Article rédigé par Jean-Yves Naudet*, le 15 avril 2005
En remettant à l'honneur la Doctrine sociale de l'Église, Jean-Paul II a notamment abordé, plus souvent que ses prédécesseurs, les questions économiques, répondant ainsi au besoin urgent de moralisation de la vie économique, ressenti par tous les hommes de bonne volonté.
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L'Église, dans sa Doctrine sociale, s'intéresse aux "choses nouvelles", pour y incarner son enseignement permanent. Jean-Paul II a suivi le même cap que ses prédécesseurs. Mais la période de son pontificat coïncide tellement avec une hypertrophie des questions économiques que son enseignement dans ce domaine a dû être considérable pour répondre aux besoins des hommes de notre temps. De Laborem exercens à Centesimus annus, en passant par Sollicitudo rei socialis -, sans oublier tant de discours prononcés devant des entrepreneurs, des syndicalistes ou des familles, c'est une véritable somme d'éthique économique que Jean-Paul II nous a proposée.
Moraliser l'économie réelle
Deux éléments se détachent dans cet enseignement : moraliser l'économie réelle et la remettre à sa place. La chute du mur de Berlin, à laquelle il a tant contribué, écarte définitivement les illusions du socialisme réel, qui reposait sur une "erreur anthropologique" en violant les "droits humains à l'initiative, à la propriété et à la liberté dans le domaine économique" (CA, 24). Une fois cette fausse solution écartée, que reste-t-il ? Jean-Paul II ne s'est situé ni dans les illusions de la troisième voie— ni dans les rêves utopiques —, mais dans le monde réel.
Or la réalité économique d'aujourd'hui c'est "un système économique qui reconnaît le rôle fondamental et positif de l'entreprise, du marché, de la propriété privée et de la responsabilité qu'elle implique dans les moyens de production, de la libre créativité humaine dans le secteur économique" (CA, 42). C'est ce qu'il appelle lui-même l'économie d'entreprise ou économie de marché ou encore économie libre.
L'apport décisif tient au fait que ce monde tel qu'il est ne peut fonctionner sans un état de droit ("un cadre juridique ferme"), qui permette de respecter les droits fondamentaux de chacun au lieu de transformer le monde en jungle. Il ne peut non plus fonctionner sans une éthique qui donne un sens à cette liberté, qui doit s'exercer dans le domaine économique comme dans les autres : la dignité de l'homme est la clef de lecture de cet enseignement et la mesure du caractère licite des institutions et des comportements. La réflexion est particulièrement aiguë et pertinente dans le domaine de la consommation : il y a des "habitudes de consommation et des styles de vie objectivement illégitimes", qui nécessitent "un vaste effort — éducatif et culturel — qui comprenne l'éducation des consommateurs à un usage responsable de leur pouvoir de choisir" (CA, 36).
Une économie remise à sa place
Mais une économie qui fonctionne, c'est surtout une économie qui est remise à sa place. C'est une économie qui accorde une grande importance, aux côtés de la "personnalité de l'individu", à la "personnalité de la société" (CA, 13), c'est-à-dire à la famille et aux corps intermédiaires.
C'est une économie où chacun crée, au service des autres. C'est aussi une économie où l'on sait qu'au-delà de la justice des échanges, il existe " un certain dû à l'homme parce qu'il est homme" (CA, 34), c'est-à-dire un devoir personnel de solidarité — et non une assistance impersonnelle — qui doit conduire à la civilisation de l'amour.
C'est enfin une économie qui, par son fonctionnement harmonieux, laisse assez de temps et de place à l'homme pour lui rappeler qu'il ne vit pas seulement de pain.
* Jean-Yves Naudet est professeur à l'Université Paul-Cézanne (Aix-Marseille III), président de l'Association française des économistes catholiques.
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