Article rédigé par Jacques Bichot*, le 07 avril 2006
La crise du CPE a quelque peu masqué la présentation du projet de loi relatif à l'immigration et à l'intégration au Conseil des ministres du 29 mars. Il s'agit pourtant d'un sujet important.
Le collectif "Uni(e)s contre une immigration jetable" dénonce ce projet comme étant scandaleux. Mgr de Berranger, évêque de Saint-Denis, qui présida la Commission sociale de l'épiscopat français, interroge : "Allons-nous accepter une attitude de passivité face à des mesures sur l'immigration restrictives et élitistes parfaitement égoïstes ? Prendre les ‘bons' immigrants et laisser les pauvres ?" Il affirme : "L'Église, toute l'Église, doit se dresser et dire ‘non'" (La Croix, 2 avril). Ce qu'il fera lui-même avec certains de ses pairs puisque, écrit-il, "nous avons rendez-vous avec Nicolas Sarkozy pour lui dire combien nous sommes inquiets par rapport à la nouvelle loi sur l'immigration prévue par le gouvernement".
Avec tout le respect dû à ce prélat, pasteur du diocèse français le plus concerné par l'immigration, je me dresse plus volontiers pour l'amélioration [1] de l'aide au développement ou l'accroissement du commerce équitable : ce serait pour nos frères du tiers-monde préférable à l'entassement d'un ou deux millièmes d'entre eux dans les banlieues pauvres des villes françaises. Vouloir limiter l'immigration et la faire évoluer qualitativement n'est pas agir à l'encontre des intérêts des 2 ou 3 milliards d'hommes qui vivent dans la misère et l'insécurité, au contraire. Car avec l'argent nécessaire pour accueillir décemment un immigré du Sud et lui donner toutes ses chances de s'intégrer, il y a de quoi donner des chances équivalentes à dix, vingt ou cinquante personnes restées dans leur propre pays.
Le projet de loi n'est sans doute pas parfait. Il n'a peut-être pas été préparé avec tout le soin requis : il est hélas si rare que nos lois le soient ! Mais qu'il faille prendre des dispositions, y compris législatives, pour gérer l'immigration moins mal que ce n'est le cas, mes modestes connaissances d'économiste me le font penser, et je ne vois pas en quoi cette voix de la raison s'opposerait à l'enseignement de Jésus : "Aimez-vous les uns les autres." Le cerveau n'est pas l'ennemi du cœur ; la science ne nuit ni à la foi ni à la charité.
Constat
Pour commencer, un constat, que résume bien un dicton célèbre : "L'oisiveté est mère de tous les vices." Mettez des êtres humains dans une situation où travailler leur est quasiment impossible [2], ou laissez-les s'y mettre, fournissez-leur des revenus, modestes mais sans contrepartie, et vous êtes à peu près sûr de faire de beaucoup d'entre eux des aigris, à qui il sera de plus en plus difficile de s'employer utilement et d'élever correctement leurs enfants. Parmi ceux-ci, certains, en proportion nettement plus importante que dans le reste de la population, deviendront inévitablement des prédateurs : les casseurs et voleurs qui ont écumé les manifestations anti-CPE comme les ours le font des bancs de saumons remontant les ruisseaux.
Il conviendrait de méditer la mésaventure libanaise. Chassés par les annexions israéliennes, beaucoup de Palestiniens se sont réfugiés au Liban. Ils ont été parqués dans des camps, où des subsides de l'ONU leur permettaient de survivre. Pas de travail. Des enfants en grand nombre, élevés dans un monde irréel, dont beaucoup ont contracté "la haine", ce virus qui prolifère également dans celles des banlieues françaises qui se sont transformées en ghettos. Puis des heurts, de plus en plus forts, avec les autochtones. Chabra et Chatilla. La guerre civile. La double occupation, israélienne et syrienne. Et l'émigration massive en Amérique et en Europe des Libanais aptes à trouver du travail. Voilà ce à quoi conduit l'implantation dans un pays de colonies étrangères, dont les membres vivent (chichement pour la plupart) de la charité publique.
Pour un colloque de l'Institut de géopolitique des populations [3], j'ai risqué une estimation de ce que coûte ou rapporte aux finances publiques françaises la présence d'immigrés en provenance du Tiers-monde et de leurs descendants. Nul ne s'aventure à effectuer un tel calcul, politiquement incorrect, si bien que je n'ai pas eu la possibilité de confronter mes résultats à ceux d'autres chercheurs. Je les indique donc sous toutes réserves : coût de 24 milliards d'euros par an. Mon collègue Gérard Lafay, lors du même colloque, a cherché combien il faudrait dépenser de plus pour avancer vers une intégration de ces populations : rien que pour les personnes actuellement présentes sur le territoire français, il arrive à 12 milliards par an, effort à poursuivre pendant une quinzaine d'années. Et au delà de ces chiffres, il y a les compétences à mettre en œuvre : celles-ci n'existent pas en quantité suffisante, loin s'en faut, et elles ne surgiront pas sur un simple claquement des doigts !
Objectif : intégrer convenablement
Dans ces conditions, on comprend que le ministre de l'Intérieur se préoccupe de limiter l'immigration des personnes dont la France est le moins capable d'assurer l'intégration. La mesure principale de son projet consiste à poser une condition au regroupement familial : celui-ci ne pourra s'effectuer légalement qu'après dix-huit mois de séjour régulier (au lieu d'un an) et — c'est le point important — à condition que l'immigré ait un travail lui rapportant au moins le Smic. Il s'agit là d'éviter que des enfants grandissent dans un contexte de parents chômeurs ou inactifs, vivant de minima sociaux et d'un peu de travail au noir : on sait qu'il n'y a pas mieux pour forger des esprits rebelles à l'instruction comme à l'autorité.
Une autre mesure importante est la suppression de la régularisation automatique après dix années de séjour illégal. Qui peut souhaiter le maintien d'une disposition encourageant les personnes entrées ou demeurées clandestinement à bafouer longuement la loi s'ils ne parviennent pas à obtenir un titre de séjour dans des conditions normales ? Imagine-t-on qu'après dix années marquées par une succession ininterrompue de PV pour stationnement interdit, PV jamais payés, les automobilistes récalcitrants se voient accorder automatiquement un permis de stationner n'importe où ? Voilà assurément une disposition du code de la route qui améliorerait la circulation en ville !
Il n'est pas possible de passer ici en revue toutes les dispositions du projet de loi. Simplement, en conclusion, une comparaison. Des passeurs emmènent des immigrants clandestins des côtes africaines jusqu'aux Canaries. Leurs bateaux sont petits, il y a beaucoup de candidats à la traversée, ils en prennent plus qu'il n'est raisonnable. Résultat : des centaines de pauvres hères meurent noyés. Le gouvernement français est comme le capitaine d'un de ces esquifs qui, ayant déjà fait naufrage pour cause de surcharge, déciderait de ne plus prendre que le nombre de passagers correspondant aux capacités de son bateau. Faut-il, au nom de la charité chrétienne, faire la morale à ce capitaine pour qu'il embarque le double de passagers, au péril de leur vie ?
*Jacques Bichot est économiste, professeur à l'Université Jean-Moulin (Lyon 3).
Pour en savoir plus :
■ Présentation officielle du projet de loi "Contrat d'accueil et d'intégration"
■ Le Projet de loi relatif à l'immigration et à l'intégration, n° 2986, déposé à l'Assemblée nationale le 29 mars 2006
■ Le collectif Uni(e)s contre une immigration jetable
■ Notre dossier Immigration, ce que dit l'Eglise et le projet de loi Sarkozy
■ L'Instruction Erga migrantes caritas Christi
[1] Ne disons pas seulement "l'augmentation" ! Car il ne suffit pas de dépenser, encore faut-il le faire d'une manière qui profite réellement aux plus démunis.
[2] Le taux de chômage approche 30 % pour les immigrés venus d'Afrique ; il dépasse 50 % pour les jeunes de même origine habitant les quartiers sensibles. Et il n'existe pas de baguette magique pour changer cela.
[3] Les travaux présentés lors de ce colloque font l'objet du n° 14 (1er trimestre 2006) de la revue de l'IGP (s'adresser à l'Harmattan, 7 rue des Écoles, 75 005 Paris, tél. 01 40 46 79 20).
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