Article rédigé par Jean Marensin, le 18 août 2006
C'est un secret de polichinelle : dans les cercles où on suit de près les questions d'immigration, la loi Sarkozy, malgré tout le bruit qu'elle a fait, est tenue pour un coup d'épée dans l'eau qui ne renforce nullement le contrôle des flux migratoires.
On a claironné que désormais l'immigration "choisie" se substituerait à l'immigration "voulue". Mais on n'a fait qu'ajouter un modeste contingent de migrants "choisis" (environ 10.000 prévus, à ce qui a été annoncé sans que ce chiffre figure dans la loi) aux flux mal contrôlés de l'immigration familiale (environ 100.000 par an, dont 65.000 par mariage avec un conjoint qu'on est allé chercher dans le pays d'origine, sanitaire (en croissance rapide), politique (réfugiés) et naturellement des filières clandestines (impossible à chiffrer par définition). Le total des entrées est sans doute supérieur à 200.000 par an.
La muraille est trouée de brèches ; on ne répare pas les brèches mais on ouvre une petite porte "officielle" en plus !
Tel est sommairement résumé le bilan de la "loi relative à l'immigration et à l'intégration" que vient d'adopter le Parlement.
La principale innovation, l'immigration "choisie", se traduit par l'instauration d'une carte "compétences et talents" et d'une carte temporaire de trois ans pour certains salariés.
Le reste est constitué par une mise en cohérence des textes, souvent de pure forme ou alors de mises aux normes européennes en conformité avec le traité d'Amsterdam : rien qui empêchera les bénéficiaires des régularisations massives opérées récemment en Italie et en Espagne de venir s'ils le veulent en France, au contraire, rien qui permettra non plus d'éviter in fine la régularisation de tous les parents d'enfants scolarisés en situation irrégulière dont il a été question au début de l'été.
En matière d'intégration, malgré les avertissements de novembre 2005, la réponse est encore plus limitée : extension des cérémonies de remise des titres de nationalité — même pas obligatoires —, reprise de dispositions antérieures comme le contrat d'accueil et d'intégration : crée à l'initiative de François Fillon, expérimenté à partir de juillet 2003, il est maintenant généralisé à l'ensemble du territoire. Les mesures tendant à renforcer les contrôles sont cosmétiques : plus de régularisation automatique au bout de dix ans de clandestinité (ce qui peut avoir un effet dissuasif, mais peut être tenu aussi pour irréaliste), délai de naturalisation pour les conjoints repoussé de deux à quatre ans (ce qui ne changera rien au courant en progression de mariages par lesquels on va chercher une fille "du pays", supposée plus docile, signe manifeste dans certaines communautés rétrogrades d'un refus de l'intégration).
Alors pourquoi tant de bruit ?
À supposer qu'il faille le prendre au sérieux (ce qui, on vient de le montrer, est douteux), le principe de l'immigration choisie est certes peu élégant et, pensons-nous, en rupture avec la tradition d'accueil à la française. Il implique une instrumentalisation des gens dont on ne considérera plus que l'"utilité" (sans aller jusqu'à des centres de triage !). On renonce ainsi de manière affichée au grand principe de Kant selon lequel autrui doit toujours être considéré comme une fin et non comme un moyen. Il vaut mieux dire sans doute : "Nous sommes un pays hospitalier mais, désolé, il nous est impossible d'admettre davantage de migrants – à l'impossible nul n'est tenu !" que "Votre personne ne nous intéresse pas, ce qui compte, c'est ce que vous pourrez nous apporter". Bien entendu les principes sont en la matière quelque peu hypocrites, mais s'agissant de relations interpersonnelles, ils ont leur importance.
On peut aussi critiquer le principe de l'immigration choisie sous un autre rapport : il conduit à vider un peu plus de leurs rares compétences nos partenaires africains et donc à entraver davantage encore leur développement.
Campé sur ces deux idées : "vous ne nous intéressez que si vous nous êtes utiles", "on vous prend les meilleurs", Nicolas Sarkozy ne devait pas s'étonner d'avoir été reçu plutôt froidement en Afrique !
Mais compte tenu du caractère en définitive assez vide du dispositif, pourquoi s'être engagé là dedans (contre les réticences de l'Élysée et Matignon) ? On peut se le demander.
Faire savoir ou savoir faire ?
En prônant l'immigration choisie, le ministre de l'intérieur a-t-il voulu montrer qu'il n'était pas contre toute immigration et donc faire savoir une nouvelle fois qu'il n'était pas suspect de racisme ? A-t-il voulu affirmer sa différence en s'inspirant d'un pragmatisme "à l'anglo-saxonne", de fait étranger à nos mœurs ? A-t-il cherché à satisfaire le patronat qui souhaiterait ouvrir à nouveau la porte à une immigration de travail pour satisfaire certaines branches qui connaissent la pénurie de main d'œuvre (mais que fera-t-on avec de si petits contingents ?). A-t-il eu le souci de faciliter les démarches au petit nombre de migrants hautement qualifiés et à leur famille qui doivent venir en France (Américains venant travailler dans une multinationale par exemple) : mais fallait-il une loi pour ça ?
Ne s'agirait-il surtout de rodomontades démagogiques, comme nos gouvernements en ont pris l'habitude depuis trop longtemps, le "faire savoir" se substituant face aux problèmes au "faire" et au "savoir faire", la "communication" tenant lieu d'action ? On peut le craindre. Que l'on se contente de faire semblant, voilà qui, dans une matière aussi grave est inquiétant. Que ce soit, à dix mois des élections présidentielles, le seul moyen de satisfaire l'opinion sans prendre trop de risques du côté des belles âmes hostiles à tout contrôle des flux migratoires, n'est pas une circonstance atténuante.
Les critiques de l'épiscopat
Parmi ces belles âmes figurent en bonne place certains évêques de France. On sait comment, consultés par le ministre de l'Intérieur, ils ont marqué leur désaccord vis-à-vis d'une politique de contrôle trop sévère de l'immigration. Mais pourquoi donc cet accrochage alors que la loi est, comme on vient de le montrer, aussi mince de contenu ? On n'échappe pas au soupçon que ces dits évêques aient été instrumentalisés : le coup de crosse qu'ils ont donné était prévisible — il y a suffisamment de connaisseurs des cultes au ministère de l'Intérieur pour savoir qu'ils n'aimeraient pas qu'on tente de le compromettre en recherchant leur aval (à l'encontre de la tradition laïque française) sur un sujet aussi délicat.
Mais les critiques de l'épiscopat – quoi qu'on en pense sur le fond — ont permis de cautionner dans l'opinion l'idée qu'il s'agissait d'un projet "dur", répressif. Si ces évêques, dont les bons sentiments en la matière commencent à être connus, ne sont pas contents, c'est que, a pu penser le Français moyen, Nicolas Sarkozy a vraiment la volonté de lutter contre l'immigration illégale, une impression qui, on l'a vu, est largement démentie par la lecture de la loi. En définitive, il n'est pas exclu que les évêques n'aient été dans cette affaire que les faire-valoir de la propagande du ministre de l'Intérieur...
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