Israël : des lendemains qui déchantent
Article rédigé par Jean-Marie Allafort*, le 01 septembre 2006

[Jérusalem] – Il y a trente-trois ans, devant le bureau du Premier ministre de l'époque, Golda Meïr, les réservistes de la guerre de Kippour et les familles endeuillées avaient entrepris de manifester jusqu'à ce que les politiques prennent leur responsabilité.

Goldar Meïr fut obligée de créer une commission d'enquête nationale puis, sous la pression de plus en plus forte du public israélien, elle démissionna. Le chef d'état-major qui avait mené la guerre, David Elazar, fut remercié. Israël connut de nombreux mois de trouble politique.

Depuis plus d'une semaine, alors que Tsahal est encore présent au Sud-Liban, la colère des réservistes ajoutée à celle des familles en deuil ne cesse de s'amplifier. Les appels à la démission du Premier ministre, Ehud Olmert, et à celles de son ministre de la Défense, Amir Péretz et du chef d'état-major, Dan Haloutz, ne se comptent plus.

Que l'on se rassure tout de suite, Olmert n'a pas l'envergure de Golda Meïr. Il n'a aucune intention de remettre son tablier pas plus que Péretz, devenue la risée du monde arabe, ni bien sûr Haloutz, qui ne sent pas de vocation de bouc émissaire.

Pour l'instant, aucune manifestation d'envergure n'a été organisée mais la gronde est profonde. Les Israéliens soutiennent leurs soldats. Ils les écoutent avec attention et retiennent leur colère.

Les témoignages du front sont de plus en plus précis. Il s'agit bien d'un fiasco dont on n'a pas fini de découvrir la profondeur.

Témoignage

Un officier de réserve de 28 ans, Assaf, avec qui nous avons discuté pendant trois heures, n'a pas caché son sentiment d'avoir été un simple jouet dans les mains des politiques incapables de prendre des décisions. "On nous a laissé poiroter en terrain ennemi pendant des heures sans savoir ce que nous devions faire. Le Hezbollah nous visait comme des lapins", raconte-t-il. "Nous nous sommes préparés à nous battre face à une guérilla, mais arrivés sur les lieux, on nous disait de faire le contraire de ce que nous avons appris. Les soldats sur le front avaient l'impression que personne n'avait une vision exacte de ce qui se passait et que nous marchions à l'aveuglette."

Assaf devient plus acerbe lorsqu'il s'exprime sur les responsables politiques : "Nous sommes prêts à nous battre et même à mourir mais pas pour n'importe quoi. Pas pour les caprices d'un Olmert." Quand nous évoquons le ministre de la Défense, il éclate de rire : "Si les circonstances n'étaient pas aussi dramatiques, on pourrait vraiment bien rigoler. Péretz est une blague, une très mauvaise blague. Comment Olmert a pu nous coller un type pareil à la tête de Tsahal ? Il n'y comprend strictement rien, pas plus d'ailleurs qu'Olmert lui-même. On est très mal tombé."

Assaf comme les autres réservistes qui reviennent du sud Liban témoignent des conditions difficiles dans lesquelles ils ont dû combattre. Son unité n'a pas eu de ravitaillement pendant 48 heures. Ils n'ont presque jamais pu boire de café car il n'y en avait pas :"Comment je peux demander à mes hommes de rester éveillés dans de telles conditions ?" A la question de savoir quel est, selon lui, l'origine de ce fiasco, il répond sans hésiter : "On nous a empêchés de gagner. Les politiques sont trop occupés à sauver leur place, ils nous sacrifient comme ils ont sacrifié les habitants du nord en ne leur venant pas en aide."

Les parents ayant perdu un fils, eux aussi, demandent des comptes. Ils exigent la démission du trio et critiquent vertement les décisions du Premier ministre. Dans une missive adressée au chef du gouvernement, ils écrivent : "Nous, les parents en deuil, nous nous adressons à vous : prenez vos responsabilités et démissionnez... Nous avons envoyé nos fils pour qu'ils ramènent les soldats pris en otage, pour ôter le danger des missiles sur le nord et pour faire passer un message clair de dissuasion à ceux qui se lèvent contre nous, de loin ou de près. Aucun de ces buts n'a été atteint."

Israël paie très cher les combines politiques des coalitions. Olmert, ne voulant pas perdre le contrôle de la caisse, a refusé de nommer Péretz ministre des Finances. Il lui a confié le portefeuille le plus délicat : celui de la Défense. C'était irresponsable. Cette proposition flattait l'ego du leader travailliste. Au lieu de décliner l'offre, il l'a accepté tout de suite. C'était irresponsable.

La coalition gouvernementale est en mauvaise posture. Les travaillistes se rebellent contre Péretz, certains ministres Kadima (En avant, centre, Ndlr) critiquent de plus en plus ouvertement Olmert. Tsipi Livni, qui était vue comme une outsider, est recalée aux derniers rangs. Son silence pendant cette guerre a été insupportable aussi bien à Olmert qu'à Péretz. Elle s'est retranchée dans son bureau du ministère des Affaires étrangères. Shimon Pérès, à sa place, a du courir les plateaux de télévision pour expliquer au monde en quoi Israël avait raison de mener cette bataille.

Les députés n'ont bien sûr pas envie de retourner devant les électeurs et il peut probable que des élections anticipées soient à l'ordre du jour mais la coalition gouvernementale touche à sa fin. Un nouveau gouvernement, avec ou sans Olmert, devrait voir le jour prochainement. La présidente de la Knesset, Dalia Itzik, appelle à la formation d'un gouvernement d'union nationale. La majorité du public israélien soutient cette idée mais un tel gouvernement sera, lui aussi, de courte durée.

Cet après-guerre devrait voir le retour sur la scène politique de Binyamin Netanyahu. Il a su, comme chef de l'opposition, soutenir le gouvernement tant que les soldats étaient sur le

front, il sait aujourd'hui comment mener la fronde contre ses adversaires politiques. Il y aura des surprises...

* Jean-Marie Allafort vit en Israël depuis 1990 ; a étudié le judaïsme à Ratisbonne et à l'Université hébraïque de Jérusalem. Actuellement, journaliste et correspondant pour plusieurs médias. Chroniqueur du site chrétien www.un-echo-Israel.net

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