqu'à lui. Il soutient celui qui, comme lui tant de fois en vingt-six ans, traverse ces grandes villes à moitié en ruine ; oui, il le porte ce pape de lumière à qui rien n'est épargné à quatre-vingt-un ans, le jour de sa fête. On l'offense , on l'attriste , on l'afflige de souffrances et de peine. Mais lui, avec le sourire du juste, prie pour les âmes de ces peuples sans vie qu'il trouve sur son chemin et auxquels il voudrait redonner l'espérance. Non, Benoît XVI ne se sent pas seul, a-t-il ri. C'est un mythe. Et pour cause. Le soutien vient de l'Église triomphante. C'est la foi.
Jean-Paul II, notre Transfiguration
D'une certaine façon, Jean-Paul II a été notre Transfiguration à nous. Chacun a en mémoire l'épisode où Jésus emmène Pierre, Jacques et Jean sur une haute montagne, à part. Et pendant qu'ils priaient, Jésus fut transfiguré : Son visage et sa personne apparurent lumineux, resplendissants. Benoît XVI en a livré récemment l'explication :
Jésus voulait que ses disciples, en particulier ceux qui auraient eu la responsabilité de conduire l'Église naissante, fassent une expérience directe de sa gloire divine pour affronter le scandale de la Croix. En effet, lorsque viendra l'heure de la trahison, et que Jésus se retirera pour prier à Gethsemani, il prendra auprès de lui Pierre, Jacques et Jean, leur demandant de veiller et de prier avec lui (cf. Mt 26, 38). Ils n'y arriveront pas, mais la grâce du Christ les soutiendra et les aidera à croire dans la résurrection [3]

Le temps de Jean-Paul II avec nous était de cet ordre-là, de la joie et de la gloire pour se préparer à la Passion qui se profile, à la Passion qui est là et à laquelle Jean-Paul II ne s'était pas soustrait. Cela est connu. La Passion continue jusqu'à la fin des temps, l'Église aura à la vivre comme le Christ a dû la vivre, passera par les mêmes étapes. Chacun le voit bien aujourd'hui, elle prend un tournant serré avec Benoît XVI, et vit une étape majeure : que la foi des catholiques ne défaille pas alors et dans la tempête, que le pape les trouve à ses côtés ni endormis ni enfuis, mais fermes dans la foi.

Qu'ils ne soient pas des girouettes aussi prompts à signer des pétitions qu'à se rattraper comme ils peuvent ensuite, prompts à l'acclamer aux Bernardins et aux Invalides dans la gloire de septembre, à le huer aux Ides de mars avec la foule versatile des Rameaux. Inouïe, la violence qui se déchaîne à l'égard du vicaire du Christ aujourd'hui en France fait honte. Mais elle remplit la cagnotte du 15e Sidaction en panne depuis longtemps [4] et le petit monde médiatisé se frotte les mains de cette trop belle aubaine. D'une certaine façon, cela donne raison à Benoît XVI quand il écrit aux évêques : En ce moment de notre histoire, le vrai problème est que Dieu disparaît de l'horizon des hommes.
Dans le chemin de croix de ce siècle, Benoît XVI
Violence tellement grande d'ailleurs, qu'on en vient à se demander si Fatima a livré toute sa signification, message qu'on avait dit pourtant clos avec Jean-Paul II [5]. À Lourdes, en septembre dernier, la sécurité ne nous l'avait-elle pas chuchoté ? les menaces d'attentat sur la personne de Benoît XVI sont plus grandes que celles pesant sur Jean-Paul II. On ne peut s'empêcher que le troisième secret de Fatima ne revienne en mémoire, message qui ne parle pas seulement de flèches comme nous l'avons dit plus haut, mais également de soldats qui tirent avec des armes à feu . Tout le monde y a vu un message concernant Jean-Paul II. De fait, l'attentat du 13 mai 1981 a été interprété comme relevant de ce troisième secret. Mais vision d'éternité, les apparitions de la Vierge Marie au Portugal en 1917, pourraient bien avoir encore quelque continuation aujourd'hui. Et, pourquoi pas, concerner Benoît XVI pape qui commence à poser un vrai problème [6], quoique l'avenir ne soit jamais immuablement écrit. L'interprétation en avait été faite par le cardinal Ratzinger lui-même. Nous ne retiendrons que les deux derniers moments qui prennent un relief saisissant après son voyage en Afrique :
Dans le chemin de croix de ce siècle, la figure du Pape a un rôle spécial.

De même que de la mort du Christ, de son côté ouvert, est née l'Église, de même la mort des témoins est féconde pour la vie future de l'Église. Leur martyre s'accomplit en solidarité avec la passion du Christ, il devient un tout avec elle.

Le martyre de Benoît XVI dans l'attentat permanent de nos temps modernes a bel et bien commencé, accomplissant celui de Jean-Paul II. Deux témoins exceptionnels pour une Église agressée et plus que jamais attaquée, pour un monde de plus en plus lourd à porter, le pape de la terre répétant dans son cœur après le pape du ciel, comme le Maître, "Amen", "Oui, me voici, que soit faite, ô Père, la volonté de ton amour"... Ceux qui pensent qu'ils peuvent opposer l'un à l'autre, récupérer soudainement Jean-Paul II pour défigurer plus sûrement le visage du pape actuel font un contresens majeur. Il leur manque la compréhension des Écritures qui permet de voir tout de haut.

De faire un peu de ski de printemps, aurions-nous envie trop légèrement de leur conseiller si ce n'était si tragique, ce ski qui permet d'aborder tout par les cimes ! Hautes, forcément puisqu'il ne reste pas de neige plus bas. Nous la garderons cependant cette image car elle n'aurait pas déplu à Jean-Paul II.

Qui ne se souvient de la consécration du monde au cœur Immaculée de Marie de Jean-Paul II ? nul doute que Benoît XVI ne l'ait dans le cœur lui qui ne termine pas un seul discours, une seule homélie, un seul document sans tout confier à notre Mère du ciel, très miséricordieuse, à la Vierge de confiance. Beaucoup de demandes, bien sûr, dans cette consécration, mais n'en retenons qu'une seule aujourd'hui à la veille de débats importants en France : De la facilité avec laquelle on piétine les commandements de Dieu, délivre-nous ! Un feu de prières, en ce 2 avril 2009 qui vient, devrait monter du cœur de tous ceux qui ont aimé en vérité Jean-Paul II. Que du ciel, en l'anniversaire de sa mort, Jean-Paul II soutienne le serviteur des serviteurs Benoît XVI, lui qui foulera la Terre Sainte le 13 mai prochain : Quo vadis, Benedicte ? [7]

 

 

[1] Liberté Politique N° 30, été 2005, Jean-Paul II Le Grand, un maître pour l'Histoire .
[2] Ils sont sortis de chez nous , à propos des Antéchrists, 1 Jn, 2, 18.
[3] Angélus du 2e dimanche de Carême, Place Saint-Pierre, 8 mars 2009.
[4] Depuis la 2e édition du Sidaction en 1996, à la suite d'un incident provoqué par Act Up en direct sur le plateau de télévision comme le rappelle l'émission Medias Le magazine du 21 mars 2009 sur France 5, Sida : encore un tabou à la télé ? (Curseur : 13.58-20.26, et à 17.08 pour l'incident d'Act Up)
[5] Voir documents signés par Jean Paul II, cardinal Ratzinger, cardinal Bertone, cardinal Sodano
[6] Déclaration insultante d'Alain Juppé, ancien premier ministre de la France le 18 mars 2009. Les catholiques sont en droit d'attendre des excuses.
[7] Quo vadis, Domine ? est une interrogation latine signifiant "Où vas-tu, Seigneur ?". Reprise par le romancier polonais Henryk Sienkiewics, elle nous vient des Apocryphes et concerne le martyre de Pierre. Ce dernier fuyant la persécution de Rome aurait rencontré le Christ sur le chemin de Rome. Pierre lui aurait alors demandé : "Où vas-tu, Seigneur?", et le Christ aurait répondu qu'il allait se faire crucifier une seconde fois. Pierre retourna alors à Rome, et subit le martyre de la Croix, la tête en bas par humilité, indigne pensait-il de mourir comme son maître.

 

Défense du pape
La pensée de Jean-Paul II rejoint celle des Psaumes. Contrairement à ce qu'ont pu ressasser dans notre jeunesse de médiocres immoralistes incapables de sortir de la spirale rétrécie de leur égoïsme, ou de pseudo-penseurs qui n'ont jamais été que des parasites dans la barbe de Platon, les commandements sont un bienfait inestimable pour deux raisons, plus une troisième qui résulte des deux autres. La première est que sous leur forme négative [...], ils incluent une conception positive de notre aptitude au bien. La deuxième, que leur signature divine leur confère une valeur universelle qui permet à l'homme de reconnaître, en tout homme, ce frère que la nature ne lui a pas toujours donné. Le troisième est qu'il n'est rien de plus avantageux et libérateur que la volonté de Dieu, qui à la différence de la nôtre, est essentiellement et exclusivement altruiste. L'incroyant est bien excusable de ne pas le savoir, mais le croyant ne peut douter de l'effacement personnel d'un Dieu qui meurt sur la croix pour que nous ne soyons plus jamais seuls dans notre mort.
Tout au long du XXe siècle nous avons vu à l'œuvre l'homme libéré des commandements. Il s'est cru capable de composer une morale nouvelle en dosant à son gré les notions de bien et de mal. Et comme il n'y parvenait pas, il s'est imaginé que la connaissance suffisait et qu'il pouvait se passer de son humanité : sûr d'avoir éteint les cieux, il a fermé l'enfer, pour lui ouvrir ensuite des succursales dans toute l'Europe.
André Frossard, de l'Académie française,
Défense du pape, Paris, Fayard, 1993.
(À propos de la sortie de l'encyclique Veritatis Splendor)