Irak : le doute américain, le cynisme européen
Article rédigé par Fr. Jean-Miguel Garrigues, le 05 avril 2004

Un an après l’entrée en guerre des États-Unis contre l’Irak, le secrétaire d'Etat américain Colin Powell a reconnu vendredi 3 avril que les informations qu'il avait présentées à l'ONU sur les programmes d'armes chimiques ou bactériologiques irakiens, n'étaient "pas si solides".

Ces déclarations réduisent à zéro les dernières justifications de l'entrée en guerre des USA et de leurs alliés.

C'est l'honneur du peuple américain que de continuer à enquêter, surtout en cette année d'élection présidentielle, pour vérifier si cette guerre était une guerre juste, moralement justifiée, sur la base des motifs allégués alors. Quoi qu'il en soit du machiavélisme de certains conseillers de George Bush et de D. Rumsfield (Condolezza Rice est accusée par des membres des services secrets à qui on veut maintenant faire porter le chapeau d'avoir "menti de manière éhontée" en présentant leurs rapports l'année dernière), le peuple américain, bien qu'affolé par le 11 septembre et désinformé médiatiquement par le parti interventionniste (fondamentalistes protestants pilotés par quelques juifs sharonistes et leurs think tanks), ne peut pas faire taire sa conscience qui l'interroge, au fur et à mesure que la lumière se fait et que les morts s'accumulent en Irak, sur le juste et l'injuste de cette "guerre préventive" ; et on peut penser qu'il ira, comme par le passé, jusqu'au bout.

Il diffère en cela, et de manière salubre, de notre diplomatie européenne, certes rendue plus lucide que la sienne par une longue expérience historique, et donc sans illusions au début de la guerre, mais l'ayant dit d'une manière si arrogante et inamicale. Cette même diplomatie est aujourd'hui prête à accepter "pragmatiquement" (c'est-à-dire machiavéliquement) "la loi du plus fort", surtout si elle peut finalement y trouver son intérêt en participant à la reconstruction d'un pays qu'on a commencé par démolir simplement pour chasser un tyran. Et elle se console lâchement. Ou bien en se disant que d'"un mal peut sortir un bien", comme elle le faisait à Munich et dans la France de l'Armistice, ou en foulant aux pieds sans états d'âme ce principe que la fin ne justifie pas les moyens et qu'il est blasphématoire de justifier des actes politiques immoraux par ce qu'en peut tirer (par pure grâce et sans aucun automatisme de cause à effet) la divine Providence.

Au lieu de cela, on aurait dû parler d’emblée aux Américains avec la loyauté, la sincérité et la fermeté qu'exige l'amitié fondée sur tant de valeurs communes, payées ensemble dans le passé par tant de sang justement répandu ensemble. Il aurait fallu prendre le temps de s'expliquer en tête à tête avec des amis tentés de réagir de manière trop impulsive au 11 septembre. Il aurait fallu réfléchir à l'après-guerre en Irak, au lieu de leur faire perdre la face à l'ONU, pour ensuite, après la victoire, prétendre participer à la reconstruction, tout en ricanant entre nous, satisfaits dans notre anti-américanisme, à chaque nouvelle tuerie en Irak.

Hélas, le couple Europe-USA a joué dans cette tragédie à l'encontre de la complémentarité qui devrait être sa vocation historique. Je crois que, si les États-Unis ont péché par emportement irréfléchi à la suite du 11 septembre (il fallait vite un "méchant" à punir comme dans les bandes dessinées !), puis par arrogance vis-à-vis de certaines mises en garde discrètes et bienveillantes (inspecteurs de l'ONU, Vatican), les Européens ont péché de manière plus responsable. Les uns par perfidie inamicale (en premier lieu la diplomatie française qui a poussé les Américains à l'ONU pour les y piéger), les autres par opportunisme cynique, voulant être à tout prix dans le char de la victoire (Blair, Aznar).

Tout cela est regrettable et la poursuite de l'interrogation éthique dans le peuple américain m'apparaît comme une vraie consolation face à une Europe si désabusée et démoralisée qu'elle est prête à se laisser aller par désespoir sur la vieille pente du machiavélisme.

En France, qui ose revenir aujourd'hui sur le comportement perfide de la diplomatie française avant le déclenchement de la guerre, maintenant que les faits ont montré à propos des ADM que, n'est-ce pas, "nous avions raison" sur le fond ?

Voici quelles réflexions mélancoliques m’inspire la relecture des avertissements de l’Église, il y a un an, alors que nous prenions date pour le moment où la vérité sur les justifications morales de cette " guerre préventive " pourrait être vérifiée avec certitude. Nous, Européens, nous avons eu tort d'avoir si indignement géré alors la lourde responsabilité d'avoir raison.

Pour en savoir plus :

> De J.-M. Garrigues, " La guerre peut-elle être juste ? ", mars 2003

> Dépêche AFP, 3 avril 2004 | Powell: les informations sur les laboratoires mobiles irakiens pas solides

AFP | 03.04.04 | 05h18 Le secrétaire d'Etat américain Colin Powell a admis vendredi que les informations qu'il avait présentées l'an dernier à l'Onu sur des laboratoires mobiles irakiens, supposés faire partie de programmes d'armes chimiques ou bactériologiques, n'étaient "pas si solides"."Au moment où je préparais ma présentation, cela m'avait été présenté comme étant solide", mais "il apparaît maintenant que ce n'est pas le cas, que ce n'était pas si solide", a-t-il déclaré à des journalistes dans l'avion le ramenant à Washington après une réunion de l'Otan à Bruxelles. Il a ajouté qu'il avait demandé des explications à la CIA, la centrale de renseignements américaine avec qui il avait travaillé étroitement avant son intervention devant l'Onu le 5 février 2003, sur cette question qui érode encore davantage la crédibilité des arguments américains pour entrer en guerre en Irak. La présentation de M. Powell l'Onu était destinée à démontrer la présence en Irak d'armes de destruction massive irakiennes (ADM) et de programmes liés à leur fabrication, dont aucune n'a été découverte depuis. L'absence de découverte de ces armes malgré d'intenses recherches a mis le gouvernement américain et son allié britannique dans un profond embarras vis-à-vis des opinions intérieures et internationales, et relancé les critiques sur la validité des renseignements présentés. La présence en Irak de laboratoires mobiles pour pouvoir échapper aux inspections internationales était "l'élément le plus spectaculaire" de cette présentation "et je me suis assuré qu'il y avait des sources multiples", a déclaré M. Powell."Maintenant, si les sources s'effondrent, alors nous devons trouver comment nous nous sommes retrouvés dans cette situation. J'ai eu des discussions à ce sujet avec la CIA", a-t-il affirmé. M. Powell a également souhaité que la commission d'enquête américaine compétente se penche sur la question de ces laboratoires. Une commission d'enquête vient d'être formée pour déterminer les raisons pour lesquelles les services de renseignement américains ont estimé que l'Irak possédait des armes de destruction massive (ADM).Le Washington Post avait affirmé début mars que les affirmations américaines selon lesquelles l'Irak possédait des laboratoires mobiles étaient basées sur des informations de seconde main provenant d'un transfuge irakien qui n'a jamais été interrogé. Après la fin du conflit, deux semi-remorques trouvés en Irak ont été présentés par des responsables américains, y compris par le président George W. Bush, comme des laboratoires mobiles capables de produire des armes biologiques, mais les experts estiment aujourd'hui que ce n'était pas le cas. Selon le journal, qui citait des responsables des services de renseignement ainsi que des experts du Congrès ayant eu accès à des documents secrets, ce transfuge irakien, un ingénieur chimiste, n'a jamais eu de contact avec les renseignements américains, mais a fait passer l'information via un service étranger, dont la nationalité n'a pas été révélée. Ce transfuge serait de surcroît lié à un haut responsable du Congrès national irakien (CNI), une organisation de l'opposition en exil qui militait pour l'invasion de l'Irak par les Américains. M. Powell avait déjà laissé entendre mardi qu'il n'aurait peut-être pas recommandé une intervention américaine en Irak s'il avait eu la preuve que Saddam Hussein ne possédait plus d'ADM.Il s'était ensuite rapidement repris en affirmant haut et fort que le président Bush avait pris "la bonne décision" en entrant en guerre contre Bagdad.

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